tout vrai roman s'écrit avec l'ambition qui s'élève avec une espérance du bonheur, autrement l'espoir deviendrait mensonge. En lisant L'Impasse du Maltais (*) de Djamel Eddine Merdaci, je me suis surpris - et quelle étrange curiosité! - à me rappeler cette pertinente réflexion de l'immense poète Paul Eluard: «Il ne faut pas de tout pour faire un monde il faut / Du bonheur et rien d'autre / Pour être heureux il faut simplement y voir clair / Et lutter sans défaut / Nos ennemis sont tous débiles maladroits / Il faut en profiter (Le Château des pauvres, écrit en 1952).» J'imagine dans ces vers libres et profonds des séquences de vies multiples, attachantes, animées par l'illusion d'exister, de durer, d'accomplir le devoir de perpétuer l'univers, et je les rapporte semblablement à celui de l'authentique Algérie, toutes parsemées de repères explicites de l'époque ottomane... à l'indépendance et des décennies suivantes. L'auteur, Djamel Eddine Merdaci reste fidèle à ses rêves d'arts et de lettres élaborés et exprimés au cours de sa longue et riche profession de journaliste et de son expérience d'écriture et de critique dans le domaine audiovisuel, notamment dans le cinéma et la radio. En effet, dans son livre L'Impasse du Maltais, il fait resurgir notre Histoire par fragments apparemment insolites mais qui, vite remis à leur place exacte, clarifient le centre d'intérêt abordé et relancent la recherche dans une voie nouvelle, encore plus captivante, plus palpitante, plus algérienne... En surplus, l'allégorie (les inondations meurtrières de novembre 2001 de Bâb El Oued-Alger qu'il décrit et qui sont, à la fois, le principe motivant et l'écho lointain qui résonne au creux de ce cataclysme dans lequel des bigots voient un «signe probant de la colère divine»), prend tout son sens. Le doute n'est pas permis Dès le «Prologue», la problématique essentielle de l'ouvrage est annoncée. Ce déluge terrifiant, qui sera évoqué ailleurs dans «Bahr et-Toufâne», texte de Mohamed El Badji, chanté par Amar Ezzahi, a d'abord heurté la foi des vieilles personnes et Djamel Eddine Merdaci n'a pas oublié leur inquiétude puisqu'elles se demandaient, écrit-il, dans: «Quelles fautes terribles, inavouées, la Cité devait-elle encore expier, elle qui avait si lourdement payé le tribut de la terreur et du sang aux hordes de la terreur? [...] Pendant dix ans des démons sanguinaires avaient eu l'outrecuidance de faire croire qu'ils comprenaient la parole du tout Puissant mieux que tous les autres Algériens. Les Martyrs avaient-ils donné leur vie pour que le pays, enfin libre en 1962, passe sous la coupe des voleurs et des assassins qui prétendaient vouloir gouverner au nom de Dieu?» La réponse? Elle est dans le récit, et le récit devient une extraordinaire enquête tous azimuts, lorsqu'il sera constaté que «C'est au cours de cette nuit apocalyptique que l'égyptologue avait été retrouvé mort dans une misérable bicoque de la Basse-Casbah d'Alger.» Le doute n'est pas permis. Il y a eu crime à la Basse-Casbah, dans «un site prestigieux entre tous, baptisé Impasse du Maltais en raison de la nationalité de l'occupant des lieux, dédiés à une prospère industrie du miel qui avait contribué à sa renommée». Le crime doit donc être élucidé, et d'autant qu'Adam Tenid, «l'égyptologue n'était pas circoncis!», que l'on se demandait «qui était alors vraiment cet homme dont il fallait désormais percer autant les secrets de sa vie que ceux de sa mort?» et que surtout «en Algérie, tout finit par se savoir.» Or, la mort va encore frapper. Un tueur en série hante la ville, qui est-il et pourquoi tous ces crimes crapuleux? Et l'extraordinaire docteur Mabuse a beaucoup à exercer ses talents de légiste pas comme les autres... Le lecteur est saisi... d'un délicieux vertige! L'Histoire de l'Algérie, intégrée dans le récit, commence avec l'indispensable présentation de deux policiers du célèbre Bureau des Homicides Volontaires, - des personnages principaux en situation constante de désaccord de potaches orgueilleux: l'inénarrable et l'irascible Pacha, le commissaire et le «surdoué» Jonas, l'inspecteur. Le premier, «Son nom entier, Iskander Djedioune Beraoune Neglizi Pacha était si long que tout le monde l'appelait Pacha par commodité» et l'on saura pourquoi; le second, Jonas, hait «ce sobriquet», car il insiste sur son «identité officielle d'inspecteur Abdeslam Barik», et l'on saura pourquoi. Par la suite, au fil de sa lecture, le lecteur découvre de très nombreux personnages, autant de «Caractères» - des peintures spécifiques de nos moeurs aux effets pervers -, aussi pittoresques que loufoques, aussi inquiétants que braves, aussi bizarres que spirituels, aussi haut dans la hiérarchie du pouvoir qu'aussi bas à l'échelle sociale dont certains ne lui sont pas tout à fait inconnus, et à nous aussi. Mais, c'est de l'histoire ordinaire, c'est-à-dire vraisemblable, écrite avec réalisme. Elle surabonde en calembours d'un style personnel de haute voltige, par exemple: tout de go, Le Pacha, dont nous parle Jonas, qui se prend pour un intellectuel mais enflé de «ses indécrottables préjugés envers la jeunesse algérienne qu'il considérait comme inapte au savoir et dont le nec plus ultra de la culture consistait à nommer la BMW Biouma et la Mercédès Merdassa». Ça ne prête pas à rire intelligent. De même, il n'est peut-être pas facile à imiter, cette autre chose: quoi? «Corriger» un ministre? Ça ne va pas, non?... Le sarcasme ne vaut pas toujours raison, mais la raison si, car elle sait, par dérision, déployer des ailes d'amour. La leçon du déluge Nous allons apprendre ce que je ne saurais mieux dire que l'auteur lui-même: des histoires extraites de la grande histoire, des noms de personnages et des noms de lieux, pas seulement en Algérie, mais partout au cours des voyages commandés pour traquer l'information utile où qu'elle se produise: en France, en Espagne, en Inde, aux Pays-Bas, en Norvège, aux Etats-Unis. Cependant, la pensée rationnelle s'impose; le narrateur, en fin limier, et sous la plume juste, alerte, généreuse, souvent truculente, même poétique et pleine d'amour de l'auteur, journaliste professionnel qui n'a rien oublié ni de ses souvenirs ni de ses informations, nous fait comprendre et même réapprendre et réentendre tantôt les silences, tantôt les bruits, tantôt les plaintes d'un monde plus ou moins perdu, plus ou moins innocent et donc plus ou moins victime ou coupable. Entendons bien: la leçon du déluge, le chagrin et les deuils de ceux qui n'on plus rien et surtout les râles d'une nuit d'effroi. Chaque événement nous remet en face d'une histoire familière et pourtant neuf fois sur dix mal étudiée, mal apprise, mal assimilée; c'est le cas de la tentative de crime commis à Saint Raphaël à El Biar sur Hania, la jeune inspectrice de police: hé! le dessin qu'elle avait fait de Arroudj Barberousse est une mine d'informations! Belle énigme à résoudre pour Jonas qui se demande «ce que cet homme, mort en 1518, venait faire dans un crime commis le 10 novembre 2001 sur le balcon Saint Raphaël à El Biar?» Est-ce possible? Pourquoi pas? L'imagination est création quand la technique du rêve s'inspire avec bonheur de l'art du conte fantastique et y va de l'audace de sa propre écriture sur une vérité de l'être humain, sans fioritures. L'«Epilogue» allège quelque peu nos soucis; le lecteur s'imagine être Jonas vers lequel l'inspectrice Hania Ballou s'avançait et «lui faisait l'offrande sublime de son beau sourire». Un vrai happy end d'un film de bonne facture, et le scénario est à la portée de la main de Djamel Merdaci. Dans ce roman, qui reste heureusement roman au sens noble du genre, se déroule une enquête policière, certes, mais menée de main de maître et valorisée par une critique sociale éclairée visant un ensemble de faits historiques tronqués, ignorés ou oubliés, égrenés par Djamel Eddine Merdaci dans un segment important du grand chapelet de l'Histoire de notre pays. J'y ai aimé un certain lyrisme de bon aloi, tout simplement un sentiment d'homme-écrivain, dans une oeuvre d'un genre de littérature complexe, car, contrairement aux apparences, le roman policier - s'il en est et s'il en est question ici - appelle au devoir d'écriture impeccable et de vérité irréfutable pour donner vie et consistance à notre littérature, tellement malmenée par une «gendelettrerie» qui est à elle-même sa matière et sa propre fin. Je dois dire, au contraire des laudateurs quémandeurs de faveurs, que Djamel Eddine Merdaci est, selon cette belle formule, «un journaliste qui a des idées et qui sait les exprimer», - un écrivain? Evidemment!. (*) L'Impasse du Maltais de Djamel Eddine Merdaci Casbah Editions, Alger, 2012, 286 pages.