L'Elysée rallie la position de son ministre de l'Intérieur et annonce la nomination d'un préfet issu de l'immigration dès la semaine prochaine. Fin de polémique. La France a fait hier un pas supplémentaire vers l'institutionnalisation de la «discrimination positive», défendue par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. En effet, après les critiques adressées depuis Tunis, le 5 décembre dernier, contre la politique d'«avantages» accordés aux Français issus de l'immigration - selon le modèle américain de la «affirmative action» - le président français Jacques Chirac ne juge plus cette proposition comme étant «pas convenable». La preuve en sera donnée mercredi 14 janvier lors du Conseil des ministres qui devra entériner la promotion d'un haut fonctionnaire au poste de préfet. L'identité de l'heureux élu n'a pas été rendue publique cependant. A bout de souffle, le modèle français d'intégration est attaqué de tous les côtés, car impuissant à surmonter les inégalités qui frappent les enfants des immigrés; la mise en place de nouveaux mécanismes de promotion sociale est devenue incontournable pour une large partie des Français d'origine immigrée, soutenue par une frange de l'opinion française rangée sous la bannière de Nicolas Sarkozy. La nomination du préfet «immigré» est ainsi accueillie avec beaucoup de satisfaction par le Conseil des démocrates musulmans (CDM), l'un des collectifs - ancrés à droite - créés récemment et qui se disputent la représentation des Algériens de France. «Nous sommes heureux de constater le changement de ton de Chirac qui nous avait déçus par son opposition à la discrimination positive», déclare Dahmane Abderahmane, président du CDM, qui rappelle que Chirac n'avait pourtant pas hésité à nommer un inspecteur de l'éducation nationale d'origine immigrée dans un passé pas si lointain. Le bouillonnant animateur du CDM ne fait pas table rase de ses griefs à l'encontre président de la République qu'il avait soutenu à l'occasion des rendez-vous électoraux, organisant comités de soutien et visites à la Mosquée de Paris, notamment à partir de 1995. Se déclarant volontiers ami et partisan de Nicolas Sarkozy, Dahmane Abderahmane menace: «Nous soutenons fermement Sarkozy et sa politique dans sa globalité. Nous le soutiendrons même contre Jacques Chirac s'il le faut.» Yazid Sabeg, P-DG de société, est un fervent défenseur de la discrimination positive. Il est à la tête de la Convention laïque pour l'égalité France (Clef). Dans une récente tribune dans l'hebdomadaire Marianne, Yazid Sabeg a écrit : «Dans la vie politique et sociale, l'inégalité prévaut. Et lorsque l'égalité ne peut résulter des lois en vigueur, il faut d'urgence en dicter de nouvelles, qui admettent la diversité ethnique de la France.» Tout en reconnaissant que «l'action positive sera un exercice difficile (...) elle ne devra pas être un saupoudrage cosmétique, une formule creuse qui réitérerait dans un vocabulaire «réaliste», les hypocrisies de l'universalité (des principes républicains, Ndlr) proclamée». Regrettant l'absence de la «main invisible» qui répartirait harmonieusement les postes et les talents, «j'affirme qu'on n'accorde pas la même importance aux critères de compétence et de mérite pour les individus issus de (l'immigration)». A l'approche des élections régionales (mars 2004), le vote des Français issus de l'immigration semble prendre une importance toute nouvelle, notamment depuis la mobilisation qui a contribué à la victoire de Jacques Chirac face au président du Front national, en avril 2002. Nicolas Sarkozy compte tirer profit de son initiative en faveur de la discrimination positive. Ce qui agace le président qui voit dans l'appétit politique du ministre de l'Intérieur une réelle menace pour un troisième mandat en 2007. Pour le moment, Nicolas Sarkozy marque des points précieux et garde l'initiative, au point de pousser Jacques Chirac à se renier. Maniant une politique sécuritaire draconienne, Sarkozy cultive en parallèle une image d'homme d'ouverture. Il se taille sur mesure un costume de présidentiable auquel les collectifs des franco-algériens participent volontiers. La composition des prochaines listes électorales dira si leur stratégie a payé. Cette nomination met au jour une réalité : les hauts fonctionnaires issus de l'immigration sont rares dans !e corps préfectoral. Le sous-préfet de Nice, Abdel Aïssou, aurait pu être le choix idéal, mais il est écarté puisqu'il ne répond pas aux critères d'ancienneté requis pour un poste de préfet. Né en 1958, il n'est sorti de l'ENA qu'en 1995. La «perle rare» pourrait être pêchée parmi les hauts fonctionnaires issus de la deuxième génération de l'immigration dans la police et la justice, ainsi que dans les grands corps de l'Etat, telle la Cour des comptes. Le futur préfet pourrait aussi être un non-maghrébin.