L'Expression: Un groupe de travail sur les disparitions forcées est attendu prochainement en Algérie. Cela ne constitue-t-il pas une manoeuvre de chantage contre l'Algérie, menée de l'extérieur? Boudjemaâ Ghechir: Je ne pense pas qu'il s'agit d'une manoeuvre de chantage dont les desseins sont inavoués. Ce groupe sera en Algérie suite à l'accord des hautes autorités algériennes. Donc, il n' y a rien de douteux dans cette visite, de plus, cette visite ne peut en aucun cas nuire à l'Algérie. Et, il faut dire également que l'accord donné par l'Algérie au groupe de travail onusien sur les disparitions forcées exprime bel et bien l'ouverture voulue et manifestement affichée par l'Algérie quant à sa volonté d'en finir avec cette question relative aux disparitions intervenues durant la tragédie nationale, que des mauvaises langues tentent d'instrumentaliser. En tant que président de la Ligue algérienne des droits de l'homme, qu'en est-il de votre lecture du dossier des disparus, qualifié de clos par Me Farouk Ksentini? Personne n'a le droit ou peut disposer du droit de se prononcer sur la question des disparus et avancer un constat ou des conclusions définitives sans que les autorités ne mettent la lumière sur les différentes questions soulevées par les familles de disparus. Les discours de compassion et de solidarité à leur égard n'ont pas été suivis de mesures concrètes suffisantes. Les victimes du terrorisme n'ont pas été véritablement prises en charge. Il faut dire que l'exigence de vérité et justice doit concerner l'ensemble des victimes de la décennie noire. Les auteurs doivent faire l'objet de poursuites par la justice algérienne. Car, il s'agit d'un dossier qui continuera à rebondir si l'Etat ne met pas la lumière, toute la lumière, sur tout ce qui s'est passé durant la décennie noire. Aussi, il faut rejeter la situation confuse où tout le monde est coupable et tout le monde est innocent. Il faut identifier les assassins et les criminels pour les traduire devant la justice. En conclusion, il est à signaler que le terrorisme est vaincu ou presque, néanmoins l'Etat est appelé non seulement à gérer les séquelles dramatiques de cette tragédie, mais aussi engager des poursuites judiciaires contre tous les auteurs des crimes afin de mettre la lumière sur ce dossier pour qu'il ne soit pas exploité à des fins inavouées aussi bien sur le plan interne qu'externe. Certaines voix officieuses et officielles soutiennent que les familles des disparus ont été indemnisées et ont accepté les mesures prises à leur égard par les autorités. Qu'en est-il? La réparation est un droit inscrit dans les règles du droit international depuis le début du XXe siècle. Les conventions internationales de protection des droits de l'homme et la jurisprudence des organes de surveillances de leur mise en oeuvre, définissent l'obligation de réparation comme faisant partie de l'obligation de respecter et de garantir le respect des droits de l'homme. La réparation est un impératif de justice. Son but est de promouvoir la justice en remédiant aux violations. Donc, l'Etat est condamné à reconnaître juridiquement le statut de victime à toute personne ayant justifié cette qualité et ne plus considérer le problème de victime comme une question marginale, source de complications, mais comme sujet de droit. S'agissant maintenant des indemnisations, il faut savoir que plusieurs familles refusent d'être indemnisées sans qu'elles sachent au préalable le sort de leurs enfants ou de leurs proches. Elles demandent d'abord de connaître la vérité. Il y a des cas de disparition forcée avec preuves. Des décharges des éléments des services de sécurité témoignant de cette réalité existent. D'autant plus, même Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense nationale, actif durant la décennie noire, a reconnu qu'il y a quelque 8 000 disparus enregistrés durant cette période. C'est cela qui nous a conduits en tant que ligue des droits de l'homme à demander aux familles des disparus d'accepter les indemnisations tout en continuant en même temps leur combat pour connaître la vérité sur leurs enfants ou proches portés disparus.