À en croire les sondages, Nicolas Sarkozy est le plus populaire des ministres français. S'il était candidat à l'élection présidentielle de 2007, 52% de ses compatriotes se disent prêts à voter pour lui. Bouillonnant, le locataire de la place Beauveau (ministère de l'Intérieur) possède une énergie débordante que beaucoup lui envient et qui ne lui vaut pas que des amitiés. Depuis que le ministre de l'Intérieur est devenu incontournable, certaines de ses initiatives provoquent des grincements de dents à l'intérieur même de son camp. Dernier à montrer son irritation, le président Jacques Chirac a publiquement contredit son ministre de l'Intérieur sur le concept américain de la “discrimination positive” que ce dernier entend mettre en place afin de promouvoir à de hautes fonctions d'Etat des personnes issues de l'immigration. Le 7 novembre, Nicolas Sarkozy avait annoncé, pour la première fois, la nomination future d'un haut fonctionnaire d'origine musulmane, regrettant même qu'il n'y ait pas de “compatriote musulman dans la haute Fonction publique”. Il a précisé sa position le 7 novembre lors d'une émission sur France 2. “Si on veut que nos compatriotes issus de l'immigration veuillent s'intégrer, il faut qu'ils aient des exemples de réussite qui ne soient pas simplement tirés du football. Les musulmans de France sont aussi capables d'avoir des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des médecins, des professeurs”, disait-il. Artisan de la mise en place, il y a un an, d'un Conseil français du culte musulman squatté par les activistes de l'Union des organisations islamiques de France (proche des Frères musulmans), Sarkozy est suspecté d'arrière-pensées électorales dans la perspective de 2007. L'immigration maghrébine ayant, semble-t-il, tourné le dos à la gauche, on soupçonne Sarkozy de vouloir puiser dans ce vivier qu'il ne manque d'ailleurs pas, selon certains spécialistes, de surdimensionner. Son projet de calquer le modèle américain développé dans les années 1960, pour favoriser la promotion sociale des Noirs, ne s'est pas révélé séduisant, même si ses services se sont empressés de tenter sa mise en œuvre. Des CV ont été recueillis au ministère de l'Intérieur pour trouver un préfet d'origine musulmane. Il semble, selon des indiscrétions, que le candidat idéal ait décliné l'offre pour cause de projets personnels engagés dans le secteur de l'entreprise privée. Cet écueil n'est pas le seul à se dresser contre la volonté du ministre de l'Intérieur. De Tunis où il était en visite, le président Chirac a estimé qu'il n'était pas “convenable” de nommer les gens en fonction de leur origine. Le chef de l'Etat français n'a pas nié la réalité des discriminations qui caractérisent la vie de son pays. “ça n'a pas été du tout une politique, ça a été une espèce de constatation à laquelle je m'efforce de répondre”, s'est-il défendu en proposant que “toutes celles et tous ceux qui ont la même compétence puissent avoir accès aux mêmes responsabilités”. Avant lui, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, avait déjà exprimé ses réserves en affirmant préférer le concept de “mobilisation positive” à celui de “discrimination positive” au demeurant combattu par le mouvement antiracial. “Que le ministre de l'Intérieur manifeste son intention de lutter contre la discrimination politique dont souffrent les Français issus de l'immigration, j'applaudis, mais choisir un préfet en fonction de sa religion est choquant et dangereux”, a estimé Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). Dominique Sopo, président de SOS-racisme, a évoqué le risque d'instauration de “quotas ethniques” et a jugé le terme “musulman” “non pertinent”. Au sein même du gouvernement, la secrétaire d'Etat au développement durable, Tokia Saïfi, d'origine algérienne, a affirmé préférer une “mise à niveau républicaine”. La démographe, Michème Tribalat, constate que “le ministre de l'Intérieur se plaint de ne pas avoir de préfet musulman”. “La vérité, c'est qu'il n'en sait rien, à moins que la religion ne se révèle dans le faciès ou le patronyme”, ironise cette spécialiste qui conteste le chiffre de 5 millions de musulmans en France et stigmatise les politiques qui “s'échinent à convoiter les votes par le biais de la religion, comme si la seule préoccupation des Français d'origine maghrébine était l'islam”. N. B.