La situation de dérèglement des références de la jeunesse indique la non-réciprocité des réseaux d'écoute et de signalisation des détresses individuelles ou collectives... Dans la réalité algérienne, la jeunesse est au centre de pratiques conférées à la famille, aux structures scolaires, aux espaces sociaux, aux appareils de pression et dans une mesure relative, aux institutions d'intégration, d'accompagnement et de communication. De fait, les règles de socialisation proposées aux diverses catégories de jeunes s'avèrent inopérantes ou exclusives. Il est possible d'en situer les effets dans les innombrables situations de déchirement et d'errance. Les manifestations violentes ou marginales en situent une traduction psychique différée 1. Au plan sociologique et politique une majorité de jeunes s'affirme structurellement et fonctionnellement excentrée par rapport aux processus de transformation sociale, économique et culturelle, initiés par l'Etat. Cette problématique, qui confine à une attitude de contre-investissement, interroge alors les acteurs des champs sociaux, institutionnels et législatifs sur les déterminants et les mécanismes de rejet des modèles et des réseaux prescrits ou créés. Ce cloisonnement du rapport au politique et au social est corrélé aux disparités psychosociales du champ socioéconomique et des pratiques culturelles. Les lieux et les règles identitaires sont encore à produire pour pouvoir déterminer une adresse intelligible et reconnaissable aux intentions et aux discours politiques. C'est d'avoir longtemps immergé la réalité sociale de la jeunesse dans un appareil conceptuel et/ou pragmatique, de formation idéologique, qui confère, aujourd'hui, des ruptures de correspondances effectives et latentes. Il en résulte une situation d'enclavement et de solitude sociale où les populations de jeunes issues, majoritairement, de migrations diverses sont confrontées aux divisions internes de choix indécidables et de communications manquées, aliénantes et anxiogènes 2. Le tort, aux plans de la méthode et de la résolution politique, est d'avoir cru possible de fédérer des ensembles humains disparates sur la base de l'intercession institutionnelle et vaguement contextuelle des structures de la jeunesse. Et a fortiori, ces structures sont mises en faillite par un dérèglement ou une rigidité de leur fonctionnement et l'inadéquation de leurs propositions relativement aux contenus de la demande sociale de la jeunesse. L'inappropriation des définitions alléguées aux missions des structures de la jeunesse est encore entravée d'un système d'interaction institutionnelle, ségrégatif, hermétique et consensuel. Les contenus de la vie sociale de la jeunesse désignent de nombreuses situations d'attente et d'apprentissage mais également d'exclusion et de souffrance. Il existe un protocole de dysfonctionnements constitué de crises conflictuelles, de fragilité économique et sociale, de dépréciation politique et de distorsion des appartenances 3. Quel coefficient d'intégration et quelle plus-value sociale faut-il alors attribuer aux structures appelées à pallier les carences socio-éducatives du champ scolaire et familial? De fait, de nombreux indicateurs du contexte psychosocial désignent la fragmentation, dans les systèmes de discours, de pratique de pouvoirs et de représentation publique, de l'unité sémantique, démographique et psychique de la jeunesse qui confère un vecteur de dépersonnalisation 4. Il existe une disparité d'identités, d'appartenances et de cohésions dans les formations groupales de jeunes qui ordonne l'émergence d'une configuration humaine plurielle. Les jeunesses, culturellement et idéologiquement mobiles, sont encore différenciées aux plans des biographies individuelles et de l'esthétisation de l'expression collective. La dépolarisation sociologique de l'ensemble humain de la jeunesse, aux seuils de l'organisation structurale, des modes de production et d'identification, s'accompagne alors de reformulation implicite des règles à satisfaire, des filiations, des alliances et des attributions de pouvoirs 5. La contagion de modèles et de rites culturels interférents, les compétitions sociales, d'ethnies et de classes, désafférentent les attaches et la cohabitation habituelle avec des valeurs résidentes au profit de lignées individuelles et égocentriques. Cette occurrence est marquée en Algérie, depuis une décennie, par des pratiques d'exil social et culturel élaborées par des parents de la filière bourgeoise et petite bourgeoise (cf. universitaires, avocats, médecins, décideurs, commis de l'Etat, rentiers, binationaux) qui transfèrent, systématiquement, leurs enfants à l'étranger dès l'obtention du baccalauréat. Cette jeunesse manquée pour ce pays, ses habitants et sa culture, continue de représenter, paradoxalement, le vivier stratégique des reconversions de pouvoirs, de capitaux productifs et de prébendes institutionnelles. Cette situation confère, invariablement, l'apparition de citoyennetés parentes, loyales et inclusives face à des citoyennetés de la marge, dissemblables et périphériques 6. Cette occurrence, élaborée ou accidentelle, des mouvements d'inclusion et d'exclusion, comporte des risques récurrents pour l'équilibre identitaire des structures sociales. En contrepoint, la fixation d'échelles sociales ou économiques serait davantage productive qui déterminerait des mécanismes de transformation et de réappropriation des espaces fondateurs ou modérateurs. Les effets d'une politique sociale et culturelle discriminante s'objectivent, tantôt, dans des formules de décomplémentarisation des rôles sociaux et des relations d'objets et l'investissement de contextes de productions marginales ou pathogéniques. Dans une récente lecture de son rapport de conjoncture, le Conseil national économique et social (Cnes), situait les mécanismes et les incidences du basculement d'une importante proportion du champ de la jeunesse dans des pratiques déviantes et délinquantes. Ce constat informe un manque de l'Etat, comme il situe la fragilité du système de maillage préventif des structures de contrôle, de cooptation scolaire, de santé publique et de protection sociale. La situation de dérèglement des références de la jeunesse indique, également, la non-réciprocité des réseaux d'écoute et de signalisation des détresses individuelles ou collectives et des problématiques du contexte social. Cette absence d'empathie pour la douleur réelle est inquiétante en regard des investissements concédés, certes sans système de cohérence, et de la générosité publique déclarée. Ce paradoxe, associé à d'autres contresens des pratiques institutionnelles, dévoile la précarité des systèmes de relais et de qualification des demandes sociales 7.