Ayred, qui est devenu un rite incontournable de la vie sociale des populations de la commune de Béni Snous, porte dans sa dimension culturelle la célébration de Yennayer. Les festivités célébrant le Nouvel An berbère se poursuivent un peu partout dans plusieurs wilayas du pays. Samedi soir, la tribu des Béni Senous, occupant une bonne partie du sud-ouest de la wilaya de Tlemcen a, encore une fois, perpétué la tradition d'Ayred, ou encore le lion et ce, en organisant son habituel carnaval annuel dédié au courage et à la puissance. Dans ce rituel, sont mêlés des chants que l'on dit sacrés et autres rites. Des jeunes et moins jeunes, déguisés de la tête aux pieds avec des peaux de bêtes, ont sillonné les artères principales du village de Lakhmis, petit bourg abritant le chef-lieu de la commune de Béni Senous. Ayred, qui est devenu une coutume incontournable de la vie sociale des populations de la commune de Béni Senous, porte dans ses dimensions la célébration de Yennayer, qui inaugure le calendrier agraire toujours largement consulté et pris en compte dans les pays d'Afrique du Nord. Ainsi à peine le village plongé dans l'obscurité de la nuit que des jeunes et moins jeunes, tous masqués, sortent dans les rues étroites de Lakhmis. Dans leur entreprise, ils se sont mis à danser à la cadence enchanteresse en fredonnant un chant tout aussi mêlé. «On arrive difficilement à déchiffrer le chant qu'ils psalmodient tous en choeur», a affirmé Berkani Bachir, habitant Ouled Moussa, un autre village de plusieurs centaines d'habitants qui célèbrent eux aussi le Yennayer en animant Ayred. La procession a pris le départ à partir du sanctuaire du village. Eclairés par des flambeaux en alfa, les acteurs se sont mis comme dans une sorte de transe. Les Ayred, choisis parmi les plus grands et les plus forts du village, prennent les devants de la foule. Parmi eux, la lionne enceinte, une femme au ventre arrondi, fait l'objet d'attentions particulières. Dans cette mise en scène, autant de symboliques sont à relever notamment lorsque le lion est attristé. «Les gens implorent la fertilité de la terre nourricière», a affirmé un jeune habitué du carnaval. Un vif tumulte s'ensuit lorsque la foule se met à scander «Ayred! Ayred!» La lionne danse au ralenti tout en exprimant douloureusement le mal qui la terrasse, l'heure de son accouchement est venue. Autour d'elle, les lions s'évaluent, tout en se bousculant et se défiant. Le lionceau est né, les lions livrent des combats singuliers qui finissent par l'intronisation du vainqueur qui devient Ayred amokrane, le grand lion. Celui-ci, qui impose son autorité sur la tribu, prend la tête de la procession qui rend visite à toutes les maisons en scandant «Ouvrez vos portes, nous sommes arrivés». D'aucunes des maîtresses des maisons ne s'opposent à la demande des Ayred. Tard dans la nuit, la foule se disperse et les masques sont remis dans le sanctuaire avant de passer au «qalmun», la quête. Le sage distribue les offrandes collectées aux nécessiteux. Le rituel populaire a résisté des siècles durant avant de connaître une éclipse dans les années marquées par la chasse lancée contre les lumières dans les années 1990. «Nous avons cessé de célébrer Ayred pendant plusieurs années vu que nous avons vécu sous la menace permanente des intégristes islamistes qui nous interdisaient l'organisation de toutes les activités culturelles», a déploré le jeune Djamel. A la faveur du retour de la paix, le rituel ancestral des Béni Senous, qui est timidement fêté, risque de sombrer dans le ridicule de la récupération politique. «Ils ne se rappellent de l'existence de Yennayer que lorsqu'ils veulent du folklore en emmenant des jeunes aux fins de défiler dans les rues et puis, plus rien», a regretté le jeune Djamel ajoutant que «les partisans de l'inculture veulent, coûte que coûte, la récupération politique et la transformation de Ayred en folklore, la finalité recherchée étant de diviser les populations Amazighes. Chose commune chez tous les Amazighs, Ayred est célébré durant trois jours marquant l'avènement du Nouvel An, Yennayer. Ce dernier remonte à 950 ans avant J-C. Lorsque le roi Chachnak a instauré son pouvoir sur l'Egypte après avoir détrôné le pharaon Ramsès dans la région de Siwa. Des siècles durant, cette victoire, qui flattait la personnalité d'un peuple victime d'invasions multiples, était célébrée aussi bien sobrement qu'en grande pompe.