Le musée n'est jamais un monologue silencieux quand il est fondé à répondre concrètement à la tendance manifestée du visiteur à observer et à comprendre. Le lieu d'histoire le plus approprié à la découverte, au raisonnement et à la confrontation des faits et des événements importants du passé d'un pays ou d'une ville, est assurément le musée. Là, le fait historique, la caractéristique de sa source et même l'aspect anecdotique de sa concrétisation, présentés par un guide compétent apportant la caution de sa probité, rend le voyage dans le destin de notre histoire encore plus réel que ce que nous laissera croire notre pauvre imagination. Je me suis trouvé dans cette situation, il y a trois semaines en me rendant à Soûr El Ghouzlâne à l'invitation fraternelle du moudjahid Hadj Mohamed Saïki et ses amis. Je me devais cette visite, même courte, à ma ville natale et à Ahl es-Soûr dont la chaleur de l'accueil, particulièrement celui des anciens, m'a franchement impressionné. Posséder de vieux amis, il n'y a pas de bonheur comparable, excepté peut-être ceux dont vous êtes le problème de leur odieuse ambition... Qu'à cela ne tienne, j'ai découvert, à la rue Messaour Abdelkader, un musée à la fois d'une très émouvante modestie et d'une très convaincante richesse d'images expressives, souvent rares, avec des particularités qui touchent le coeur et l'esprit. Son fondateur, Hadj Mohamed Saïki, l'abrite dans sa propre maison, lui consacrant, au rez-de-chaussée, soixante-dix mètres carrés environ; aussi doit-on comprendre la légitime fierté de ce moudjahid, car il ne fait, dit-il, que son devoir comme autrefois et ne compte sur aucune reconnaissance. Sur les murs, sur des banquettes, dans des vitrines, avaient été rassemblées tant d'histoires héroïques de révolutionnaires (chouhâda ou en vie) et collectionnés tant d'objets hétéroclites saisissants par leur forme insolite et terrifiants par l'usage courant dont a fait l'ennemi militaire et policier français pendant la guerre de libération nationale sur les combattants de l'ALN, sur les militants du FLN et sur les populations algériennes suspectées de nationalisme, que j'en suis encore tout bouleversé. Le pivot de ce musée est l'histoire illustrée de la ville et sa région par le fait authentique figuré et la parole de vérité prononcée par mon guide qui n'est autre que Mohamed Saïki, moudjahid de 1956 à 1962, plusieurs fois blessé au combat comme tant d'autres, et capitaine de l'ALN (surtout en zone 4, Wilaya IV). Vous pouvez donc ainsi vous imaginer que l'information soit sous les yeux du visiteur et que le visiteur veuille donner du sens à sa curiosité intellectuelle... Dans notre entretien qui suit, le moudjahid Saïki s'est exprimé en langue arabe. L'Expression: On peut dire que la fondation du Musée de l'ALN de Soûr El Ghouzlâne est le complément logique de ton livre «Les Mémoires d'un capitaine de l'ALN, chronique des années de gloire»... (Lire L'Expression des mercredis 22 et 29 septembre 2010, p. 21) Mohamed Saïki:...C'était là mon intention; maintenant j'essaie de l'exprimer par l'action chaque jour avec des amis et des bénévoles. ...Pourquoi avoir baptisé cette initiative personnelle «Musée de l'Armée de Libération Nationale de Soûr El Ghouzlâne»? C'est bien clair, tout ce que tu as vu dans ce musée est, d'une part, quelque chose qui est en rapport avec l'Armée de Libération Nationale au cours de ses actions militaires contre l'armée coloniale ennemie et, d'autre part, quelque chose qui a un rapport direct avec ce qui s'est passé à la même époque dans la région de Soûr El Ghouzlâne... ...Certaines pièces du musée évoquent aussi d'autres régions du pays et, je pense, assez spécialement la région que tu as parcourue le plus longtemps pendant la guerre, c'est-à-dire la zone 4 de la Wilaya IV. Oui, la région est vaste avec Hadjout, Miliana, Cherchell, Ténès, Aïn Defla,...Excuse-moi, je ne peux citer toutes les agglomérations et leur région, la liste, grâce à Dieu, est longue, et chaque agglomération a beaucoup donné à la Révolution. À quoi peut servir un tel musée? À beaucoup de choses. À sensibiliser les jeunes, et pourquoi pas aussi les moins jeunes, à la réalité de la lutte de libération nationale. Quand on voit là devant soi tel ou tel objet, telle ou telle photo qui évoquent les scènes de combat, la guerre, le courage, la volonté de «vaincre ou mourir» (notre slogan, au maquis), quand on voit ces photos de chouhâda, ces documents écrits, ces poignards, ces fusils, ces grenades, ces jumelles, cette machine à écrire, ce poste radio,...enfin, quand on voit, par exemple, cette «gégène» et ses accessoires, et qu'on en explique le fonctionnement, - est-ce que ça n'a pas valeur d'argument que la torture n'a pas été une affabulation? Est-ce que cette méthode et d'autres méthodes de répression n'ont pas été pratiquées sur nos combattants, sur nos militants et sur les populations qui nous ont soutenus? Crois-moi, et tout le monde le sait, il n'est pas de patriote algérien arrêté par l'armée ou la police de la France coloniale qui n'ait été torturé souvent à mort. Les survivants en portent encore les stigmates physiques et psychiques. Tout ce qui est là parle de notre Révolution sacrée. C'est ici une toute petite partie de l'histoire de la lutte pour l'indépendance de notre pays par la preuve. Il faut que les jeunes se rendent compte que l'indépendance a été chèrement acquise. La libération du pays par les armes et le sacrifice n'a pas été de la fiction. Cela a été dur, dangereux, souvent tragique. Le peuple uni a tout donné pour arracher la victoire contre l'armée coloniale. S'il n'y avait eu des hommes et des femmes et même des personnes âgées et des enfants qui ont accepté de payer le prix du sang pour libérer le pays du joug de la colonisation, s'il n'y avait eu ce sacrifice humain, ce million et demi de martyrs et cette volonté générale inébranlable de Résistance du peuple algérien, est-ce que la République algérienne aurait pu exister aujourd'hui?... Que l'on regarde en réfléchissant même sur le peu que nous ayons réussi à réunir ici dans ce musée, il saute aux yeux que ce peu suffit, je crois, pour se convaincre que l'indépendance ne nous a pas été donnée par la France. Croire le contraire, c'est se dénigrer soi-même. Chaque moudjahid et tout le peuple s'étaient dressés contre la tyrannie de la France colonialiste. Et c'est grâce à l'armée de libération et au peuple uni et solidaire que la France, touchée dans ses intérêts économiques, dans ses intérêts politiques et bientôt totalement dans son orgueil national de grande puissance armée, a finalement plié bagage et s'est retirée sans gloire grâce à la volonté populaire du nationalisme algérien et le soutien de peuples frères et amis et des pays démocratiques partout dans le monde. Que veux-tu ajouter à cette longue réflexion, sachant que ce musée, ici à Soûr El Ghouzlâne, est un témoin, un document exceptionnel à mettre en permanence sous les yeux de tous les publics?... ...Simplement, je souhaite que des visites soient organisées pour les élèves des écoles et des lycées sous la conduite de leurs enseignants. Nous sommes prêts à nous entretenir avec les jeunes, à les associer à l'enrichissement du musée. Nous sommes prêts à aider les enseignants en leur donnant le maximum d'information sur ce que contient le musée, mais c'est à eux de diriger la visite et l'activité de leur classe de manière que ce pan de l'histoire de notre pays soit bien assimilé par nos enfants de tout âge. C'est mon voeu le plus cher; c'est aussi celui de tous ceux qui m'aident à entretenir le musée et à l'améliorer en ajoutant d'autres pièces pour le rendre encore plus intéressant et utile et pour développer une meilleure connaissance de ce que fut la guerre d'Algérie. Je tiens à exprimer mes remerciements à tous ceux qui nous ont aidés à réunir ce qui se trouve dans ce musée et je demande aux autorités de la Wilaya et de la ville de continuer de soutenir nos efforts. Je souhaite enfin que des musées, ayant un caractère local ou régional, soient installés dans la plupart des villes de notre pays. Quant à moi, je te souhaite beaucoup de succès dans ta belle entreprise éducative et culturelle, et en terminant ce court entretien, je voudrais encore te remercier de m'avoir offert un joli cadeau à la fin de ma visite au Musée de l'ALN de Soûr El Ghouzlâne... Tu mérites plus, cher Sî Kaddour. J'ai fait ce geste en souvenir de notre amitié qui date de notre enfance et en témoignage de ta passion sincère d'essayer de faire connaître les valeurs morales et culturelles de notre patrimoine. Je crois avoir bien fait d'offrir une gazelle à l'enfant de Soûr El Ghouzlâne, car je sais que, dans tes écrits, elle symbolise la liberté. J'ai seulement regret que la gazelle que je t'ai offerte, ait été empaillée à l'époque coloniale, c'est-à-dire avant l'indépendance...Maintenant, la gazelle, la seule vraie, vit libre et heureuse sur le territoire national.