M.Morsi a ordonné à l'armée d'assurer, avec la police, la sécurité d'ici à l'annonce des résultats du référendum constitutionnel de samedi qui divise profondément le pays. L'armée égyptienne, discrète depuis plusieurs mois, est revenue au premier plan à la faveur de la crise politique que traverse le pays, mais sa volonté affichée de rester neutre risque d'être sérieusement mise à l'épreuve par le rôle de gendarme qui lui a été confié. Le ministre de la Défense et commandant en chef des Forces armées, le général Abdel Fattah el-Sissi, a promis que les militaires feraient preuve «d'une totale équité pour protéger la sécurité et la stabilité de la nation», et rempliraient leur rôle «sans tenir compte des pressions». Mais M. Morsi a pour cela autorisé les militaires à arrêter des civils, un pouvoir très décrié durant la période de transition sous la direction de l'armée, entre la chute de Hosni Moubarak en février 2011 et l'élection de M.Morsi en juin 2012. Des organisations de défense des droits de l'Homme y voient un risque de retour aux procès de civils par des tribunaux militaires, organisés par milliers durant la transition. L'armée joue, directement ou indirectement, un rôle capital en Egypte depuis le renversement de la monarchie en 1952. Les quatre premiers présidents du pays - Mohamed Naguib, Gamal Abdel Nasser, Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak, sont sortis de ses rangs. Elle a en outre accumulé un immense et opaque patrimoine économique, allant des eaux minérales à l'immobilier ou aux cimenteries. Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, est le premier civil à occuper la Présidence. D'abord placé sous étroite surveillance des généraux, il avait réussi à reprendre la main en août dernier en mettant à la retraite le puissant chef de l'armée, le maréchal Hussein Tantaoui. Longtemps protégée des péripéties politiciennes grâce à des présidents acquis à sa cause, l'armée, qui s'est vu remettre le pouvoir par M.Moubarak, a dû s'impliquer directement dans la gestion du pays pendant 16 mois. «Sous la houlette de Tantaoui, elle a géré la période de transition et a exercé le pouvoir exécutif et législatif pendant plus d'un an. Elle s'est directement impliquée dans la vie politique», souligne Amr Rabie, de l'Institut d'études politiques et stratégiques al-Ahram. «Morsi a oeuvré pour la ramener à son rôle d'armée professionnelle, mais ces derniers jours ont montré qu'elle cherche encore a jouer un rôle politique», ajoute-t-il. Samedi, l'armée a sommé toutes les parties de «dialoguer» pour trouver une issue à la crise. Elle a laissé pointer la tentation d'être un recours, en affirmant qu'elle ne laisserait pas faire si l'impasse politique devait conduire à un «désastre». Reste à savoir quel parti elle prendrait - celui du président islamiste ou celui de ses adversaires laïques -, en cas d'aggravation des tensions. «Il est difficile de savoir la réaction de cette institution» où règne le culte du secret, affirme M.Rabie. La prise de position de l'armée met toutefois une «énorme pression sur M.Morsi», contraint de voir la puissante institution refaire surface et de l'appeler à la rescousse pour maintenir l'ordre. L'analyste politique Emad Gad observe quant à lui que «l'armée affirme rester neutre, sauf que la situation dans le pays aujourd'hui est identique à celle d'avant la chute de Moubarak», quand l'armée avait refusé d'employer la force contre les protestataires.