En cette fin d'année grise, l'auteur nous donne matière à rire tout en réfléchissant, car sous l'humour perce une critique sans concession, mais non sans tendresse, de nos mœurs. Disons-le sans tarder : on entre dans ce roman comme on entre dans le meilleur du cinéma algérien, revu et corrigé par Scola ou Fellini. Autant dire que ce cinéma n'existe pas encore. On rit, on pleure, on rit en pleurant et on pleure en riant. Qu'on se comprenne dans un cas comme dans un autre, ce sont des rires de bonheur, des rires qui nous échappent. Djamel-Eddine Merdaci, que Dieu lui pardonne de nous avoir donné des crampes d'estomac —on lui enverra la note du gastro— nous fait rire par temps de frilosité. En cette fin d'année grise, il nous donne matière à rire tout en réfléchissant, car sous l'humour perce une critique sans concession, mais non sans tendresse, de nos mœurs. L'histoire en deux mots. Le commissaire Pacha, un vrai pacha dans son genre, fort comme un Turc et beau comme un Turc d'une série TV qui fait fondre nos jeunes filles, accompagné de l'inspecteur Jonas (le narrateur) enquêtent sur un crime commis fraîchement à la Basse-Casbah. La victime est un journaliste assez connu : Adam Tenid de “l'Arc-En-Ciel", journal cancanier avec un directeur aussi imbu de lui-même que certains petits pachas de chez nous, semble nous dire l'auteur. Qu'on se rassure, lui qui connaît si bien la presse, ne vise personne. Mon petit doigt me l'a dit. Au vrai, ni Pacha ni Jonas ne sont communs. Ils n'existent nulle part en Algérie. Hélas. Pacha, qui mesure bien deux mètres, ne craint pas de molester son ministre de l'Intérieur ! Oui, messieurs, il lui a cassé la gueule en assaisonnant son geste, si j'ose dire, de jurons et d'obscénités à faire pâlir une péripatéticienne. Qui n'a pas rêvé un jour, seulement un jour, de faire un sort à son supérieur ? Pacha l'a fait pour nous. Qu'il en soit remercié. Fanfaron, cultivé, fou de “mesfouf", cordon bleu hors pair, il est craquant comme aurait dit une midinette. Quant à Jonas, au surnom détesté, à la suite d'un accident, il a acquis des pouvoirs surnaturels. Il lit dans les pensées. Rien de moins. Le rêve de tout mortel. Avec ces deux lascars, maîtres du calembour, on revisite, entre deux rires, l'histoire de l'Algérie moderne et ses perversions. Extraits qui touchent l'os de la culture et de l'éducation : “...ses indécrottables préjugés envers la jeunesse algérienne qu'il considérait comme inapte au savoir et dont le nec plus ultra de la culture consistait à nommer la BMW Biouna et la Mercedes Merdassa." Condamnation du pédantisme : “Enseignant, il avait purement et simplement démoli le portrait d'un confrère qui avait critiqué Kateb Yacine alors que lui-même ne pouvait pas aligner dix lignes sans faire cinquante fautes de syntaxe et d'orthographe." Et toc ! À méditer. Critique sociale ? Il dénonce pêle-mêle le “zaïmisme", l'inversion des valeurs, l'absence d'une culture du mérite, le piston, l'arrivisme, la corruption, le machisme. Et puis il y a des phrases si ciselées qu'elles ressemblent à des aphorismes. En voici une : “Ce dernier, nommé par accident, avait été maintenu par oubli selon une tradition purement algérienne." Que d'exemples tout autour de nous ! En fermant la dernière page de ce roman, on a un serrement de cœur, de tendresse pour Alger, l'Algérie et les Algériens. Allons, tout n'est pas aussi noir puisque nous savons rire de nos petites et grandes misères. C'est ce que nomme Alain le bonheur de la dérision. Ce roman, qui a pris deux années d'écriture et de correction à son auteur, est un film écrit, et bien écrit. Il marque l'entrée dans la littérature algérienne d'un authentique écrivain à la solide culture, celle qui marque la frontière entre les écrivains de vocation et ceux de vacation. H. G. “L'impasse du Maltais", de Djamel Eddine Merdaci, éditions Casbah.