La violence politique et le terrorisme sont devenus une réalité dans le paysage politique tunisien. «Nous avançons sur un chemin extrêmement étroit, balisé de plusieurs difficultés: la révolution, c'est simple, l'après-révolution, c'est compliqué» Mohamed Marzouki Président de la République tunisienne. Chokri Belaïd, avocat et grande figure politique en Tunisie, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifiés (la gauche tunisienne) et dirigeant politique du Front populaire, et infatigable défenseur des droits humains, a été assassiné le 6 février devant son domicile par les mains de l'obscurantisme, avatars de la Révolution tunisienne. Ce meurtre déclenche alors de nombreuses manifestations dans tout le pays. En signe de protestation contre cet assassinat, les bureaux d'Ennahdha à Sfax, Monastir, Béja, Gafsa et Gabès sont brûlés et saccagés, les manifestants demandant le départ du gouvernement Hamadi Jebali ainsi que la Troïka pour leur incompétence. Aïssa Hirèche écrit à juste titre: «Le même scénario que celui que nous vécûmes est en train de prendre forme. En Tunisie, la situation évolue brusquement. En mal malheureusement. (...) Encore une fois, c'est le même topo que celui que nous avons vécu. C'est la même haine aveugle qui a frappé ce mercredi chez nos frères tunisiens. Le même scénario que celui que nous vécûmes est en train de prendre forme. D'abord, on fait état de l'existence de certains campements avec armes, ensuite on apprend que des commissariats ont été l'objet d'attaque et puis voilà que les hommes commencent à tomber sous les balles assassines de bourreaux jaillis de la caverne de l'incroyable mépris de l'humain. Et quels hommes! Exactement les mêmes que chez nous. La première cible de cette haine viscérale incomprise et incompréhensible est ce grand militant défenseur des droits de l'homme, Chokri Belaïd. Qui ne le connaît pas à travers ses multiples apparitions à la Télévision tunisienne, ces apparitions dont il faisait à chaque fois une véritable plaidoirie pour la défense des valeurs les plus ancrées dans notre société maghrébine, ces valeurs de respect et de dignité qu'il essaie toujours d'ériger en principe certes, mais aussi en repères à construire ensemble, dans la diversité et la considération réciproque. (...) Chaque jour nous pensions que c'était la fin du terrorisme et à chaque victime nous espérions que ce fut la dernière. Fuis par tous, abandonnés par tous, nous faisions l'apprentissage de ce nouveau monstre et il nous fallut de très longues années pour vaincre la bête. Aujourd'hui, nos frères tunisiens savent ce à quoi s'en tenir. Lorsque la haine frappe une fois, elle revient plusieurs fois. Elle revient toujours.» (1) Qui est Chokri Belaïd? «Chokri Belaïd a étudié le droit en Irak avant de poursuivre des études de troisième cycle en France. Il fut membre de l'Union générale des étudiants de Tunisie en avril 1987, il est détenu pour son activisme politique en milieu universitaire. Il devient avocat défenseur des droits de l'homme. En 2008, il dénonce la répression des grèves de Gafsa. Après le départ de Ben Ali, il devient membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. En mars 2011, il fonde le Mouvement des patriotes démocrates. Son effigie altière enflamme les réseaux sociaux, accompagnée de formules émues. (...) Son visage buriné par les luttes était davantage celui d'un syndicaliste que d'un professionnel du droit, rompu aux arcanes des tribunaux. Chokri Belaïd ne gueulera plus. Il ne plaidera plus dans les procès politiques où il mettait un point d'honneur à défendre les proscrits de tout acabit. (..) Il faisait partie de ces élites de gauche qui s'inscrivaient dans une sorte de «marxisme arabe», mélange de «Che» et de Nasser. Car Chokri Belaïd croyait fermement à un destin arabe. D'aucuns ont relevé, chez nous, que «Belaïd» avait plutôt une résonance berbère. C'est que Chokri était avant tout un Maghrébin pluriel. Chokri Belaïd était également une figure de proue du Front populaire, coalition de partis de gauche, d'extrême gauche et de «qawmiyine» tunisiens. Tribun fougueux, polémiste impétueux, Chokri Belaïd est connu pour ses positions tranchées à l'égard d'Ennahda et de la Troïka.(...)» (3) Le recours aux liquidations physiques des opposants constitue le modus operandi de certains milieux, au pouvoir ou dans l'opposition, qui veulent installer le chaos dont ils espèrent tirer les dividendes. (...) Pour avoir vécu cette sombre période jalonnée de meurtres d'hommes politiques, de journalistes, d'artistes et autres intellectuels durant la décennie noire, les Algériens mesurent mieux que quiconque la menace qui pèse désormais sur leurs voisins. L'assassinat de cet opposant de gauche, est incontestablement un grave dérapage de la violence politique en Tunisie. Il y a désormais l'avant et l'après-meurtre de Chokri Belaïd.»(4) Il est curieux de constater l'addiction au pouvoir, aussi bien des islamistes censés s'occuper du «spirituel» plutôt, que du «temporel» et des «démocrates» laïcs qui cherchent, comme Ben Ali, l'appui des instances externes. «L'assassinat de l'homme politique Chokri Belaïd le 6 février, lit-on dans «Courrier international» est un indicateur de la mauvaise gouvernance du pays. Une aggravation de la situation est à craindre. C'était dans l'air, mais personne ne voulait voir la réalité en face, du moins ceux qui nous gouvernent et qui ont fermé les yeux, sciemment, sur les excès et les abus de toutes les formes possibles de violence imposées à la société tunisienne, aux citoyens, à son histoire et à tous les opposants, quelle que soit leur couleur. Aujourd'hui, cet exemple-type de meurtre politique démontre que le laxisme et le laisser-aller, que l'on peut assimiler sans risque d'erreur à de la complicité, sont les voies qui ont ouvert le chemin à tous les extrémistes religieux envoyés aux quatre coins de la République - pour transmettre leurs discours haineux, rétrogrades et violents à des jeunes désoeuvrés et gonflés à bloc, armés de slogans manipulateurs et de kalachnikovs.»(2) «Aujourd'hui, poursuit le journaliste, cet assassinat politique lâche et cruel risque d'avoir deux répercussions. Tout d'abord, et en ce qui concerne le gouvernement, il est impératif qu'il parte en reconnaissant son échec total dans la gestion des affaires du pays tant sur le plan sécuritaire qu'économique et social. (...) Il est temps de laisser la place à un gouvernement d'union nationale fondé sur un consensus, qui se rapporte à toutes les valeurs de la République et de la société tunisienne que l'on veut jeter dans les ténèbres de l'histoire. C'est là la première condition pour sauver le pays d'un dérapage incontrôlé. La seconde est relative à la nécessité de dissoudre les Ligues de Protection de la révolution (milices islamistes issues des comités de quartier de l'après-Ben Ali) qui ne font, en fait, que protéger Ennahda. (..) La troisième condition consiste dans l'union sacrée de toutes les forces vives et démocratiques du pays, la société civile, toutes les associations, les syndicats, principalement l'Union générale des travailleurs tunisiens, les organisations estudiantines, les intellectuels, les artistes pour se lever comme un seul homme contre cette tentative d'introduire la peur dans les esprits, de terroriser les opposants et finalement de les éliminer. La Tunisie a besoin d'un nouveau gouvernement composé de personnalités compétentes. M.Jebali, le Premier ministre est considéré comme un modéré dans son parti et comme étant favorable à ce que la justice et les Affaires étrangères soient sous le contrôle de personnalités apolitques. Les nouvelles élections ne pourront pas avoir lieu avant l'adoption d'une Constitution dont la rédaction est dans l'impasse depuis des mois, faute de compromis à la constituante formée en octobre 2011. La décision de Hamadi Jebali, le Premier ministre islamiste, de dissoudre le gouvernement et de placer des technocrates aux postes à responsabilité arrive trop tard», explique l'homme d'une soixantaine d'années, au long passé politique. Cette décision de Hamadi Jebali, a d'ailleurs été refusée, jeudi 7 février, par le chef du groupe parlementaire d'Ennahda, qui contrôle 89 des 217 sièges de l'Assemblée nationale constituante. Deux ans après la révolution, le taux de chômage est toujours très élevé dans le pays (18% à l'échelle nationale et près de 50% dans certaines régions) et le mécontentement est à son comble. (...) Avec un brin de provocation, un homme à la barbe noire reprend: «On attend que nos frères les salafistes changent les choses. Beaucoup de jeunes ont aujourd'hui le sentiment que la révolution leur a été confisquée et, avec l'assassinat de Chokri Belaïd, la colère semble l'avoir emporté sur l'espoir. Pour Jean-Pierre Filiu, spécialiste du Monde arabe: «Les islamistes ont fait passer l'intérêt du parti avant celui de la nation, les partis issus des Frères musulmans ont échoué en Tunisie comme en Egypte, car ils ont monopolisé le pouvoir. Les temps sont durs pour les Tunisiens. (...) Les principaux partis ne parviennent pas à trouver un accord sur les institutions de la nouvelle République et les valeurs qui doivent la fonder. La tentative du Premier ministre Hamadi Jabali de former un large gouvernement de coalition, ces dernières semaines, a échoué. Ces dissensions affaiblissent l'administration et les organes censés faire respecter un Etat de droit. Elles ouvrent des espaces à des forces extrémistes soutenues par Al Qaîda au Maghreb islamique. L'assassinat de Chokri Belaïd, un farouche opposant aux islamistes, témoigne de l'exacerbation des tensions. Ses funérailles, hier, ont été accompagnées par un mouvement de grève générale lancé par le puissant syndicat Ugtt. Elles peuvent déboucher sur un durcissement de la confrontation entre le principal parti islamiste, Ennahda, et les forces de gauche. À l'inverse, une autre voie serait l'union sacrée entre les forces démocrates, qu'elles soient islamistes ou laïques, avec l'objectif de remettre le pays sur les rails.(5) L'impression du déjà-vu et du déjà-vécu Pendant ce temps, Mohamed Merzouki apitoie les parlementaires européens par son discours qui a suscité, dit-on, beaucoup d'émotion dans l'assistance, dont une partie a même versé des larmes, à l'image du député vert, Daniel Cohn-Bendit, et le chef de file des conservateurs, Joseph Daul. Le président tunisien, qui était aussi attendu au sommet de l'OCI au Caire, a annulé sa participation. C'est dire si les soutiens sont de taille et sont autrement plus importants que les 55 chefs d'Etat et de gouvernement musulmans que M.Marzouki a choisi d'ignorer. En apprenant l'assassinat de l'avocat tunisien Chokri Belaïd, nous avons l'impression de vivre un cauchemar et surtout un film d'horreur que nous avons déjà vécu, il y a une vingtaine d'années. Il est curieux de constater que le scénario de la terreur est le même. Est-ce une fatalité pour aboutir à la liberté, à la démocratie, à l'alternance et au vivre-nsemble. Entre les positions extrêmistes des laïcs musulmans tunisiens installés confortablement en Occident voulant à tout prix être plus royalistes que le roi, ils et elles en rajoutent. Elles veulent toute la laïcité, voire l'athéisme tapageur, l'alternance de la liberté, pour faire comme l'Occident sans substrat endogène. Ces élites du «Y a qu'à...» oublient deux choses: la démocratie qui n'interdit de respecter les espérances de chacun- sans en faire un fonds de commerce -, est un long combat, «les démocraties» occidentales ont mis plus d'un siècle pour créer un modus vivendi entre le clergé et l'Etat comme c'est le cas pour la loi de 1905 en France, loi qui ne fut pas facile à mettre en place. La deuxième chose est que s'agissant des pays musulmans depuis des siècles, il y a des équilibres sociologiques invisibles dont la cinétique d'évolution est lente et surtout elle est parasitée par des interférences externes qui font tout sauf aider à la solution. Pour Antoine Sfeir, dont l'horizon indépassable est le modèle français qui craint justement les parasitages par des dollars sonnants et trébuchants «la crise socio-économique (en Tunisie) peut néanmoins faire craindre une manne de dollars en provenance du Qatar et de l'Arabie Saoudite, non seulement à destination des partis islamistes et des groupes salafistes, mais également pour rendre les institutions financièrement dépendantes. (...) Aux oiseaux de mauvais augure, faut-il rappeler qu'une révolution ne se fait pas du jour au lendemain, et qu'en Tunisie, comme en Egypte, le processus est toujours en marche? Une telle transformation a besoin de temps pour s'ancrer et toucher, à la fois les institutions de l'Etat et la société entière; il a fallu à la République française près de deux siècles pour devenir un acquis définitif».(6) Nous sommes d'accord avec sa première assertion. Ce que M.Sfeir oublie d'ajouter est que justement les interférences externes sont aussi celles d'un Occident qui croit détenir la Vérité, parasitent la recherche d'un vivre-ensemble qui n'est pas forcément homothétique du modèle à la française ou à l'Occidental. Il aurait dû écrire par honnêteté que l'Occident qu'il encense, s'était très bien accommodé d'un Moubarak ou d'un Ben Ali, Jacques Chirac n'avait-il pas affirmé que Ben Ali était un démocrate et que le premier devoir d'un président est d'assurer le pain à ses citoyens avant la liberté? Le même Chirac qui, dans une boutade dont il a le secret, s'exprimait sans rire: «Il faut aider les dictateurs africains, sinon ils ne feraient pas d'élections». L'Occident ne laissera jamais une révolution endogène réussir. Faut-il rappeler à M.Sfeir, responsable de cette doxa occidentale, que Rachid Ghannouchi le Frère musulman était choyé en Angleterre et que l'imam Khomeini a vécu de longues années sous la protection de la France à Neaulphe-le-Château. De grâce, ne nous donnez pas de leçon! En fait, les lâches assassinats de Chokri Belaïd et de Lotfi Nagdh sont symptomatiques d'un mal profond. La violence politique et le terrorisme sont devenus une réalité dans le paysage politique tunisien. Elle passe, toute chose égale par ailleurs, par le même itinéraire que celui de l'Algérie pendant la décennie rouge. Souvenons-nous, l'Algérie s'égosillait à perdre la vie pour dénoncer cette plaie du fond des âges, répétant que ce n'est pas cela l'Islam tolérant maghrébin non parasité par les dérives boostés par les roitelets du Golfe. Rien n'y fit! Il a fallu attendre l'après-2001 pour que l'Algérie soit audible. Les donneurs de leçon qui ont toujours deux fers au feu, sont mal placés pour donner des leçons à l'Algérie pour l'attaque de son centre pétrolier de In Amenas. Nous qui vivons sur un lit de braises mal éteintes savons ce que c'est la recherche vaine d'un projet de société oecuménique du fait justement des donneurs de leçon occidentaux. Nous avons de l'affection pour la Tunisie, sa recherche désespérée d'un vivre-ensemble où chaque Tunisienne et chaque Tunisien pourront donner la pleine mesure de leur talent à l'ombre des lois d'une République qui ne renie rien de son histoire, d'une culture et d'un Islam apaisé millénaire qui ne fait pas dans le m'as-tu vu, qui n'est pas instrumentable et surtout qui n'est pas un chemin pour arriver au pouvoir autrement que par le savoir, la compétence. 1. Aïssa Hirèche http://www.lexpressiondz.com/actualite/168615-la-haine-a-frappe.html 2. Lotfi Larguet http://www.courrierinternational.com/article/2013/02/07/le-gouvernement-doit-reconnaitre-son-echec 3. http://www.elwatan.com/international/chokri-belaid-la-voix-qui-derange-08-02-2013-202552_112.php 4.http://www.elwatan.com//international/peur-sur-la-tunisie-07-02-2013-202448_112.php 5. http://www.la-croix.com/Editos/Tunisie.-Un-choix-necessaire-_NG_-2013-02-07-908722 6. http://leplus.nouvelobs.com/contribution/777554-meurtre-de-chokri-belaid-a-qui-le-crime-profite-t-il.html