La tradition veut que l'Aïd soit une fête de rencontres, de partage et de pardon. Aujourd'hui, les réseaux sociaux, Facebook en particulier, donnent à cette fête une autre dimension de partage. Certes virtuelle, elle ne reste pas moins «réelle» festive, chaleureuse. Mieux, elle élargit les cercles au-delà de la famille. Même si les «gâteaux» partagés sur la Toile ont une autre «saveur», le geste porte la même ferveur. Ces réseaux sociaux viennent surtout au secours des familles établies à l'étranger. Ils remplacent d'une manière plus pratique le «traditionnel» coup de téléphone à la famille! Moins onéreux et plus «vivant», il devient le nouveau lien entre les familles permettant de regrouper ses membres le temps d'une connexion! Pour Samia, Algéroise d'origine kabyle, on ne badine pas avec de tels rendez-vous. Elle considère que l'Aïd ne devient pas virtuel, parce que le matin très tôt, elle consulte son compte Facebook, puis le laisse ouvert mais ne reste pas en face. «Comme tous les Kabyles, nous avons nos traditions, les visites familiales, les appels pour ceux qui sont loin, de l'autre côté de la Méditerranée. Entre oncles, tantes, cousins, cousines, nous sommes tous réunis autour d'un café à discuter jusque tard la nuit», témoigne-t-elle. Pour Samia, Facebook c'est plutôt le matin très tôt, ou le soir très tard. Autrement, «c'est la veille de l'Aïd qu'on laisse des messages, partageant des photos ou même échangeant les souhaits de prospérité directement via le chat». Elle ne pensait pas que l'Aïd deviendrait un jour virtuel. Elle cite l'exemple de Skype. «Skype nous fait sentir que la personne est présente avec nous, malgré les distances, parce qu'on la voit et on discute avec elle sans coupure, contrairement à Facebook ou MSN», poursuit-elle. «Il y a des choses que Facebook ne peut remplacer place, la présence humaine, l'échange réel, le partage réel... Facebook ne peut procurer cela même si certains pensent que Facebook a pris grande place dans les relations, les réunions familiales...», ajoute-t-elle. Rédha raconte son Aïd sur Facebook. «A l'instant même, je réponds au «Saha Aidek» des gens sans avoir à tendre les joues, c'est déjà ça!» ironise-t-il. Redha l'a célébré pour de vrai, entouré de sa famille et de ses amis. «Je suis rentré sur Facebook, c'est insensé! Moi, je n'aime pas trop ça. Ça manque de chaleur et ce n'est plus comme avant», avoue-t-il. Kamel, un autre féru de réseaux sociaux, établi en France, en fait une autre approche. La sienne et celle d'une grande partie des internautes. Pour lui, Facebook est un moyen de faire du militantisme seulement. «J'avoue que je ne donne pas beaucoup d'importance ou d'espace à ce genre de ́ ́manifestation ́ ́ qui est pour moi assez «intime et familiale» pour ́ ́l'étaler ́ ́ sur l'espace public», souligne-t-il. Cela dit, «il est courant que je salue des amis en messagerie privée pour leur souhaiter bonne fête!» avoue-t-il. Pour Sabrine, jeune Tunisienne engagée dans la révolution du jasmin, l'Aïd n'est pas virtuel. Sans les visites à la famille, cette fête n'a rien de tel. «Ça reste parmi les rares occasions pour se voir et s'éloigner un peu du monde virtuel.» Pour ce qui est de Facebook, Sabine et son entourage ont passé un «Aïd engagé». «On se félicite mais on se rappelle de ce qu'on n'a pas encore réalisé au niveau du processus de transition en Tunisie. Une pensée aussi aux martyrs de la Syrie et surtout à leurs familles. Des Tunisiens qui souffrent de soif en ce moment et de ceux qui n'ont pas trouvé de nouveaux vêtements pour leurs enfants», raconte-t-elle. Sabine ne veut pas dramatiser trop l'image, «ça reste que l'Aïd est une journée qu'on doit vivre pleinement au regard de ses bienfaits sociaux surtout», tranche-t-elle. Il faut dire que sur les réseaux sociaux, l'Aïd ne fait pas que des heureux, car d'autres témoignages révèlent d'autres attitudes. Karim, lui-est non musulman, entouré d'amis pratiquants. L'Aïd sur Facebook? «L'overdose!» tonne-t-il. Dès la veille, «les amis commencent à être taggués sur des images de Aid Moubarak. En plus, y a des dorures qui foutent la gerbe pour les Kabyles. C'est la mort de la langue, puisque la plupart au lieu de dire ́ ́Saha l'Aïd ik, ou Saha l'Aïd nwen ́ ́... Hala saha Aïdek ou Aidkoum...», raconte-t-il. Il faut dire que le monde se souhaite Saha Aidek, jusqu'à l'indigestion et certains comme le cas de Karim se sentent presque forcés de participer... «Au début je voulais boycotter Facebook, mais finalement j'ai participé à tout ça car c'est effectivement un moyen d'être un peu en communion avec les gens que tu aimes et ta famille - ici ou de l'autre côté...et que si tu veux échanger avec eux, ça passe par ́ ́Saha aidek ́ ́», raconte-t-il. Comme lui, ses copains ont ́ ́fait le mort ́ ́ carrément pour ne pas avoir à répondre aux messages. Farid se souvient que dans les années 1970 dans les villages «on attendait la fin de la prière du matin pour se souhaiter bonne fête. Tu ne pouvais pas le faire avant que les fidèles ne sortent de la mosquée. A l'époque, la tradition voulait que tu souhaites bonne fête même à ceux que tu ne connais pas, voire à tes ennemis. Il fallait claquer des bises, maintenant tu fais un clic sur Facebook.»