«Le mouvement qui a jeté l'Algérie dans une guerre de huit ans, a été l'oeuvre de six hommes. Quand on découvre la pénurie, la misère des moyens, la démesure de l'entreprise paraît démentielle. Les six pourtant n'étaient pas des fous ; Simplement il leur était devenu impossible de supporter davantage l'inégalité, l'indignité auxquelles sur sa propre terre, on obligeait leur peuple». Joseph Kessel (de l'Académie française) 1er-Novembre 1954, un coup d'éclair dans un ciel serein. L'Algérie avait décidé de prendre en main son destin après des dizaines d'années de luttes politiques stériles. Mise en coupe réglée par un pouvoir colonial, avec une mentalité de «Sudistes», l'Algérie n'appartenait plus aux Algériens. J'emprunte à Roger Bonnaud l'appréciation, sans fioriture, suivante: «Imaginons 4 millions d'Allemands ou de Russes établis en France par le droit du plus fort et mettant en coupe réglée un pays exsangue se ménageant un revenu moyen 20 fois supérieur au nôtre (ceux des Français de la métropole : ndlr) et tous les privilèges d'une caste supérieure. Imaginons l'indigénat, l'absence de droits politiques, la burlesque institution des deux collèges, les élections truquées, la mauvaise foi des promesses jamais tenues, l'arbitraire policier, la ségrégation raciale, les sobriquets insultants. Imaginons le mépris, imaginons la misère noire, la famine, la maladie, la brutalité des rapports humains, l'analphabétisme et l'inculture. Imaginons la haine. La révolte éclatera, l». R.Bonnaud. Revue Esprit. Paris. Juin (1957). Devant cette atmosphère délétère, et la conviction que l'impasse du combat politique pouvait encore durer mille ans, la révolte était donc inévitable, une poignée d'Algériens eurent la conviction qu'il fallait passer à une autre forme de revendication. L'Appel du 1er-Novembre fut le détonateur de cette révolte. «A vous qui êtes appelés à nous juger, notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l'indépendance nationale...». Appel du 1er-Novembre. C'est par ces phrases que les combattants annonçaient à la face du monde leur volonté de combattre le fait colonial. Une poignée d'hommes sans moyens, avec une immense conviction sur la légitimité du combat mirent en oeuvre une Révolution qui devait servir de modèle à bien des mouvements de libération de par le monde. C.E.Chitour: «1954-2004, un instant dans une histoire trois fois millénaire». Conférence Toulouse, novembre 2004. Vision d'avenir Près de deux ans passèrent, la Révolution avait besoin de se structurer. Un congrès fut convoqué à l'initiative de Abane Ramdane et de Larbi Ben M'hidi et eut lieu en Kabylie. Réuni à partir du 20 août, le Congrès aboutit à une plate-forme le 5 septembre avec au final 13 participants. Ni les membres de l'extérieur (qui n'ont pas «pu» faire le déplacement ni les représentants de l'Aurès n'y participèrent. La plate-forme donnait les conditions des négociations avec comme seul interlocuteur, le FLN, et réaffirmait «l'indépendance de la Révolution, inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou ni à Washington». Il y eut la création de deux organes: L'un de, cinq membres, dénommé C.C.E. (Comité de coordination et d'éxecution), Krim Belkacem, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Saâd Dahlab et Benyoussef Benkhedda -des centralistes- y firent partie par souci de faire en sorte que le FLN soit un mouvement fédérateur. L'autre de 34 membres avec 17 titulaires et 17 suppléants, baptisé C.N.R.A. (Conseil national de la Révolution algérienne). Pour El Moudjahid, le C.C.E. est un véritable cabinet de guerre. C'est lui qui oriente et dirige toutes les branches de la Révolution: militaire, politique et diplomatique. Les chefs politico-militaires relèvent exclusivement du C.C.E. Qui, honnêtement, peut se prévaloir d'avoir lu et compris la plate-forme de la Soummam, véritable constitution où non seulement, elle tente de régler l'immédiat: l'organisation de la lutte par l'organisation de l'armée, la politisation des maquis, mais qui propose une vision d'avenir sur la base des grands défis externes en tenant compte des contraintes du pays. Parmi les congressistes, deux personnalités se détachent, elles peuvent, à juste titre être considérées comme les éminences grises, voire les idéologues de la Révolution algérienne ; Abane Ramdane était l'un des dirigeants les plus éminents de la Guerre d'Indépendance. La plate-forme politique de la Soummam, dont il a supervisé de bout en bout la rédaction, exigeait des combattants le respect des lois de la guerre -la convention de Genève- et de «donner à l'insurrection un développement tel qu'il la rende conforme au droit international.» Une double exigence qui fournira à la délégation algérienne aux Nations unies la base de son travail. La charte politique de la Soummam récusait en même temps toute guerre de race ou de religion et toute régression vers un état moyenâgeux, comme le prétendaient les ultras de la colonisation. «La Révolution algérienne qui vient de dépasser avec honneur une première étape historique [...] est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruire en quelques mois. C'est une Révolution organisée et non anarchique. C'est une lutte nationale pour mettre fin au régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C'est une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers les féodalismes. C'est enfin la lutte pour la renaissance d'un Etat algérien sous la forme d'une République démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie et d'une théocratie révolues.» Extrait du procès verbal du Congrès: Plate-forme de la Soummam du 20-Août 1956, El Moudjhahid numéro spécial n°4. Collation en Yougoslavie n°1 à 29 p. 60-73 , 1962. Moins de deux ans plus tard, Abane Ramdane mourut d'une façon tragique sur ordre de ses compagnons d'armes. Le journal El Moudjahid donne une autre version: «Abane Ramdane est mort au champ d'honneur». Le Front de libération nationale a la douleur d'annoncer la mort du frère Abane Ramdane, décédé sur le sol national des suites de graves blessures reçues au cours d'un accrochage entre une compagnie de l'Armée de libération nationale chargée de sa protection et un groupe motorisé de l'armée française [...]. La belle et noble figure d'Abane Ramdane, son courage et sa volonté ont marqué les phases essentielles de la lutte du peuple algérien [...]. El-Moudjahid,. numéro 24. Le 29 mai 1958. L'autre Saint-Just de la Révolution fut Mohamed Larbi Ben M'hidi. Pressentant l'opposition sans merci qui dressait Ben Bella contre Abane, Ben M'hidi eut ses mots prémonitoires: «J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir. Car lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places. Ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà. Des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux...Oui, avait conclu Ben M'hidi, j'aimerais mieux mourir au combat. Avant la fin.»Y. Courrières: Le temps des léopards. P.496. Editions Fayard. 1969. Lui aussi mourut des mains de l'opresseur. Il eut de l'avis de ses bourreaux un comportement digne jusqu'au bout de son calvaire. Nous ne connaissons pas notre histoire ! Pourquoi la laisser être travestie par des partisans de la «nostalgérie» ; A titre d'exemple, Il est regrettable que la réponse d'éminents historiens n'ait pas autant été médiatisée, que le torchon révisionniste d'un écrivain médiocre en proie à la nostalgie française que Mohamed Harbi et Gilles Meynier dans une tribune ont tenté de démonter la mécanique du mensonge de l'historien autoproclamé, Georges Marc Benamou: «Dès sa sortie à l'automne 2003, écrivent-ils, ‘‘Un mensonge français'' a fait l'objet d'un battage médiatique» ; il a eu droit, notamment à une heure de grande écoute, à une tribune dans l'émission présentée par Arlette Chabot, Mots croisés, Pratiquement pas un mot sur le bientôt biséculaire contentieux franco-algérien. A peine une douzaine de lignes, page 250, en remord furtivement tardifs, sur les ignominies coloniales qui ont pesé si lourd. Même pas un rappel de la sanglante conquête de l'Algérie ; si l'on y décompte les centaines de milliers de morts de la famine de 1868...Elle coûta à l'Algérie autour d'un million de morts, soit pas loin d'un tiers de sa population... Si l'on retient l'évaluation plausible de Charles-Robert Ageron -historien à qui l'on peut faire confiance-, la guerre de 1954-1962 aurait tué autour de 250.000 Algériens, ce qui, rapporté à la population, représente le nombre de morts de l'épouvantable guerre d'Espagne, quatre lustres plus tôt. Dans le cas de Georges-Marc Benamou, Français d'Algérie et juif arraché tout jeune enfant à sa patrie algérienne, même une douleur réelle n'autorise pas à dire n'importe quoi. Ainsi, «totalitarisme» est mis dans son livre à toutes les sauces. Le FLN fut pour lui «totalitaire», «un parti totalitaire». Souvent, terrorisme est traité en quasi-synonyme de totalitarisme. Comme Camus, notre auteur ne dit jamais «les Algériens», mais «les Arabes», conformément aux vieilles taxinomies coloniales. La citation que Benamou tirée de la préface de Camus aux Chroniques algériennes en 1958, pourrait, à la virgule près, figurer dans n'importe quel rapport d'officier français du 2ème Bureau. Qu'on en juge: «[Si Camus] ‘‘ne peut approuver une politique de conservation ou d'oppression, [il ne peut] non plus approuver une politique de démission qui abandonnerait le peuple arabe à une plus grande misère, arracherait de ses racines séculaires le peuple français d'Algérie et favoriserait seulement, sans profit pour personne, le nouvel impérialisme qui menace la liberté de la France et de l'Occident''.» Mohammed Harbi et Gilbert Meynier critique du livre de Georges-Marc Benamou: Un Mensonge français. La Tribune, 12 février 2004 «Un demi-siècle plus tard, écrit Abed Charef, l'Algérie se trouve confrontée au même défi, mais elle refuse de tirer les leçons les plus évidentes du Congrès de la Soummam...Elle a échoué à élaborer une démarche politique, même incomplète, pour se projeter dans l'avenir...Par ailleurs, le Congrès de la Soummam a donné les contours de que devait être la souveraineté nationale. Mais dans le monde complexe d'aujourd'hui, la souveraineté a changé de sens...Il faudra bien que l'Algérie se pose un jour la question de savoir comment préserver et renforcer sa souveraineté. C'est un débat qui fait cruellement défaut, tant l'exercice libre de la politique est banni». A Charef. Le Quotidien d'Oran du 17 aôut 2006. Ces propos sont pleins de bon sens, tout au plus, pourrait-on se poser la question: quel est le projet de société pour une jeunesse qui, à 80% est née après 1962, qui n'a rien connu de la Révolution sinon que des ersatz sombres qui nous ont permis de multiplier par miracle le nombre de moudjahed à plus d'un million? Jeunesse qui entend parler d'une «famille révolutionnaire» qui s'intronise gardienne de la Révolution qu'ils ont défendue...par procuration. Quand des «enfants» de moudjahid «quinquagénaires» revendiquent des pensions, il y a quelque chose de perverti dans cette Algérie qui nous tient à coeur. Quel est le sort qui a été fait à la Révolution? Force est de constater que les différents occupants du pouvoir n'ont pas su entretenir la flamme qui était en chacun de nous. Au contraire, l'Algérie qui était à juste titre, la Mecque des mouvements révolutionnaires a perdu son aura. Quand on pense que pendant la Révolution, des dizaines de thèses ont été soutenues de par le Monde, notamment aux Etats-Unis sur la Révolution et les espoirs qu'elle permettait pour les peuples sous le joug des colonisations. Quand on pense que des hommes comme Kennedy s'étaient pris de sympathie pour la Révolution algérienne représentée par des ténors tels que M'hamed Yazid, Abdelkader Chanderli et tant d'autres qui ont su, non seulement résister à l'intoxication des médias officiels français, mais rendre d'une façon élégante, coup sur coup, au point que l'inscription de la «Question algérienne à l'ONU» était aussi décisive qu'une bataille de l'ALN. Nous ne connaissons pas notre histoire si ce n'est les certitudes de l'histoire officielle, les différents pouvoirs pensant à tort, que le peuple n'est pas encore mûr pour connaître la vérité sur l'histoire trois fois millénaire de ce pays et dans laquelle la Révolution aussi prestigieuse qu'elle ait pu être ; ne peut et ne doit constituer qu'un maillon dans la chaîne de l'Histoire de ce pays. Se réconcilier avec l'Histoire Si on veut que l'histoire ne soit travestie, car écrite par des Benamou, ou par des clients du régime, il est nécessaire de faire émerger, voire libérer les énergies créatrices et compétentes dans ce domaine. L'écriture sereine de l'histoire devrait faire l'objet d'un axe du Programme National de Recherche majeur du pays. C'est, croyons-nous, le premier pas vers la vraie réconciliation de ce pays avec son histoire. On peut, à l'infini, proroger le délai de grâce, rien de pérenne n'en sortira tant qu'on n'aura pas mis à plat les bonnes et les mauvaises choses qui fâchent. Certains documents non restitués par la France qui a une grande responsabilité dans la chape de plomb concernant les archives, sont peut être explosifs, mais il nous faut regarder l'Algérie dans les yeux. Il ne sert à rien de se revendiquer du 20-Août, cinquante après, quand on tourne le dos à l'histoire, préférant être confortés par une «famille révolutionnaire» dont on ne connaît pas les faits d'armes de ses membres et dont a besoin l'Algérie du 3e millénaire, si ce n'est d'exploiter à tort l'aura de leurs parents, pendant que l'immense majorité des Algériens ne rêve que de quitter cette Algérie où ils n'ont pas leur place. «La date humiliante du 5 juillet 1830 sera effacée avec la disparition de l'odieux régime colonial. Le moment est proche où le peuple algérien accueillera les doux fruits de son douloureux sacrifice et de son courage sublime: L'Indépendance de la Patrie sur laquelle flottera souverainement, le drapeau national algérien». C'est par ces mots que se clôture le Congrès de la Soummam. Nul doute que cet espoir est toujours d'actualité. Pourquoi, alors, ne prendrait-on pas date avec l'Histoire et faire de ce cinquantième anniversaire celui de l'appel à tous les Algériens sans exclusive autour d'un projet de société que nous devrions patiemment élaborer. Nul doute que nous irons véritablement de l'avant et que nous rendrions, à n'en point douter, l'espérance à ces millions de jeunes qui ont perdu leurs illusions.