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Retour aux racines
Publié dans L'Expression le 23 - 12 - 2012

«Quand un arbre tombe, on l'entend; quand la forêt pousse, pas un bruit.» Proverbe africain
«Le chacal est l'animal qui symbolise le mieux le pragmatisme des gens qui habitent notre région: il est rusé et il va toujours à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui l'avantage le plus. N'est-ce pas lui qui a dit que ce qu'il souhaitait le plus, c'était un exercice où il y aurait deux automnes, deux étés qui dureraient deux ans et un hiver de seulement deux jours. C'est que pour lui, la période de disette, c'est l'hiver rigoureux qui s'abattait sur la montagne. Les chacals descendaient chaque nuit jusqu'à la place du village en croyant qu'il y avait quelque chose à glaner. Mais la pauvreté des habitants les décevait cruellement: les lamentations qui perçaient les nuits noires exprimaient leur détresse. J'en ai encore des frissons dans le dos. D'ailleurs, les gens interprètent leurs cris de douleur comme des signes de mauvais augure», déclara tristement Da Meziane en s'emmitouflant un peu plus dans son burnous malgré une température des plus agréables.
«Ce ne sont que des racontars de vieilles femmes, des superstitions, répondit Da Mokrane dont le scepticisme était reconnu par tous. Les chacals ont leur langage et leurs codes, ils ne peuvent prévoir en rien un malheur ou un bonheur. On croit que leurs lamentations sont des pleurs et on prend leurs glapissements pour des ricanements. Foutaise que tout cela. En hiver, leurs proies habituelles ne sortent guère et ils sont obligés de descendre jusqu'au village pour fouiller les ordures ou chercher une charogne. C'est tout. Ils n'ont pas la chance comme nous de savoir faire des provisions et de prévoir les jours néfastes. D'ailleurs, chez nous, contrairement à d'autres régions, l'hiver n'est pas une saison morte. Au contraire, la période de la récolte des olives est un moment d'intense activité. On ne rend jamais assez hommage à la sagesse de nos anciens d'avoir peuplé ces pentes abruptes, accidentées, d'arbres vigoureux qui non seulement retiennent la terre mais encore donnent le plus utile des fruits. Regarde ce qui se passe à présent. Après l'Indépendance, les gens ont tourné le dos à la terre. L'abandon des cultures, les incendies criminelles qui ont ravagé les vergers, la construction anarchique ont réduit le potentiel de production. Regarde! Tous les jours on parle d'un éboulement ou d'une menace d'éboulement dans un coin de la région! Pourquoi? Parce que les gens ne plantent plus. Avant, chaque pouce de terre devait être utilisé. L'olivier peut pousser n'importe où et ses racines puissantes retenaient les talus qui avaient tendance à s'effondrer quand ils sont gorgés d'eau. Quand l'arbre n'est plus là, la terre fout le camp et l'homme avec. Montre-moi à présent le nombre de gens qui savent faire une greffe. On peut les compter sur les doigts d'une seule main: ce sont les survivants des cours complémentaires de Monsieur P.... Il apprenait à ceux qui échouaient au certificat d'études à greffer, à tailler, à planter, à exploiter les ruches. Et puis, je rigole quand je vois tous ces gens qui viennent me faire des cours de morale sur ma conduite qu'ils jugent honteuse. J'ai des défauts, certes, mais au moins, moi, je sais traiter les arbres, je sais cultiver la terre. Mon coeur est ulcéré chaque fois que je vois un malappris abattre un vieil arbre sans le remplacer par un plus jeune. Mon modèle, et ne ris pas quand je te raconte cela, c'était le vieux, Hadj S... qui à son retour de La Mecque, a abandonné tout travail lucratif. C'était, si tu t'en souviens, un commerçant aisé.
Il battait la campagne avec, dans le capuchon de son burnous, toute la panoplie nécessaire pour la greffe: la serpe, la rafia, le mastic. On ne peut pas dire le nombre d'oléacées qu'il a greffées. Et il faisait tout cela en chantant des chants religieux: voilà le vrai enthousiasme!»


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