Quel constat faites-vous quant aux retards et abandons de projets que connaît l'Algérie? Les retards dans la réalisation de certains grands projets concernent tous les secteurs et toutes les régions Ce n'est que trente années après son lancement officiel que le métro d'Alger a commencé à voir le jour. Un premier tronçon de 9,5 km a été inauguré le 31 octobre 2011, mais les surcoûts liés aux derniers retards de réalisation sont évalués à plusieurs dizaines de millions d'euros. Le tramway d'Alger aurait, pour sa part, dû être livré en 2009. Un premier tronçon de 7,2 km (sur 23 km) n'a été terminé qu'en mai 2011. D'autres retards affectent l'autoroute Est-Ouest, la Grande Mosquée (dont les travaux auraient dû commencer en 2010), le Centre International de conférences. Dans le domaine du transport ferroviaire, qui figurait pourtant parmi les secteurs prioritaires des deux derniers grands programmes d'appui à la croissance, pratiquement presque rien n'a encore été entrepris. 30 milliards de dollars étaient pourtant inscrits dans le plan 2005-2009 et 80 milliards de dollars dans le suivant, en cours de réalisation. Les contrats qui avaient été attribués sur adjudication depuis 2007 (dont de nombreux contrats d'études) ont été annulés et de nombreux appels d'offres ont été déclarés «infructueux». Il s'agit aussi bien de lignes nouvelles, de travaux d'électrification, que de la réhabilitation des gares (80 gares de la Sntf à moderniser) ou d'aménagements ferroviaires dans la région d'Alger. Dans ces annulations figurent de nombreux projets qui faisaient partie des programmes de développement régional. Par ailleurs, existe-t-il des surcoûts exorbitants? En effet, il y en a. Expliquez-vous... En effet, il y a absence de bilan physico-financier (synthèse entre le physique et le monétaire) pour évaluer par rapport aux normes internationales les surcoûts et les impacts économiques et sociaux. Tout au plus, selon les données officielles, le gouvernement a programmé 200 milliards de dollars entre 2004/2009 (aucune indication si l'intégralité a été dépensée) et 286 milliards de dollars entre 2010/2013 mais dont 136 milliards de dollars sont en reste à réaliser pour des projets non terminés entre 2004/2009, montrant l'importance des surcoûts dus à la non-maturation des projets (mauvaise gestion) pour ne pas dire corruption. Le rapport de la Banque mondiale en 2009 remis aux autorités algériennes relatif aux coûts des infrastructures, montre clairement que certains projets inutiles ont été abandonnés ou mis en veilleuse malgré d'importantes dépenses de départ, d'autres réévalués entre 20 à 40%. Le dernier apport de la Banque d'Algérie montre également clairement que l'Etat algérien fonctionne sur un cours de 110/115 dollars le baril (70 dollars pour le fonctionnement et 40/45 dollars pour l'équipement) et que cela ne peut continuer sans devoir rationaliser la dépense. Cela explique que l'Etat a eu recours au Fonds de régulation des recettes face à l'importance du déficit budgétaire qui, en cas d'hypothèse d'un cours du baril inférieur à 80 dollars, s'épuisera dans trois années. Pourquoi cette situation de blocage et d'abandon? L'Algérie n'a pas mis en place les bases de l'Intelligence économique (des cellules de veille stratégique) pouvant être définie comme la capacité à gérer stratégiquement l'information pour prendre les bonnes décisions. Les plus grands planificateurs sont les multinationales, l'économie de marché concurrentielle, loin de tout monopole, public ou privé, ne signifiant pas absence de l'Etat, devant jouer son rôle stratégique en tant que régulateur pour minimiser les incertitudes. Aussi, l'abandon des projets, les surcoûts traduisant la faiblesse de la planification stratégique de l'Etat algérien afin d'anticiper, est une forme d'anticipation renvoyant d'ailleurs à l'articulation Etat, marché, à l'organisation gouvernementale dans la mesure où bon nombre de projets sont de nature transversale imposant aux différents ministères une concertation permanente afin d'échanger les informations entre eux pour plus de cohérence et de visibilité dans la politique socio-économique. Par ailleurs, les surcoûts et l'abandon de projets renvoient à l'environnement contraignant des affaires en Algérie où les rapports internationaux, en majorité, classent l'Algérie comme pays à «haut risque» malgré l'importance de ses réserves de change estimées à 190 milliards de dollars au 01 juillet 2012 mais dont 83% sont placées à l'étranger, en majorité selon le gouverneur de la Banque d'Algérie en obligations européennes et en bons de Trésor américain à des taux d'intérêts fixes de 3%, mais pondéré par l'inflation mondiale à un taux presque nul. Les institutions internationales invoquent la bureaucratie et la léthargie du système financier. Le rapport Doing Bussiness 2012 de la SFI (filière de la Banque mondiale) classe déjà l'Algérie à la 148e place parmi les 183 pays étudiés. Pour ce qui est de la facilité à lancer une affaire, l'Algérie se classe à la 153e place, trois rangs de moins que la fois précédente. Pour créer une entreprise, il faut quatorze procédures et compter 25 jours pour chacune d'elles. Concernant l'obtention d'un permis de construire, l'Algérie est classée au 118e rang. Pour ce faire, il faut compter 19 procédures et 281 jours. Quelle conclusion tirez-vous de cette réalité nationale? Devant des chantiers inachevés, une foule de surfacturations sur les grands travaux en cours et des annulations sans explication de contrats attribués, depuis 5 ans, après appels d'offres, les propos du ministre des Finances qui a affirmé courant 2012 que son département oeuvrera à améliorer la maturation des études de projets d'investissements publics afin d'en éviter les surcoûts, seront-il suivis d'effets sans une autre gouvernance? Une étude pour la région Mena en 2011 montre que l'Algérie dépense deux fois plus pour avoir un résultat deux fois moindres, tout en précisant que la plupart des grands chantiers de travaux publics ont été confiés à des entreprises étrangères. L'enquête récente de l'ONS (Office algérien des statistiques) montre que 83% du tissu économique sont constitués de commerçants/services de petites dimensions et que les entreprises publiques ou privées compétitives sont presque inexistantes montrant le déclin du tissu productif.