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Kaddour M'Hamsadji s'entretient avec El Hâdj Mohamed Saïki (ancien capitaine de l'ALN, W IV, Z 4) EN MARGE DE LA 5E EDITION DU FESTIVAL D'AUZIA-SOÛR EL GHOUZLÂNE
De g. à dr. Mohamed Saïki, Kaddour M'Hamsadji et M'hamed Aoune (Festival d'Auzia 2012) Nous devons tirer bien des leçons de ce Cinquantenaire... El Hâdj Mohamed Saïki, né en 1932 au lieu-dit «Hadjar Djebel Dirah» à quelques kilomètres de Soûr El Ghouzlâne, ne cesse d'appeler à la recherche de la vérité historique de la Geste révolutionnaire algérienne et de puiser dans les sources non altérées par une histoire de la Révolution tantôt magnifiée, tantôt diffamée, tantôt falsifiée. Il est mon ami d'enfance et de quartier à Soûr El Ghouzlâne. Sa présence au Festival est une bénédiction vu son âge, sa maladie et les stigmates de son combat héroïque dans les maquis brûlants d'il y a plus de cinquante ans dans les rangs de l'ALN contre l'armée française d'occupation. Très tôt, à l'adolescence juvénile, il est entré en révolte contre le système colonial et, à l'âge de l'enthousiasme, celui du jeune adulte où s'éveille ardente la conscience et s'affirme, il rejoint le maquis (mai 1956-juillet 1962). Il le raconte avec sincérité et modestie dans son émouvant récit intitulé Chroniques des années de gloire (Ed. Dar El Gharb, Oran, 2004, 500 pages). Je me fais ici le plaisir de signaler l'existence du «Musée de l'Armée de Libération Nationale de Soûr El Ghouzlâne», riche de pièces uniques, expressives et rares. Il a été fondé, installé et dirigé par El Hâdj Mohamed Saïki. Le Festival d'Auzia-Soûr El Ghouzlâne, dont la 5e édition a été organisée par La ligue nationale de la littérature populaire algérienne, présidée par Toufik Ouamène et dont la cheville ouvrière a été Omar Boudjerda et parmi ses assistants le sympathique et diligent Mohamed Habiche, a fonctionné d'après un projet ambitieux. Il a réuni des écrivains, des poètes, des artistes-peintres, des conférenciers, des chercheurs, des gawwâla, des troupes folkloriques, des spécialistes des parades musicales et des spectacles de fantasia et des clubs sportifs, venus des villes de plusieurs wilayate environnantes. Ont été programmées des visites de sites historiques de la ville romaine, de sites touristiques (Tikjda-Bouïra) et d'ateliers de l'artisanat en plein progrès de Soûr El Ghouzlâne. Le projet de ce Festival, à la thématique multiple, au programme très vaste et placé sous le signe du «Cinquantenaire de fidélité et de continuité», a été réalisé grâce au concours de la population de Soûr El Ghouzlâne et à l'assistance de sympathisants des villes voisines. Cependant, a été indispensable la participation du ministère de la Culture, des autorités de la Wilaya de Bouira (le Wali, le Secrétaire général, le directeur de la culture, le président de l'APW), de la radio de Bouïra et, évidemment, de l'APC de Soûr El Ghouzlâne et des structures et associations éducatives et culturelles de la ville. Au cours du Festival, j'ai rencontré le grand poète oublié et moudjahid M'hamed Aoune (qui aura 85 ans, le 27 septembre: joyeux anniversaire, vieux frère!) et j'ai tenu à m'entretenir avec Mohamed Saïki, lui enveloppé de tous les effluves séducteurs de citoyen de Soûr El Ghouzlâne et de moudjahid. Il m'est apparu, fidèle à son engagement, tel qu'il est, homme de conscience, de piété et de pardon, un moudjahid entier de la cause nationale et un citoyen encore vigilant et assez valide, malgré ses blessures dans les maquis de la liberté, son grand âge et le peu de santé qui le maintient debout pour contribuer à l'éducation morale et civique du jeune algérien de sa ville natale en lui servant de guide spécial du Musée de la rue du chahid Messaour Abdelkader. L'Expression: En ce moment, le peuple algérien célèbre le Cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie. Quel est ton sentiment à ce sujet? MOHAMMED SAIKI: Le Cinquantenaire de l'Indépendance, c'est le retour de la personnalité nationale algérienne, c'est la dignité retrouvée. Tout le peuple algérien a retrouvé sa fierté d'être enfin un peuple libre dans son pays libéré de toutes les entraves que le système colonial français, fondé sur l'injustice, la spoliation, l'oppression, a imaginées et mises en place dès le début de la conquête. Quel Algérien de notre génération encore en vie n'aurait-il pas connu le caractère spécialement ignoble, haineux, de ce système échafaudé contre le peuple algérien et pour le seul profit permanent du colonisateur? Qui dans le monde d'aujourd'hui n'a pas perçu l'écho de la souffrance du peuple algérien pendant la colonisation de l'Algérie par la France, par son armée, sa police, son administration, par son école sur mesure et surtout par son esprit de domination totale sur la terre d'Algérie et ses populations. Moi et d'autres jeunes algériens avons été à l'école indigène. On sait ce que c'était... Mais ça c'est le passé. Aujourd'hui, Dieu merci, l'Algérie est libre, le peuple est libre. Je sais qu'il y a beaucoup de choses encore à faire pour redresser le pays. Maintenant, avec l'expérience de cinquante ans d'indépendance, nous pouvons voir nos erreurs et nous devons espérer que nous irons loin dans ce qu'il faut faire pour avancer, pour progresser. Cependant, s'il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de choses encore à faire, il faut être honnête et dire que le peuple a pas mal gagné dans de nombreux domaines. Je ne peux faire le bilan, mais j'observe en tant que citoyen qu'il y a des acquis importants que chacun sait et peut dénombrer et dont l'Algérien, à l'époque coloniale, n'aura jamais bénéficié directement ni totalement. Dans l'Algérie française, commencée avec le corps expéditionnaire français en 1830 et, à la suite de longues et multiples résistances populaires dont l'Histoire a retenu le nom d'un grand nombre de héros et de chouhada, le FLN et l'ALN ont réussi dans la fraternité du combat et la foi en l'idéal commun à chasser l'occupant en remportant grâce à Dieu et au peuple uni et solidaire une victoire historique et nationale le 5 juillet 1962... ... Et sur le plan social, culturel, politique, que pourrais-tu en dire? Je dois dire que sur le plan social, culturel, politique, il y a de nombreuses avancées pendant le Cinquantenaire de l'Indépendance. On peut, malgré tout ce qu'on pense ici et là, parler globalement d'un appréciable développement de l'Algérie sur tous les plans. Je ne peux pas tout nier en bloc ni faire l'éloge de tout. Je garde espoir... En tant qu'ancien Moudjahid, j'observe aussi que de nombreuses réalisations humaines, techniques, matérielles ont été réussies et font le bonheur du peuple et prouvent le développement en général du pays. Par contre, en tant que moudjahid, en tant que frère aîné ou père, je déplore certains agissements d'une certaine jeunesse qui se prête à commettre des actions répréhensibles, sauvages, contraires à nos principes éducatifs comme détruire des biens publics, obligeant les autorités de l'Etat à réagir. Dans ce cas-là et dans d'autres, l'Etat doit agir, dans l'intérêt vital de la Nation. L'Etat doit être efficace, fort, et intraitable. Sa générosité ne sera que plus grande lorsqu'il l'exerce à bon escient et quand la volonté politique de gérer le pays est pour la justice et l'émancipation de l'homme et de la femme par l'éducation.... Quoi qu'il en soit, nous devons tirer bien des leçons de ce Cinquantenaire... ... Par exemple? Hé! mon cher Kaddour, tu le sais: il y a beaucoup à dire. Par exemple, on peut reconnaître que la plupart de nos jeunes sont cultivés, mais ce n'est pas la généralité. Dans ce domaine, nous accusons de gros retards: c'est la vérité. Quand nous avions combattu le colonialiste, c'était dans le ferme espoir que le développement de notre pays et de notre peuple se feraient tous azimuts. Je comprends bien que ce n'est pas facile. Pourtant, quand nous luttions dans les maquis contre l'ennemi féroce, le peuple était toujours à nos côtés. Nous vivions, nous les moudjahidine en son sein. Nous étions des Algériens, des frères et soeurs sincères et volontaires, même si nous n'avions pas une grande instruction, nous avions une grande conscience, nous étions tous prêts pour le sacrifice suprême, pourvu que notre patrie soit libérée de la domination coloniale et le peuple de l'asservissement dégradant sous l'emprise de l'occupant sauvage, impitoyable et vaniteux... À l'indépendance, les choses ont changé. Chez certains, la sincérité, la foi en l'idéal national, se sont quelque peu émoussées, comme si l'Algérie n'était pas leur pays. Fais-nous part de quelques souvenirs marquants, très brièvement. et rappelle-nous aussi ton retour dans une Algérie fraîchement libérée... Oui, cher Kaddour, très brièvement. J'ai vu le jour dans une Algérie en souffrance à cause du colonialisme, l'injustice, la misère, le non-droit pour les indigènes, et j'ai vécu mon enfance à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. Dans le pays et dans la plupart des foyers des musulmans, c'était l'époque des restrictions alimentaires, les bons d'alimentation, le marché noir, la maladie (le typhus), la faim,... par contre, les Européens et les enfants européens vivaient, je dirai, normalement. En tout cas, ils ne connaissaient pas notre misère sur tous les plans de la vie quotidienne. Je dirai aussi que nous les habitants de la ville, quelle que soit le degré de misère dont nous nous plaignons, il était pour ainsi dire insignifiant en comparaison avec celui de ceux qui habitaient à l'extérieur de Soûr El Ghouzlâne. Tu le sais, quand nos paysans venaient en ville pour vendre leurs produits de la terre, ils passaient la nuit dans les écuries, eux et leurs bêtes... Je passe sur les détails de notre mode de vie à la maison, dans le quartier (il y avait, par exemple, ceux de la rue Bélisaire et du boulevard Vollhardt, M'Hamsadji, Saïki, Bourbala, Laribi, Sadadou, Messaour, Aoune, Abdat, Brahimi et d'autres... Il y avait une grande solidarité entre nous face aux difficultés de notre condition de vie de colonisés et aux différences régentées par les autorités coloniales entre enfants européens et enfants indigènes. Nous formions une famille). Je me rappelle nos envies d'enfants, d'adolescents, de jeunes, nous étions frustrés de beaucoup de choses à l'époque coloniale. Je me rappelle nos jeux, nos fréquentations, nos camarades d'école, nos enseignants, surtout ce que nous a enseigné le Meddâh du marché, le scoutisme musulman, le sport, surtout le football dans la rue ou à Ahmar Khaddou, il y avait le stade Saïki derrière le rempart,... Kaddour, c'est vraiment comme dans ton livre Le Petit café de mon père. Et puis, c'est l'éveil au nationalisme grâce à nos aînés et puis c'est la dure et volontaire décision de rejoindre le maquis, après en avoir décidé en secret notre petit groupe de camarades dans la clandestinité. Soûr El Ghouzlâne et sa région ont donné de nombreux chouhada dont, par exemple, Mokhtar Mazani, Messaoud Zitoun, Mohamed Zeguiche, Abdelkader Messaour, Ali Saddadou, Ahmed Sellam, Kouider Boudjerda,... et de nombreux moudjahidine dont certains cités de mémoire se trouvent à la page 419 de mon livre. Il y a de quoi raconter... Le retour au pays libéré, dès le cessez-le-feu, le 19 mars 1962, j'ai eu le sentiment de rentrer vraiment chez moi. La préparation du référendum a consacré la victoire du peuple. C'est alors la fête de la victoire. C'est surtout le jour de gloire tant attendu par le peuple, c'est le courage récompensé, l'héroïsme glorifié, le sacrifice magnifié, le chahid exalté. Le peuple algérien se retrouvait dans son pays libre et indépendant, sa seule vraie Patrie: l'Algérie. Quel message peux-tu adresser aux femmes et aux hommes de ta génération et à la jeunesse algérienne? Plusieurs messages. Mon expérience de moudjahid dans les maquis et mon expérience dans la politique des toutes premières années de l'indépendance au niveau de la réorganisation du FLN, de la mise en place des élections pour l'Assemblée constituante ainsi que les élections législatives suivantes jusqu'au 19 juin 1965, cela m'autorise, je pense, à former ce message qui semble se traduire, à mon sens, dans l'esprit du Musée où nous sommes actuellement. J'y ai réuni personnellement, mais aussi avec l'aide de moudjahidine et de citoyens de plusieurs régions proches de Sour El Ghouzlâne et de là où j'ai accompli mon devoir pendant la Révolution, des archives, des photos, des ouvrages, des éléments de toute sorte, des matériels de guerre et des objets très divers qui rappellent concrètement la lutte de Libération nationale. Il y a là sous nos yeux et sous les yeux de tous ceux qui désirent comprendre l'histoire de la révolution, quelques enseignements pour nous tous, pour ceux de notre génération et pour les jeunes. La Révolution algérienne n'est pas un mythe. L'écriture de l'Histoire de la Révolution est indispensable et urgente. Que donc d'autres voix compétentes s'élèvent pour faire don à la jeunesse algérienne de ce qu'elles savent. C'est désormais le djihad el Akbar résolu, juste et généreux, car c'est ça la véritable délivrance pour aller vers le progrès et l'échange honnête entre les humains chez nous et dans le monde. La jeunesse doit enrichir, par l'éducation, le savoir et le travail, l'oeuvre patriotique des anciens. Il est temps d'aider la jeunesse et de lui passer le flambeau. Si l'on tarde, l'Histoire ne nous le pardonnera pas... C'est, sans aucun doute, une question de volonté politique. Et après tout, Mohamed, mon ami, comme dit le proverbe, «Il ne reste dans l'oued que ses propres galets».