La vieille ville de Mila renferme dans son sous-sol bien plus de vestiges archéologiques que tout ce qui est aujourd'hui visible et connu sur sa surface «Il faut être fidèle à la vérité même lorsque notre propre parti est en cause. Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa patrie, mais nul n'est tenu de mentir pour elle.» Montesquieu J'ai eu l'opportunité d'être invité à l'émission «Carnets de famille» ce jeudi 20 septembre, avec comme consultant de l'émission une sommité dans le domaine archéologique de l'Algérie, M.Abderrahamane Khelifa. L'émission comportait deux volets; l'histoire de l'Algérie à travers notamment deux exemples la ville de Mila - qui avait fait l'objet d'une contribution dans le journal l'Expression - et la ville d'Ighil Ali, «Masquet ErRas», de ma famille. La deuxième partie de l'émission a porté sur la présentation d'un ouvrage paru aux éditions Casbah en 2012 et intitulé «Le monde comme je le vois», ouvrage dans lequel j'ai tenté de situer le destin de l'Algérie dans l'histoire trois fois millénaire mais aussi dans lequel j'ai tenté de rapporter, en honnête courtier, les faits qui ont jalonné le destin tumultueux d'un pays qui a connu huit invasions. J'ai voulu aussi rendre hommage aux bâtisseurs de l'Algérie - ces combattants intellectuels de l'ombre qui n'ont pas fait l'objet d'une sollicitude affirmée. Mila, Ighil Ali, deux symboles de l'Algérie profonde J'ai ensuite voulu donner à ma façon en tant qu'intellectuel, jeter un regard empathique mais lucide sur les contradictions, sur les convulsions de la société algérienne qui subit encore à des degrés divers, les répliques d'un tremblement de terre structurel qui a eu lieu en 1830, et qui est responsable en partie de notre peine à nous redéployer et dans notre panne dans l'action, sans naturellement occulter notre responsabilité, tous autant que nous sommes, dans le destin de l'Algérie. J'ai enfin parlé d'un devoir d'inventaire de ces cinquante dernières années et sur les voies et moyens d'aller de l'avant en quittant les temps morts du farniente du baril de pétrole social qui ne crée pas de richesse. L'épopée de l'Algérie démarre naturellement son passé préhistorique qui a vu l'apparition de l'homme il y a 500.000 ans d'après l'archéologue Arambourg, mais aussi les fouilles de Aïn Henache datant de 2 millions d'années comme l'a rappelé à juste titre l'historien archéologue de talent Abderrahamane Khelifa. J'ai ensuite parlé brièvement de Mila que j'ai connue en allant faire une conférence à l'invitation de M.le wali que je remercie d'avoir voulu donner une autre dimension à sa mission en s'attachant à contribuer à une vie culturelle. Souvent qualifiée par les érudits de musée à ciel ouvert, la vieille ville de Mila renferme dans son sous-sol bien plus de vestiges archéologiques que tout ce qui est aujourd'hui visible et connu sur sa surface. Ces mêmes trésors qui attirent la cupidité des fossoyeurs de la mémoire de Mila et, par conséquent, du pays. Il suffit, en effet, de scruter la multitude de vestiges encore visibles pour se rendre compte qu'ils ne sont que des pans de quelque chose de bien plus important et qui a été englouti sous les sédiments du temps et de l'oubli. Les plus anciennes inscriptions disponibles indiquent que Mila a pris, à chaque époque, des noms différents comme Milev, Milium, Midius ou encore Milo. De l'époque byzantine, comme l'a rappelé Abderrahamane Khelifa, Mila conserve surtout des pans du mur d'enceinte qui la ceinturait sur une longueur de 1200 mètres et doté de 14 tours de surveillance pouvant atteindre 12 mètres de hauteur, ce mur reflète on ne peut mieux le statut de citadelle religieuse de Mila à cette époque. La fameuse mosquée construite par Abou Mouhadjer Dinar en 59 de l'Hégire vers 680 après J.C. - deuxième mosquée en Afrique du Nord après celle de Kairouan - a la particularité d'être sur les décombres d'une ancienne église construite sous Optat à la fin du troisième siècle. Cette Eglise elle-même a été construite - on voit encore les colonnes - sur les décombres d'un Temple dédié aux dieux, notamment Mila. C'est dire que les Miluviens étaient des «croyants» en le Divin, attachés à des spiritualités différentes au cours des âges. Agée de plus de 17 siècles, Aïn Lebled -construite sous l'empereur Adrien- est l'unique fontaine au monde qui continue à alimenter l'être humain depuis ses constructeurs romains jusqu'aux habitants algériens de nos jours. Les mythes ont toujours cohabité avec les hommes à Milev. Pendant l'émission, le professeur Segni natif du Vieux Mila et président de «l'Association des amis du vieux Mila» a voulu porter témoignage et milite pour une meilleure sollicitude des pouvoirs publics. Il est à souhaiter que la ville de Mila fasse l'objet d'une attention plus soutenue, notamment pour la restauration de la Mosquée construite par Abou Mouhadjer Dinar, mosquée qui menacerait ruine. Plus d'un millier de pièces archéologiques - malgré les vols - sont entreposés dans le musée de Constantine, de quoi constituer un musée que nous appelons de nos voeux. En définitive, Mila porte Témoignage de l'Eglise d'Afrique si dynamique; elle est un maillon important dans la consolidation de l'Eglise aussi bien grâce à saint-Augustin le plus connu qu'à Optat de Milev et tant d'autres évêques qui eurent à consolider l'Eglise officielle alliée du pouvoir romain en combattant l'arianisme et le Donatisme. Le Donatisme ne fut pas, comme on le prétend, une déviation, ce fut le credo de Berbères des campagnes qui pensaient que le meilleur qui devait guider n'est pas celui qu'on désigne au vu de sa naissance, de ses moyens mais celui le plus «propre», celui à même de servir de repères et on peut penser que les Circoncellions - en latin «circum cellare», «qui tournent autour des granges», qui furent alliés aux Donatistes ne furent pas des voleurs de grands chemins mais des combattants animés par la cause de répandre la justice. Deux mille ans après - du fait de ce fond rocheux berbère, certains parlent d'atavisme - nous sommes toujours des grands écorchés quant à l'injustice et la hogra.... Dans le même ordre de la sollicitude envers l'Algérie profonde, j'ai voulu rendre hommage à la ville de ma famille en parlant d'Iglil Ali, petit village situé au coeur du massif montagneux des Bibans formant un prolongement géologique et géographique du massif du Djurdjura vers le sud. Cette région a été le siège du plus grand royaume kabyle jamais fondé, à savoir le royaume des Ath Abbas, dont la capitale fut Lquelâa, qui a lutté contre les présences turque et française. J'ai eu à décrire le village du temps de la colonisation l'oeuvre prosélyte de Lavigerie avec l'installation des Pères Blancs et des Soeurs Blanches. L'Eglise s'acharnant par tous les moyens, même les plus répréhensibles - à vouloir faire retrouver au berbère - qu'elle dit superficiellement islamisé, son substrat chrétien. Peu de familles furent christianisées. Le village est notamment connu par deux enfants natifs que furent l'écrivain - confident de De Gaulle - Jean El Mouhoub et la poétesse Marguerite Taous Amrouche. Igil Ali ce village haut perché est attachant. Imaginez des hivers très rigoureux, l'autarcie des Kabyles avec une mentalité de fourmi thésaurisant la nourriture et le bois pour traverser des hivers très rigoureux. La saison de la cueillette des olives avec tout un protocole, l'envoi vers la presse. Les odeurs de l'huile qui colle aux choses. Imaginez le passage obligé pour les enfants que nous étions par la mosquée avant d'aller à l'école «irromiyan» où on n'apprenait pas grand-chose. Imaginez le printemps, la débâcle et la fonte des neiges, le chant du ruisseau, le chant des oiseaux, l'embellissement extraordinaire d'une nature en fête. Ceci est aussi narré délicieusement par Augustin d'Hippone dans son ouvrage «La Cité de Dieu» la chasse aux chardonnerets avec la glue, une technique qu'avait expérimentée Augustin... C'est tout cela mon enfance... qu'avec l'âge j'ai une propension à embellir ne gardant que les bons moments. Histoire d'une Algérie méconnue La deuxième partie de l'émission a porté justement sur l'histoire de l'Algérie. A la question: «Pourquoi un scientifique des «sciences dures» a priori, loin des sciences «tendres» en est-il venu à braconner sur des terres qui ne sont pas les siennes? Ma réponse n'est pas simple, je crois honnêtement qu'une lente sédimentation s'est faite en moi en tentant de mettre en place les pièces d'un puzzle de l'histoire de l'Algérie que l'histoire coloniale avait falsifiée. Nous étions Gaulois jusqu'en 1962, et après les différents pouvoirs ont écrit une histoire incomplète, tronquée en zoomant sur la dernière période de la glorieuse révolution de Novembre. Mais qu'on se le dise, ces huit ans ne représentent qu'une petite partie de l'histoire de cette Algérie trois fois millénaire. Dix-huit siècles avant la venue des Arabes porteurs de l'Islam, il y avait un peuple vigoureux qui a traversé le temps, s'est battu, a cru en des divinités. L'avènement de l'Islam a donné une dimension supplémentaire à notre identité qu'il nous faut assumer avec ses heurs et malheurs. L'histoire telle qu'elle fut enseignée à nos enfants est partisane, injuste et surtout a contribué insidieusement à installer la fitna. Nous avons été colonisés! Soit! Pourquoi? Parce que nous étions colonisables! pour reprendre la boutade de Malek Bennabi. La civilisation islamique n'a pas su prendre à temps les virages rendus nécessaire par la marche du monde. Elle perdit inexorablement pied devant un Occident conquérant alliant le sabre et le goupillon, mais surtout les canons fruits de la première révolution industrielle au début du XIXe siècle. Justement, dans l'ouvrage «le passé revisité», j'ai voulu rapporter ce que je crois être nécessaire pour cimenter ce désir d'être ensemble dans un monde de plus en plus fragmenté de par la volonté des puissants. C'est à cette seule volonté que nous pourrions braver un avenir incertain avec une mentalité de vainqueur, fasciné par l'avenir, ayant fait la paix avec son histoire. A ce titre, j'ai dû citer dans l'ouvrage: «Le monde comme je le vois», nos modèles, ces besogneux de l'ombre tels que le professeur Abdelaziz Ouabdesselam, premier recteur de l'Université algérienne et directeur de l'Ecole polytechnique dont le sort actuel n'est pas enviable. La formation d'ingénieurs dont le pays a cruellement besoin est sacrifiée. Un autre géant pionnier fut le professeur Aoudjhane. l'un des pères fondateurs de l'Université algérienne post-indépendance. Mathématicien de talent, il fit à sa façon, un djihad de plus d'un demi-siècle d'enseignement sur tous les fronts où il fallait se battre contre l'ignorance, édifier, instruire, éduquer et pendant toute sa carrière donner l'exemple de l'humilité et de la force tranquille. Ce fut le père de l'université populaire. A bien des égards, à sa façon, le professeur Aoudjhane joua le même rôle que le regretté professeur Mostafa Lacheraf, de boussole et de repère au quotidien à des générations de scientifiques algériens. Pour la jeune génération, Kateb Yacine qui lui a dédicacé son premier livre de poèmes Soliloques lui fit cet hommage: «A mon professeur qui a vainement essayé de m'inculquer les mathématiques». Epoque bénie où le professeur Aoudjhane faisait passer son fils-élève comme nous - au tableau et le «cuisinait comme tous les autres élèves -ingénieurs. Conclusion Dans quel monde vivons-nous où on laisse mourir dans l'indifférence totale un pilier aussi respectable que ceux qui sont morts les armes à la main? Le djihad contre l'ignorance est un djihad toujours recommencé, c'est, d'une certaine façon, le «grand djihad» sans médaille, sans m'as-tu-vu, sans attestation communale, sans bousculade pour des postes honorifiques qui ne sont pas le fruit d'une quelconque compétence, mais, surtout d'une allégeance suspecte. Il en est de même des bâtisseurs de l'identité à l'image de Khelifi Ahmed à qui j'ai tenu à rendre hommage. J'en appelle à la réhabilitation des légitimités de ceux qui ont servi ce pays. Dans un monde de plus en plus crisique, nous n'avons pas le droit à l'erreur. Il faut réhabiliter la valeur travail autrement que par la distribution de la rente qui ne crée pas de la richesse et comme je l'ai dit, le discours sur la manne du gaz de schiste est un mauvais signal que nous donnons aux jeunes - Dormez braves gens, le gaz de schiste veille sur votre paresse. Nous continuons à pomper d'une façon frénétique des hydrocarbures pour enrichir les banques alors que notre meilleure banque est encore notre sous sol. Non! Rouler en 4X4 avec un portable vissé à l'oreille, gaspiller de l'énergie sans retenue, faire travailler les Chinois, les Turcs et les Français alors que le chômage est endémique, ce n'est pas cela le développement! La vraie feuille de route consiste, certes, à assurer le quotidien, le fil de l'eau, mais le vrai défi est celui de réussir une transition technologique énergétique d'une façon apaisée, en profitant de l'accalmie actuelle pour jeter les bases d'une stratégie de long terme visant à créer des richesses pérennes. J'en appelle encore une fois à un cap, une feuille de route des états généraux de l'énergie, de l'eau, de la sécurité alimentaire. C'est l'affaire de tous et de la société civile qui doit être consultée sur son avenir. C'est cela le Développement durable et l'éco-citoyenneté que j'appelle de nos voeux. En définitive, pour résumer l'émission, une histoire de trois mille ans, assumée et revendiquée par tous, contribuera à mettre fin à l'errance identitaire et nous permettra, je l'espère, de repartir à la conquête du futur avec une mentalité de vainqueur. La culture ce n'est pas seulement les cheb, les zerdas, les records de course, les matchs de foot, c'est aussi et, surtout, une contribution à l'émergence d'une Nation avec des valeurs universelles basées sur l'effort et le mérite. Que mille fleurs s'épanouissent pour cette Algérie bénie par la nature, capricieuse qui a traversé les vicissitudes du temps et qui peine à retrouver la sérénité!