Pourquoi seule la Révolution, les catastrophes naturelles (séisme de Boumerdès) «ou encore les victoires occasionnelles de l'Equipe nationale de football unissent ce que le fonctionnement ordinaire de la société et de la politique tend à défaire et à désunir le reste du temps?» C'est, entre autres à cette question qu'en bon ministre de la Jeunesse qu'il était, Hachemi Djiar, tente de répondre dans L'Algérie histoire sans tabous, des pistes pour l'avenir, publié aux éditions Anep. Il tente de dévoiler les raisons conduisant la jeunesse à être envahie par le désespoir. Pour comprendre cette désaffection «de la chose publique» qui «menace l'ordre républicain», il remonte jusqu'aux origines de la formation de la nation algérienne. Dans l'espoir que cette évocation du passé puisse aider à éclairer l'avenir. Toutes ces questions sont analysées dans un livre en deux tomes comportant 2000 pages. Cela renseigne de l'ampleur de la tâche à laquelle s'est attelé cet ancien wali qui a aussi conseillé le président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Dès les premiers chapitres, le ton est donné puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de réveiller la mémoire collective et de déceler les raisons de la perte de repères chez les jeunes générations. Puis la place est donnée à l'évocation des premiers contacts des habitants de l'Afrique du Nord avec les étrangers. Un contact violent, selon l'auteur, induisant le rejet des tentatives de romanisation prolongé par une rupture avec le monde européen face auquel a pu se construire l'identité maghrébine. Ce n'est pas toujours facile dans un contexte de colonisation auquel sont consacrés plusieurs chapitres du tome I. D'insurrections en révolution, l'être national est en marche: Ben Badis puis Messali Hadj sont cités comme acteurs de la construction de la dimension culturelle et politique du nationalisme algérien. Après l'achèvement de l'analyse de la pensée de ces deux pionniers, c'est au camp adverse que s'intéresse Hachemi Djiar. Il s'attarde à la page 644 sur le face-à-face avec De Gaulle. Pour bien retracer les étapes de la lutte anticoloniale, Djiar fait revivre les crises vécues par le Mtld jusqu'à parvenir à la phase qualifiée d'épreuve du changement portée par les jeunes au sein du «groupe des 22». Dans les pages qu'il consacre à la guerre d'indépendance, Djiar met le doigt sur ce qu'il qualifie de premiers grincements au sein du système FLN/ALN, sur la délégation extérieure sans oublier de retracer les conditions de l'entrée en scène de Abane Ramdane. Comme il fallait s'y attendre, la période de la guerre a donné des outils abondants à l'analyse historique. Tous les grands événements vécus en sept ans et demi sont restitués comme le Congrès de la Soummam. Il dresse aussi le portrait de celui qui deviendra le premier président de l'Algérie indépendante (Ben Bella) mais aussi de chefs tombés en martyrs à l'exemple de Ben M'hidi. Le CCE et le GPRA bénéficient aussi d'un traitement détaillé tout comme les hommes qui les ont composés et d'autres qui les ont combattus. La guerre des chefs reprend de plus belle à l'indépendance comme c'est décrit en page 1189 dans une course au pouvoir. 50 ans après l'indépendance, il est plus que temps de passer à autre chose, professe Hachemi Djiar selon lequel les prémices du changement étaient perceptibles à travers la Constitution de 1989. Le projet est entravé pendant des années et il a fallu attendre 1999 pour que le projet démocratique soit «précisé» puis le 15 avril 2011 lorsque «ledit projet entra dans une phase décisive de sa mise en oeuvre à la faveur de l'annonce officielle de réformes politiques», peut-on lire à la page 1299. Ce témoignage n'a pas les allures d'un quitus. Beaucoup reste à faire, explique Djiar. Un projet décliné sous forme de questions. «Comment traduire dans les mentalités et dans les moeurs le projet démocratique?» et «comment promouvoir le dialogue?» avec les syndicats, les partis et les associations? Les problèmes se posent, pour l'auteur, «avec d'autant plus d'acuité» que la génération des années 1990 «a ouvert les yeux dans le désordre et la violence caractéristique de l'une des périodes les plus sombres de l'histoire du pays». Hachemi Djiar pose cette question: qu'en serait-il de l'Algérie dans 50 ans? Dans sa conclusion, il se dit convaincu que «la gestion du présent et la projection dans le futur ne peuvent pas se passer de la référence au passé».