C'est le premier assassinat politique en Tunisie Le peuple tunisien est sorti dans les rues dans toutes les villes du pays pour manifester sa colère contre cet acte odieux. Premier assassinat politique en Tunisie! Une figure de l'opposition tunisienne, Chokri Belaïd, a été tuée, hier, par balles à la sortie de son domicile à Tunis. Selon le Premier ministre tunisien Hamdi Jebali, Belaïd a été tué de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, sorte de long manteau traditionnel en laine avec une capuche pointue. Ce meurtre intervient au lendemain du passage de Chokri Belaïd sur le plateau de la chaîne privée Nessma TV où il était l'invité d'une émission politique. Lors de cette émission, qui a été diffusée mardi en soirée, Chokri Belaïd a accusé Ennahda (parti au pouvoir en Tunisie, Ndlr) d'avoir donné le feu vert pour des agressions physiques contre les opposants. Des imputations qui viennent s'ajouter à celles des partis d'opposition et des syndicalistes qui ont accusé des milices pro-islamistes d'orchestrer des heurts ou des attaques contre les opposants ou leurs bureaux. Est-ce l'accusation de trop? Ses proches ont, eux, pointé du doigt les islamistes au pouvoir, alors que le Premier ministre dénonçait «un acte de terrorisme» dans un contexte d'instabilité croissante de la Tunisie. Le frère de Belaid a immédiatement accusé le parti islamiste Ennahda, qui dirige le gouvernement tunisien, d'être responsable du meurtre. «J'accuse (le chef d'Ennhada) Rached Ghannouchi d'avoir fait assassiner mon frère», a-t-il déclaré, sans plus d'explications pour étayer cette accusation. Le défunt était en tout cas réputé pour être l'un des leaders charismatiques de l'opposition. Critique acerbe du gouvernement actuel, Chokri Belaïd avait rejoint cette année une coalition de partis de gauche, le Front populaire, qui se pose en alternative au pouvoir en place. Il était le secrétaire général de cette alliance qui regroupe l'ensemble des partis de gauche, marxiste, trotskiste et socialiste. Belaïd, menacé de mort sur une vidéo! Le front de gauche est considéré comme la troisième force politique en Tunisie. Cet assassinat, le premier du genre en Tunisie, risque de mettre en péril le pays. Un danger que Chokri Belaïd avait à maintes reprises dénoncé. Il avait mis en garde contre l'usage de la violence politique, qui risquait, selon lui, de mettre en danger la transition démocratique, et en péril toute la Tunisie. Les critiques du leader du Front de gauche auront donc fait de lui le premier mort politique de la Tunisie post-Benali. Mais avant d'être sauvagement assassiné, Chokri Belaïd avait reçu des menaces de mort. Une vidéo montrant des islamistes menaçant de mort «Chokri Belaïd et ses semblables», a été postée sur le Net. Cette vidéo prise à Zarzis (Tunisie) a été, selon les internautes tunisiens, publiée en juin dernier sur une page tunisienne. Pour les islamistes tunisien, le défunt faisait donc partie des personnes à éliminer Mais pourquoi l'Etat n'a donc pas pris les mesures nécessaires pour éviter un tel drame? A en croire la vidéo, la liste des personnes serait encore longue. Chokri Belaïd et «ses semblables» sont dans le viseur des islamistes. Cet assassinat est-il le premier d'une longue liste? D'autres meurtres du genre pourraient conduire la Tunisie vers le K.O. Juste après l'assassinat, la réaction de la rue tunisienne ne s'est pas fait attendre. Des manifestations ont été organisées un peu partout en Tunisie. A Rédif, les manifestants ont incendié le siège d'Ennahda et se sont rassemblés au niveau de la place de l'Union. A Sidi Bouzid, une manifestation s'est dirigée vers le siège d'Ennahda. A Tunis, des milliers de personnes se sont rassemblées devant le siège du ministère de l'Intérieur quelques heures après l'assassinat du leader du Front populaire. Les manifestants scandaient des slogans hostiles au parti islamiste Ennahda, et chantaient l'hymne national face au ministère, situé sur l'avenue Habib Bourguiba, haut lieu de la révolte de 2011. A Menzel Bouziane, une grande manifestation demande la chute du régime alors que les établissements scolaires et administratifs ont fermé. A Sousse, une marche a eu lieu devant la Faculté de droit. A Gafsa, ce sont les avocats qui ont marché. A Sfax, les écoles ont fermé, un grand rassemblement a eu lieu à la place principale de la ville. On parle de 15.000 manifestants. A Kef, des citoyens et des avocats ont organisé un rassemblement devant le siège du Front populaire. Devant l'hôpital du quartier Ennasr de Tunis, où la dépouille mortelle de Belaïd a été transférée, une foule s'est aussi réunie hurlant sa colère et accusant Ennahda, scandant: «Le peuple veut une nouvelle révolution!» Bref, la société civile tunisienne. s'est mobilisée pour «dénoncer cet acte odieux». Le tournant? Il n'en demeure pas moins que ce meurtre pourrait être un grave tournant pour l'avenir politique du pays. Le Premier ministre Hamdi Jebali l'a reconnu. «C'est un acte criminel, un acte de terrorisme pas seulement contre Belaïd mais contre toute la Tunisie», a-t-il dit, promettant de tout faire pour que le tueur soit arrêté rapidement. «Le peuple tunisien n'est pas habitué à ce genre de choses, c'est un tournant grave (...) notre devoir à tous, en tant que gouvernement, en tant que peuple c'est de faire preuve de sagesse et de ne pas tomber dans le piège du criminel qui vise à plonger le pays dans le désordre», a-t-il insisté. Ce meurtre vient s'ajouter aux crises sociales et politiques que traverse la Tunisie. Le pays est plongé dans une impasse politique, faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections. La coalition au pouvoir dominée par Ennahda traverse une grave crise, ses deux alliés de centre-gauche Ettakatol et le Congrès pour la République réclamant un remaniement d'ampleur du gouvernement pour retirer aux islamistes des ministères régaliens. Le pays de Bourguiba a aussi vu se multiplier les violences sociales et politiques ces derniers mois. La crise économique est en nette croissance tout comme le chômage. La Tunisie pourrait même recourir à des emprunts du FMI pour sortir la tête de l'eau.