La notion des droits de l'homme n'a jamais été étrangère à la culture des Algériens. Déjà en pleine guerre de Libération, notamment après l'adoption de la plate-forme de la Soummam en août 1956, toute sanction ou exécution physique d'un moudjahid ou d'un citoyen coupable de faute grave, voire de trahison, ne doit être mise en pratique qu'une fois un tribunal de guerre du FLN aura statué. L'accusé a droit à un procès en bonne et due forme. A l'indépendance, la région de Kabylie s'est rebellée sous la houlette du FFS pour revendiquer le droit à l'expression politique plurielle. Les mots d'ordre du Mouvement culturel berbère en 1980 sont «Liberté d'expression», «A bas la répression» et «Reconnaissance de l'identité amazighe». Le document de Yakouren en 1981, élaboré par les principaux animateurs du MCB en présence des grandes figures du combat pour les libertés et la démocratie dont Kateb Yacine, préconisait la reconnaissance des langues algériennes et leur développement sans discrimination, le droit à la création syndicale et d'associations culturelles... Le concept d'égalité entre citoyens, les langues et les différentes régions de l'Algérie ressortait avec force dans ce document. Les différents soulèvements (1985, 1986, 1988) ayant suivi le Printemps berbère sont le résultat d'un déni des droits de l'homme de la part du pouvoir. Les événements du Printemps noir d'avril 2001 ne sont pas le fait du hasard. Ils résultent d'une bavure policière. L'assassinat de Guermah Massinissa dans une brigade de gendarmerie et l'enlèvement de deux collégiens d'Amizour ont mis le feu aux poudres. Dans le préambule du document de mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur, on peut lire à ce propos «ces deux actes sont vécus comme un suprême affront par toute la population, déjà éprouvée par une marginalisation extrême qui se traduit socialement par un chômage endémique, politiquement par une exclusion de tout débat sur son avenir et moralement par une hogra qui se manifestait sous plusieurs visages, allant de la brimade policière aux passe-droits dont les auteurs jouissaient d'une impunité exaspérante». La plate-forme d'El-Kseur, qui reste le condensas de toutes les revendications soulevées par les différents événements, intègre dans son approche la question des droits de l'homme dans les quatre chapitres allant de la réparation morale et matérielle vis-à-vis des victimes, du châtiment à la sanction des auteurs des crimes après jugement par les tribunaux civils, à des revendications démocratiques et historiques en passant par les revendications socio-économiques. L'indépendance de la justice, le droit à l'expression politique libre à travers des institutions (partis, parlement et autres assemblées) sont réaffirmés avec force dans le point 11 de ce document. La réhabilitation de l'identité historique de l'Algérie et l'exigence d'un statut de langue nationale et officielle de la langue amazighe, le droit à l'information par une liberté sans restriction de la presse et des médias en général sont autant d'indices qui conduisent à conclure que le document d'El-Kseur consacre les droits de l'homme. A titre illustratif, nous citerons quelques articles énoncés dans le document de mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur. «L'Etat s'engage à abolir tous les textes de loi à l'origine de la discrimination entre les hommes et les femmes», «l'Etat s'engage à lever les réserves émises lors de la ratification des conventions internationales relatives aux droits de l'homme». «Consécration de la lutte antiterroriste dans le cadre légal et officiel de l'Etat sans restriction des libertés individuelles et collectives garantissant son caractère républicain.» Les rédacteurs de ce document, au fait des problèmes liés aux violations des droits de l'homme par divers services de l'Etat, proposent l'élaboration d'une charte citoyenne consignant les devoirs des citoyens et de l'Etat à terme, c'est-à-dire que la question des droits de l'homme est au coeur même de la plate-forme d'El-Kseur.