Treize individus auront à répondre, devant le tribunal criminel de Tizi Ouzou, de l'assassinat de l'entrepreneur Hand Slimana et du rapt de son cousin Omar. L'audience s'annonce riche en révélations. Qu'ils soient affiliés à la nébuleuse islamiste, comme il est souvent avancé en l'absence d'informations complètes et fiables, ou au grand banditisme, les nombreux actes commis par les groupes d'individus qui sévissent ces dernières années en Kabylie relèvent tout bonnement du terrorisme puisque, dans les deux cas, ils ont semé la mort et la psychose, engrangé un argent des plus sales et fait fuir de la région au moins 71 opérateurs économiques qui auraient pu créer des emplois sinon, au moins, préserver ceux qu'ils avaient déjà créés. C'est une des affaires de ce genre et qui ont défrayé la chronique que le tribunal criminel de Tizi Ouzou aura à traiter à partir de lundi dans une audience qui s'annonce riche en révélations. Les 13 accusés qui devront répondre à la barre non seulement aux questions du juge et du procureur mais aussi à leurs 41 victimes, 11 témoins et, à travers eux, à toute la population qu'ils ont terrorisée des années durant, sont impliqués dans pas moins de 19 affaires criminelles dont 3 affaires de kidnapping. Ces 13 accusés auxquels s'ajoute un autre en fuite, devront répondre d'au moins 8 chefs d'inculpation dont constitution de groupe de malfaiteurs, homicide volontaire avec préméditation, enlèvement à l'effet de demande de rançon, vol qualifié avec utilisation d'armes à feu, commercialisation d'armes et munitions de guerre de la catégorie 4, port d'armes de guerre sans autorisation et blanchiment d'argent de provenance criminelle. Parmi les plus importantes affaires dans lesquelles sont impliqués les membres de ce groupe figure celle de l'enlèvement qui s'était soldée, pour la première fois depuis l'apparition de ce phénomène dans la région en 2005, par la mort de la victime. Il s'agit de Slimana Hand, 48 ans et père de 5 enfants, décédé au bout de 4 jours de lutte contre une mort que ses ravisseurs lui ont préparée au détour d'un virage à Bouhlalou, dans sa région natale d'Aghribs, à une quarantaine de kilomètres au nord est de Tizi Ouzou. Le film de l'assassinat de Slimana Hand Il était 21h. 14 novembre 2010. Slimana Hand se dirigeait tranquillement vers son village natal, Imekhelaf, à bord de son véhicule Hynday 4x4 de type Santa Fe que conduisait son cousin Omar avec lequel il venait de dîner dans un restaurant à Azazga. Alors que le véhicule amorçait un virage de la route longeant la dense forêt de Bouhlalou, trois individus armés lui obstruent la route. Ils ordonnent au conducteur de s'arrêter. Un des assaillants dirige son projecteur puissant sur le véhicule qui s'immobilise malgré l'insistance de Hand, nous raconte-t-on, à foncer droit. C'est un faux barrage. Les occupants du véhicule descendent. Hidouche, comme tout le monde le surnomme familièrement, tente de résister à ses ravisseurs vêtus de treillis militaires et encagoulés. S. Djamel tire deux balles, en guise de sommation, dit-on. Mais une des balles sorties du kalachnikov que tenait I. Sofiane atteint Hand au ventre. Ce dernier est abandonné, blessé et à terre, et Omar est conduit à bord du véhicule des victimes jusqu'au village El-Kahra, une commune voisine de Fréha. Prenant le relais, H. Sadek conduit ses deux acolytes, T. Juba et le surnommé Omar Tizi Ouzou ainsi que, dans la malle de son véhicule de type Volkswagen, Omar Slimana, vers un logement loué auprès de B. Mohand à Tagana, dans la localité voisine de Mekla. Omar Tizi Ouzou et H. Sadek se sont chargés, ensuite, de mener les négociations pour obtenir l'argent de la rançon avec Lounès, le frère de Omar Slimana. Mais après la mort de Hand, le 19 novembre, et la mobilisation populaire dans la région, Omar a été libéré le 21 novembre à 2h du matin près du village Aït Zellal sans versement de rançon. Ils voulaient la rançon et la mort de Hand Après la libération de Omar Slimana, son frère Lounès aurait révélé que les ravisseurs avaient exigé une rançon de 15 milliards de centimes faute de quoi la famille Slimana serait exécutée. La demande a été ensuite réduite à 4 milliards de centimes. Après la mort de Hand qui a succombé à ses blessures, les ravisseurs informent Lounès que des “émirs” venus de Saïda et d'Aïn Defla pour “trancher le cas de son frère” ont décidé de libérer Omar dans 48h en contrepartie du versement d'une somme de 500 millions de centimes. Lounès répondit qu'il ne possédait pas cette somme et les ravisseurs lui recommandent de solliciter les frères de Hand pour la réunir. Après 8 jours de captivité, Omar est libéré sain et sauf mais il continuait, a-t-il affirmé, à recevoir des appels de ses ravisseurs lui exigeant de payer par tranche la dernière rançon exigée, puis, 6 jours après, pour l'informer qu'un délai supplémentaire lui est accordé pour son paiement. D'où la remise de son portable aux services de sécurité, affirme-t-il. D'Al-Qaïda Maghreb à Al-Qaïda d'Aghribs À l'arrestation des auteurs présumés de ce rapt qui a tourné en assassinat, la stupeur a pris place dans les esprits des habitants des Aghribs qui ont eu à connaître Hand Slimana pour ses actions de bienfaisance au profit de la population locale dont il recrutait à chaque fois que possible jeunes et plus âgés pour son entreprise de travaux publics. Au moment où tout le monde pensait que les ravisseurs étaient affiliés à l'organisation Al-Qaïda Maghreb, l'enquête menée par la gendarmerie de Fréha a abouti à l'arrestation de personnes de la région. L'auteur du tir qui a eu raison de Hand, à savoir I. Sofiane, 23 ans, et un de ses deux acolytes, T. Juba, sont d'un village de la commune d'Aghribs. Idem pour I. Hacene et T. Boussad qui dirigeaient l'opération de loin. Le cerveau de l'opération, H. Sadek, ainsi que A. Lyes, S. Djamel, A. Rabah, S. Hali et A. Mohammed sont, quant à eux, de Fréha. B. Mohand, le propriétaire du logement où avait été retenu l'otage est de Mekla alors que S. Omar est de Bouhinoun, dans la commune de Tizi Ouzou et les deux vendeurs d'armes, B. Abderrazak et M. Antkan, de Tamanrasset. Le cerveau, magistère en droit, voulait devenir officier de police Après son arrestation, H. Sadek, âgé de 33 ans au moment des faits, a été présenté comme le cerveau du groupe. Dans sa région natale, à Fréha, où il avait créé son agence immobilière, il était insoupçonnable. Il est diplômé en droit de rang magistère. Selon des sources locales, il voulait concourir au grade d'officier de police. Pour camoufler ses activités criminelles ? En tout cas, c'est à ces dernières qu'il consacrait le gros de son temps depuis la constitution de ce groupe de malfaiteurs vers la fin de l'année 2009. C'est lui qui planifiait les opérations et qui avait loué, à Mekla, le logement où Omar avait été gardé en captivité. C'est également lui qui a dirigé l'opération qui a coûté la vie à Hand Slimana et qui négociait la rançon avec le frère de Omar Slimana. Aujourd'hui, à Aghribs, l'on s'interroge : H. Sadek était-il le cerveau du groupe ou avait-il des parrains qu'il n'a pas dénoncés. On se dit surtout étonnés par la précision de l'opération et ce “travail de professionnel” qui a ciblé un homme qui ne venait pourtant que rarement au village et qui venait, de surcroît, de rentrer de France. L'heure de vérité Le démantèlement de ce réseau de la terreur a été rendu possible suite à... un accident de la route. Le 2 janvier 2011, le téléphone de la gendarmerie de Fréha sonne. Au bout du fil, un anonyme signale un véhicule de type Golf 4e génération qui venait de percuter un poteau électrique à Timizart et que trois 3 personnes, dont une portait un sac noir suspect, qui pourrait contenir des armes, ont abandonné le véhicule sur place. Les gendarmes se rendent sur les lieux et découvrent que le véhicule appartenait à T. Boussad, qui venait de purger une peine de 7 ans à la prison d'Aflou. De fil en aiguille, 13 personnes sont arrêtées et une autre demeure en fuite. Le groupe a été l'auteur de 19 actions terroristes dont 4 attaques contre des camions de transport de boissons alcoolisées, 7 attaques contre des bars, deux faux barrages, 3 attaques contre des commerçants ainsi que 3 kidnappings, celui de Mehadi Nourdine, le 9 décembre 2010 à Yakourène, celui d'Ibarar Lounès, le 4 juillet 2010, puis celui de Hand et Omar Slimana le 14 novembre 2010. Tous ces actes ont été perpétrés par des individus encagoulés, portant des treillis paramilitaires, des tenues afghanes, qui ont souvent usé d'armes de guerre et qui se présentaient comme des membres d'Al-Qaïda au Maghreb. Devant le juge d'instruction, les inculpés ont, pour la plupart d'entre eux, nié les faits qui leur sont reprochés et qu'ils avaient auparavant reconnus devant les services de sécurité. Le procès qui s'ouvre aujourd'hui, très attendu par la population, fera-t-il toute la lumière sur cet incroyable enfer imposé à toute une région. S L