L'âme de Baba Salem au firmament Le Voyage de Bousaâdia a donné un sens à cette cérémonie d'ouverture, noyée dans un trop-plein de célébration protocolaire. Comme à l'accoutumée, la salle du Palais de la culture Moufdi-Zakaria s'est avérée trop exiguë pour contenir tout ce monde venu assister jeudi soir à l'ouverture de la 4e édition du Festival culturel international de la danse contemporaine. Victime de son succès, ce Festival, né en 2009 dans le cadre de la tenue du Festival culturel panafricain est placé cette année sous le signe «Mouvement en liberté». Inaugurée en présence de la ministre de la Culture, cette cérémonie fut assez protocolaire dans l'ensemble, célébration du Cinquantenaire de l'Indépendance oblige. Le meilleur aura été laissé pour la fin, c'est-à-dire le centre d'intérêt de ce festival même: la danse contemporaine. On y reviendra. Ça tombe bien: «La danse contemporaine est un défi. Tout s'exprime par le corps, puis viennent l'esprit, le moral...», dira Narimane Zhor Saâdouni, directrice de la communication. Place à la danse... celle-ci est plutôt d'obédience classique assurée par des jeunes danseuses de l'école arabesque d'Alger que dirige Mme Fatma-Zohra Namous. Avec l'image du fort de Santa Cruz projeté sur écran, les jeunes danseuses, un éventail à la main évoluent sur une musique classique, et sur la pointe des pieds, elles exécuteront des mouvements tout en souplesse et pleins de grâce. Mais ceci n'est pas de la danse contemporaine, faut-il le rappeler. Celle-ci est enfin développée à travers deux tentatives plus ou moins réussies. D'abord avec le Ballet national et son spectacle intitulé Le début, ensuite avec la danseuse et chorégraphe Samar Bendaoud qui interprétera sur les planches Troubles et problèmes de la jeunesse algérienne, avec philosophie, parfois avec lenteur de gestes comme pour suggérer l'attente, ou avec des mouvements de corps saccadés, avec frénésie pour illustrer la folie schizophrène et ces aléas qui l'enchaînent et l'empêchent d'aller de l'avant... Les danseurs du Ballet national, eux, ont donné à voir des jeunes gens tout de noir vêtus exprimant des formes de danses, souvent nerveuses et rapides. Dans Troubles de la compagnie Sylphide, le tempo s'accélère en seconde partie et donne à écouter en clôture de la pièce un poème en langue arabe dans lequel une autre fille s'adresse à un homme lui faisant part de la condition marginale de la femme dans le monde oriental. Cette danseuse habillée de noir contraste avec Samar Bendaoud, pull et pantalon rouges. Elle est presque le prolongement en fait de sa conscience, les souffrances, plaintives de ce corps qui n'a de cesse de se balancer comme pris d'angoisse et d'amertume. Après cette mise en bouche scénique, place aux hommages rendus, tantôt à la directrice du Ballet national, née au lendemain de l'Indépendance et à la chorégraphe et néanmoins femme de radio, décédée en octobre dernier, à savoir Rachida Reguigi qui était à l'origine du ballet de Sidi Bel Abbès. Enfin le clou de la soirée qui remettra incontestablement les choses dans leur contexte est ce spectacle hautement contemporain au final, Le voyage de Bousaâdia du danseur et chorégraphe algérien oringinaire de Ouargla, Ahmed Khemis. Avec une scène triangulaire et un voile entre lui et les spectateurs, Ahmed Khemis va entreprendre un voyage dans le temps en incarnant avec brio ce personnage suggéré à coups de métaphores chorégraphiques, en nous narrant son existence à force de mouvements sensuels, parfois nonchalants ou d'autres plus mécaniques, avec quelques zestes de break-dance. Le spectacle est rehaussé par le choix de couleurs minutieusement adoptées tels le vert, le jaune et le rouge, des ambiances qui rappellent les zaouïas, mais aussi une projection vidéo en prélude, montrant une variété d'images liées à cette figure emblématique de Baba Salem. Deux karkabous gisant à terre qu'il finira par s'en servir, ornent ce décor sobrement posé devant nos yeux. L'artiste Ahmed Khemis va épouser, en l'espace de 60 minutes, l'aura mystique de ce troubadour africain en se confondant presque avec son ombre. En habitant l'âme de ce gnawa voyageur, il se fera l'écho en gestes, et en sons du parcours de ce barde qui sillonnera le Maghreb. Dans la pénombre, Ahmed Khemis va accompagner la voix mawel d'un Lotfi Bouchenak comme dans un «flou artistique» des plus éblouissants, en étant tantôt «sur» la voix et tantôt à côté, en décalage. Le jeu de Ahmed Khemis est un concept philosophique basé sur la quête de l'identité et la recherche de ses racines. Un retour aux sources salvatrices pour ce talentueux artiste qui, parti pour conquérir, depuis son jeune âge, le monde entier, n'a pas oublié d'où il vient. Et c'est tout à son honneur. Maintenant, les concours de danse peuvent commencer. Cela va durer jusqu'au 22 du mois.