Un «quartier» habité par des milliers de familles Assister, tout en admirant, à une scène de vol ou d'agression à l'arme blanche, constitue la principale distraction des jeunes. «Nous sommes mobilisés de jour comme de nuit pour effectuer d'incessantes patrouilles et des rondes dans cette citadelle inexpugnable qui n'est autre que le quartier chaud d'El Hassi, comme nous avons renforcé notre mobilisation depuis que les deux Maliennes ont été victimes du viol collectif», a affirmé un gendarme de la brigade de Yaghmouracen. Et ce dernier d'ajouter que «le quartier en question est tout à fait identique à ceux des films d'action américains, la criminalité a pris des proportions alarmantes et des virages tout aussi dangereux». De tels aveux sont plus que révélateurs du mal qui a essaimé dans la banlieue oranaise. Cela se passe au moment même où plusieurs services de l'Etat disent avoir mis le paquet dans la lutte contre la prolifération des bidonvilles et la criminalité. Que nenni. Les camarades... la proie facile El Hassi, ce quartier ayant poussé comme un champignon durant les années de la tragédie nationale, a pris des extensions phénoménales. Il est habité par des milliers de familles qui ont fui les zones de choc. Au départ, il a été construit à base de tôles et autres matériaux de fortune pour se transformer, à la longue, en habitations en semi-dur, mais anarchiques et sans aucune esthétique architecturale. Aujourd'hui, il est devenu comme une citadelle difficilement accessible: peu d'étrangers au quartier, Algériens ou subsahariens, en sortent indemnes le jour. Quel sera-t-il donc le sort de ceux qui s'aventurent la nuit, en particulier ces clandestins africains fuyant en permanence les coups de filet de la gendarmerie. «Si les gendarmes nous ratent, les voleurs et les agresseurs, eux, nous rattrapent en nous collant leurs grands sabres aux reins pour nous délester du peu de vivres et de sous que nous nous procurons en tendant la manche», a déploré une jeune Camerounaise. Roger, cet autre subsaharien, tire sa baguette des mille et une professions de fortune qu'il exerce dans des chantiers et petits boulots contre des salaires humiliants. Il décrit sa misère et celle de sa famille en déclarant que «nous vivons dans des conditions tout à fait semblables à celles des favelas brésiliennes; hormis la Ligue algérienne des droits de l'homme et le Snapap, personne ne nous vient en aide, ne serait-ce que pour nous protéger de ces attaques perpétrées contre des familles sans défense». Abattu par la mésaventure vécue en fin de semaine dernière par Aïcha Myriam et Amina Touré, Roger n'est pas allé par quatre chemins pour dire que «le quartier d'El Hassi constitue un véritable coupe-gorge pour les immigrants africains, notamment les clandestins» ajoutant que «nous, mes camarades et moi, vivons dans la peur permanente, des voyous de tous bords, balafrés un peu partout sur le visage, qui viennent fréquemment nous agresser dans des chambres que nous avons louées». Pour Roger, «le viol collectif subi par Aïcha Myriam et Amina Touré n'est qu'un exemple qui a été déclaré et pris en charge par la presse et les défenseurs des droits de l'homme algériens». «D'autres agressions sexuelles ont, dans un passé récent, été perpétrées à El Hassi contre des femmes sans aucune défense, les victimes se sentant étrangères, notamment celles séjournant clandestinement en Algérie, se voient obligées d'obéir à la loi du silence de peur d'être expulsées», a-t-il expliqué. Bouha Ghalem du bureau d'Oran de la Ligue algérienne des droits de l'homme a affirmé que «la ligue et le Snapap sont inscrits dans une activité avec le HCR, CIR (Comité italien pour les réfugiés) et Médecins du monde (MDM) pour venir en aide aux migrants sur le plan de la santé et de la justice en plus de leur défense». A El Hassi les chiens n'aboient pas «Regarde comment ils vont le travailler, ils vont s'occuper de lui, subtiliser tous ses effets sans que le pauvre malheureux ne puisse se rendre compte.» Une telle phrase revient souvent dans la bouche de ceux et celles qui se retrouvent témoins des vols à la tire ou à l'aide des armes blanches. Ces derniers n'interviennent guère pour crier «au voleur!» comme il est de tradition dans des pays où le civisme et venir en aide à la personne en danger constituent deux valeurs sociales. Un tel comportement, qui n'est pas né le jour de la naissance des Oranais, est vraisemblablement ancré dans les esprits. Assister, tout en admirant, une scène de vol pour la raconter aux copains dans le petit coin de la cité, constitue la principale jouissance, notamment des jeunes qui s'identifient aux grands bandits des films hollywoodiens comme ceux qui ont séjourné dans les prisons de l'Alcatraz et de Boyka. D'autres, notamment les vieux de la bonne vieille école, se voient contraints de commettre l'erreur du silence, de peur de subir les graves représailles des bandits planqués dans tous les coins du quartier, tout en surveillant de près leur proie avant de l'apostropher sous la menace des armes blanches. Pourtant, taire un crime ou un délit de crime constitue tout aussi un délit de complicité et de non-assistance à personne en danger, lequel est sévèrement puni par la loi. «Je n'ai rien vu ni rien entendu ni encore moins connu ou rencontré un jour la personne recherchée.» Cette phrase revient comme un leitmotiv sur les lèvres de tous les passants interrogés lors des différentes étapes des investigations menées par les services de sécurité. Aussi, ils n'interviennent guère dans des cas d'agressions ou de vol à la tire ou sous la menace d'armes prohibées. Les rares audacieux qui risquent de s'aventurer à dénoncer dans leurs témoignages des scènes de violences se rétractent précipitamment et reviennent sur leurs premières déclarations qu'ils ont faites lors de leurs auditions, en tant que témoins, par les services de la gendarmerie. Derrière le Front de mer est donc dressé un véritable front de la misère dont celui d'El Hassi qui est cette favela qui souille l'image de la ville d'Oran que l'on veut booster dans le cadre de sa modernisation. Des dizaines de bidonvilles se sont transformés en foyers de tous les phénomènes comme la criminalité, la prostitution, la drogue; et voilà venir à grande vitesse, un autre phénomène, celui des viols... collectifs. L'abandon, le laxisme et le je-m'en-foutisme des dizaines des responsables qui se sont succédé à la tête de la wilaya et de la commune d'Oran ainsi que ceux qui ont guidé les services devant juguler, sinon stopper l'exode rural, en ont été les causes principales. Sinon, comment interpréter le silence du pouvoir local qui a assisté, pendant plusieurs années et sans intervenir, à la construction effrénée du bidonville géant d'El Hassi, aujourd'hui rattaché administrativement au secteur urbain de Bouamama? La wilaya d'Oran compte actuellement quelque 13.000 bidonvilles. A lui seul, le secteur urbain de haï Bouamama connaît une prolifération inquiétante des habitations anarchiques réalisées le plus souvent sur le domaine forestier avec de simples matériaux. Les baraques, qui ont été dressées, l'ont été suivant les liens des douars et baptisés chacun du nom de ces derniers. On y trouve le douar de «Coca», douar «Tiartia» et dans les parages on tombe nez à nez avec haï Ben Arba (ex-Le Rocher). Un seul fautif, le pouvoir local Ces douars regroupent plus de 4000 habitations de fortune. «Les opérations de mise à plat des bidonvilles ne semblent pas avoir été menées à terme puisque les squatters, bien au contraire, sont revenus sur les terrains qu'ils ont habités pendant de longues années. Des centaines de baraques ont été construites sur des terrains forestiers», a indiqué un cadre de la Conservation des forêts de la wilaya d'Oran. Et ce dernier d'ajouter que «de nombreux squatters ont profité de la suspension provisoire des opérations de démolition, ce qui a avantagé l'élargissement des constructions illicites vers les sites limitrophes à la forêt». «Mieux encore, certains charognards n'ont trouvé rien de mieux à faire que de morceler des terrains entiers en plusieurs parcelles, pour les revendre à plusieurs autres personnes pour la construction de baraques de fortune», a-t-il déploré.