Il y a ceux parmi les proches des accusés qui n'attendent que la vérité les quatorze accusés ont tous déclaré chez le juge d'instruction que leurs déclarations avaient été faites en toute sérénité, loin des contraintes. C'est à 9h45 que la présidente du tribunal criminel de Tizi Ouzou entra solennellement dans la salle d'audience où une petite assistance avait pris place. Vingt minutes auparavant ce fut l'ouverture de la session criminelle où 99 affaires figuraient au rôle qui a commencé hier, avec l'affaire de l'entrepreneur assassiné par un groupe dont quatorze accusés étaient entrés dans le box menottés par précaution. La présidente est décontractée. Elle appelle un par un les prévenus et leurs conseils dont le seul nombre aurait dû pousser le ministère de la Justice à programmer ce dossier un peu trois jours, moins... trente» selon Me Mokrane Aït Larbi, en super-forme aux côtés du bâtonnier de Tizi Ouzou franchement discret car concentré autour des accusations portées contre Abdoun son client. La séquence d'appel est franchement longue et particulière. On note des absents du côté des témoins, victimes et accusés. Le temps s'étire car le tirage au sort des jurés n'a pas encore eu lieu. Le service d'ordre est impeccable. Quatre gendarmes rendent les honneurs, «denrée» rare ailleurs. Les ayants droit sont sagement installés dans la salle. La maman de Hand Slimana, la victime criblée de balles, est vraiment calme. Le foulard et la robe berbères cachent la douleur qui la brûle depuis près de deux ans. Ahmed Benmadani, le procureur général attend la fin de la longue lecture de l'arrêt de renvoi, un document plein à craquer de détails macabres où les kidnappings, les coups de feu, le sang, les mouvements du grand banditisme sont à l'index. Parmi l'assistance filtrée au maximum et où les intrus et autres gars qui ont du temps à perdre sont «non grata» il y a des victimes venues vider leur sac. Les trois mots implacables... Il y a ceux parmi les proches des accusés qui n'attendent que la vérité de ce qui s'est réellement passé lors du meurtre de Slimana, cet entrepreneur qui était loin de s'attendre à une fin aussi tragique dans de sombres circonstances que seuls des débats sereins mettront à jour. C'est pourquoi dès que le premier accusé eut été appelé à la barre, nous avions senti chez le tribunal criminel dont les deux jurés, le désir de connaître le moindre détail autour de l'abominable crime précédé du rapt, ce qui avait ébranlé le pays, la région de Fréha, Azazga et Mekla en tête. Ce qui fait murmurer les trois mots implacables: la peine capitale. D'ailleurs, à l'issue de la pause ordonné» par la présidente, les proches étaient heureux du comportement du tribunal criminel et de sa présidente qui fera tout pour acculer les accusés qui ont tous adopté une négative position: celle de ne cesser de démentir la police judiciaire et la juge d'instruction. D'autres ne font que reprendre les véritables motifs qui ont fait que Hand Slimana, l'entrepreneur, soit assassiné et sont allés de la préméditation au meurtre du pauvre père de famille dont la maman garde un regard si triste qu'elle n'avait pas prononcé un seul mot, se contentant d'écouter ce qui se dit autour du forfait... Le deuxième accusé, celui de l'agence immobilière, adopte la même tactique que Youba. Il affirme que c'est ce lundi qu'il dit la vérité. En un mot, l'audition face au juge d'instruction n'est que de la «science-fiction». Or, la présidente, qui avait deviné la ruse, s'est armée de patience et de «verbes expressifs» juste pour leur montrer que ce tribunal criminel n'était pas composé de marionnettes, mais bel et bien de juges et jurés venus rendre justice au nom du peuple algérien, celui-là même qu'on a malmené, kidnappé, insulté, tué à la suite de spectaculaires opérations à la limite de la sauvagerie. La présidente dit de suite à l'accusé qu'il était le seul du groupe de bandits à maîtriser la langue arabe. «J'ai terminé le magister. Il ne reste que l'examen», souligne l'accusé qui a été reconnu par Slimana qui avait informé que la voix qui était au bout du fil était celle de quelqu'un de très calé en langue nationale. «Votre rôle était de préparer le lieu d'accueil des victimes», renchérit la juge non effarouchée que cet intellectuel ait quatre avocats pour le défendre, preuve que son sort ne souffre d'aucune contrainte... La juge trouve que dans cette affaire, il y a trop de coïncidences. L'accusé se fâche et proteste contre l'absence de ceux des kidnappeurs que l'on connaît très bien et qui sont dehors en liberté. Et il rappelle pour la énième fois qu'il n'était pas avec eux, mais que quelques jours auparavant, il avait préparé le lit pour la victime Slimana qu'il n'a jamais vu! Revenant au meurtre de Slimana, la juge vérifie le lieu de rendez-vous des bandits: «Dans l'agence immobilière, je suppose?» L'accusé essaie de dribbler, vainement. Et puis il y a le nom de Saddek qui revient à chaque intervention de la juge. Elle a en tête un «truc» attendu, pour plus tard peut-être, surtout qu'elle finit par demander quelle est la relation de Saddek avec Boussaâd qui se déplacent souvent à Ghardaïa, au Sud, à Laghouat, etc. Et à propos d'amitié: «Un frère ne fait pas pour vous ce que fait ce Saddek!», commente la juge qui rappelle que Youba a reconnu certaines attaques à Fréha contre un commissariat ou lors de faux barrages çà et là dans la région. «Or, pour certains faits, vous aviez déclaré que c'était l'oeuvre de votre frère que vous présentez ce jour comme 'malade''!», enchaîne Bouamrane qui, là aussi, rappelle que les quatorze accusés ont tous déclaré chez le juge d'instruction que leurs déclarations avaient été faites en toute sérénité, loin de contraintes. Youba la contredit: «Non, je n'avais pas toutes mes capacités mentales en faisant mes déclarations», dit-il. La juge précise: «Vous aviez été entendu cinq fois!» Maître Aït Larbi accable Youba Maître Mokrane Aït Labi, un des avocats de la victime Slimana, posera le premier la question pour savoir si Youba connaissait personnellement la victime. «Non, je ne le connaissais pas. Jamais!» répond l'accusé qui souffre énormément lorsqu'il est question de Slimana. C'est à croire qu'il est hanté par son âme... Maître Aït Larbi vide son sac par un flot de questions à l'accusé qui élude beaucoup d'entre elles... dommage! «Après la mort de Slimana, vous aviez décidé de ne plus aller vers ces actes. Boussaâd vous a menacé de représailles, alors qu'auparavant, vous aviez même brûlé vos effets «afghans» dit la juge qui passe à la vitesse supérieure car les prévenus n'ont pas que la mort de l'entrepreneur... Youba, l'accusé est poussé dans ses derniers retranchements lorsque la juge l'informe que des victimes rachetaient dans les bars aux propriétaires des véhicules volés et utiles dans les opérations frauduleuses et l'avaient reconnu lors de la confrontation. «Oui, vous faisiez partie de cette bande qui terrorisait la région Fréha-Mekla, Aghrib» lâche la magistrate qui prend acte d'une question de Allel Hatab, le premier assesseur qui a d'ailleurs beaucoup participé aux débats qui ont souvent visé les nombreux déplacements de Youb, l'accusé, sur Alger-Tam, pour des missions «spéciales» de remise de «colis». «Je recevais mes frais de déplacement et de séjour ici sur place!» a précisé l'accusé qui semble plus serein jusqu'au moment où la présidente prend la mouche lorsque l'accusé a «sommé» le tribunal de le laisser s'expliquer. «Vous me posez une question et vous ne me laissez pas répondre!» dit énervé Youba qui change de ton au moment où Farida Bouamrane lui rappelle que c'était elle «qui pose les questions» campe-t-elle après avoir pris à témoin que Youba parle depuis une heure. Et ce Youba qui ne cesse d'aller à contre-sens de ce qu'il a déjà déclaré devant les gendarmes et le juge d'instruction... Le premier accusé passera de chaudes minutes face à une présidente qui domine son sujet. Elle laissera le détenu s'exprimer avant de le «mitrailler» de pertinentes questions dont les réponses ne rassurent pas toujours le tribunal criminel. A propos de possession d'armes à feu, la magistrate explique que les groupes armés avaient des chefs qui ne s'aventuraient jamais pour libérer leurs co-acolytes voulant rejoindre leurs foyers, armés. «Non, jamais. Il n'est pas de coutume de voir un élément armé sortir avec une arme», s'est-elle exclamée avant de rassurer l'accusé: «Exprimez-vous librement. Dites-nous tout ce que vous savez. Alors, ce n'est pas la peine de me demander de vous laisser parler», ajouta-t-elle, sûre d'avoir fait mouche car un accusé qui parle beaucoup peut permettre au tribunal de pêcher un peu de vérités évidentes et enfonçantes, puisque la présidente a voulu comprendre pourquoi il avait été choisi par les groupes armés pour emporter une arme de guerre à Azeffoun, un soir d'une pluie diluvienne. L'accusé se perd par moments à propos de cagoules portées par les terroristes en expliquant que lors des opérations de kidnapping, les vêtements et les «chèches vert wagon» étaient de rigueur. Sautant sur l'appel téléphonique à la famille du kidnappé, la magistrate a rappelé que le numéro de téléphone de l'accusé avait été relevé. L'accusé nie là aussi. «Si, si, les négociations avec les familles des kidnappés avaient été menées par l'intermédiaire de votre portable!», tranche la juge qui s'accroche à l'achat d'armes à feu grâce à l'argent salement acquis lors de vols de matériels de toute nature. L'audience est levée. C'est une décision de renvoi qui est annoncée.