Au fil des jours, on voit se multiplier les tentatives de faire main basse sur les différents rouages de l'Etat. La nature ayant horreur du vide, la superpuissance de l'administration s'empresse de prendre la place de celle de l'armée, qui a déclaré sans ambages qu'elle se retirait du champ politique. Au fil des jours, on voit se multiplier les tentatives de faire main basse sur les différents rouages de l'Etat, parfois au mépris de la loi et des règlements qui régissent le fonctionnement des institutions. Depuis 1999, au moins, les acteurs politiques ont brisé un tabou: celui qui consiste à parler en toute franchise du rôle de l'armée dans le choix ou le parrainage du président de la République. Or ne voilà-t-il pas que l'ANP déclare qu'elle entend se désister de cette tâche, en passant le relais à la classe politique et au suffrage universel, c'est-à-dire au choix souverain des électeurs. C'est ainsi qu'on voit, à l'occasion de la pré-campagne électorale, se développer un discours aux antipodes de celui auquel on était habitué : les leaders politiques souhaitent la «neutralité positive» de l'armée, sans interférer dans le choix des électeurs, mais en garantissant la régularité et la transparence des urnes. En revanche, ce qui fait peur aux partis politiques, c'est bien la partialité de l'administration, qui s'est spécialisée dans les fraudes monstres au fil des scrutins qu'elle a eu à organiser et à superviser, pour favoriser un candidat au détriment des autres, transformant les votes en mascarades, pour reprendre une expression du docteur Taleb. Il y a quelques mois, le président de la République vantait le modèle tunisien, mais il semble que c'est le modèle marocain qui est en train de se construire sous nos yeux. Au royaume chérifien, le Makhzen est un Etat dans l'Etat. Si l'armée en Algérie est la colonne vertébrale de l'Etat, pour reprendre toujours une expression du docteur Taleb, c'est le Makhzen qui est le bras droit et l'oeil du palais au Maroc. C'est lui qui lui donne les moyens de contrôler, orienter, gérer, et parfois réprimer et incarcérer, tout ce qui se dit et se fait aux quatre coins du royaume. Les choses étaient certainement très claires en Algérie du temps où l'armée choisissait et intronisait celui qui présidait aux destinées du pays: ce fut le cas pour Ben Bella en 1962, pour Boumediene en 1965, pour Chadli en 1979, pour Boudiaf en 1992, pour Zeroual en 1995 et pour le candidat dit du consensus en 1999. Ce dernier acte a connu un dénouement digne des coups de théâtre, puisque les six candidats rivaux de M.Bouteflika s'étaient retirés avec fracas de la course à la veille même du premier tour, jetant la suspicion sur un scrutin placé pourtant sous les auspices du pluralisme et de la transparence. Ce qui rend encore plus insupportables les ingérences de l'administration, ce sont les tentatives de briser et d'instrumentalier le parti du FLN. La dernière sortie de M.Lyazid Zerhouni ne manquera pas, en effet, d'avoir des répercussions très discutables, puisqu'il déclare que le congrès des redresseurs du FLN aura lieu même si la justice déboute les partisans de ce courant. En fait, ce n'est pas du tout d'aujourd'hui que date la superpuissance de l'administration, la bureaucratie étant l'un des fléaux qui paralyse le fonctionnement normal de la maison Algérie. Dès le lendemain de l'indépendance, l'administration algérienne, qui avait pris le relais de l'administration coloniale, elle-même marquée par un certain centralisme jacobin à la française, avait étendu ses tentacules et huilé ses rouages pour rendre inefficace l'action publique, développer un personnel pléthorique, rendre lourd l'appareil de production. Aujourd'hui encore, tous les efforts d'investissement se heurtent à ce mur bureaucratique. Une hydre à sept têtes. A l'heure où un toilettage s'avère indispensable pour désengager l'administration et la rendre à son rôle d'arbitre et de régulation, on assiste au contraire à la résurgence des vieux démons. Pourtant, il n'est question que de réforme de l'Etat, de guichet unique pour l'investissement, de pluralisme et de liberté d'expression. La pratique montre partout le contraire de ce qui est déclaré. Y a-t-il une duplicité dans le langage? Le discours politique de nos gouvernants ne sert-il qu'à masquer les réalités? Un rapide tour d'horizon montre que les pays qui ont un fort PNB et une forte croissance sont ceux où l'administration sait se faire discrète, légère et efficace. M. Benachenhou le rappelait lui-même il y a quelques jours. Il appelait cela la bonne gouvernance. Ces professions de foi ne sont-elles destinées qu'à amuser la galerie? On espère que ce n'est pas le cas, et que les prochaines élections permettront de clarifier les positions et de remettre le train des réformes sur les rails.