Les jeunes ne se sont pas laissés manipuler Quelque 2000 chômeurs s'étaient retrouvés au niveau de la place 27 Février 1956, date à laquelle les habitants du Sud étaient sortis pour dénoncer le projet de division du pays que voulait imposer la France coloniale. «Sous le sable, il y a la terre et sous cette terre existent des gisements de pétrole. Quand vous avez besoin de nous, vous venez avec vos caméras. Avec notre chèche qui cache la misère de nos enfants, nous paraissons beaux sur vos images (...).» Ces passages d'une chanson (Les Touaregs) de Idir dans son album Les chasseurs de lumière édité durant les années 1990, est un concentré du message que les citoyens du Sud adressent aux autorités. Ce message ressortait parfaitement bien avant-hier lors du rassemblement organisé par les chômeurs de Ouargla. Empreinte de sagesse, cette manifestation a été aussi une leçon de patriotisme pour les mauvais élèves de la République. Jeudi, 8h du matin. Un calme précaire s'installe à Ouargla. Même les cafés qui, pourtant, d'habitude grouillent de monde, ont été désertés. Les magasins du centre-ville ont baissé rideau. Les regards, tous les regards, étaient braqués sur la marche des chômeurs qui devait avoir lieu dans la matinée. Tout le monde appréhendait cette marche appelée par les organisateurs, celle du «million» en référence au nombre de personnes qu'elle devait mobiliser. Toutefois, les chômeurs n'auront finalement pas marché. Ils se sont contentés d'un rassemblement au niveau de la place de la mairie de la ville. Quelque 2000 chômeurs s'étaient retrouvés au niveau de cette place qui porte le nom de la grande manifestation pour l'unité du pays, à savoir le 27 Février 1956, date à laquelle les habitants du Sud étaient sortis pour dénoncer le projet de division du pays que voulait imposer la France coloniale. «Nous avons choisi symboliquement cette place pour rappeler des faits d'histoire à ceux qui nous traitent de séparatistes», révèle un des organisateurs de ce rassemblement. Les chômeurs de Ouargla ont insisté sur ce point. D'ailleurs, sur la plus grande banderole déployée lors de ce «sit-in» était écrit: «L'unité nationale est la ligne rouge.» «Le Nord et le Sud, l'Algérie dans le coeur», était un autre slogan qui a pour but de «confirmer notre attachement à l'unité nationale», souligne le même organisateur. En plus des banderoles, les chômeurs de Ouargla ont tenu à commencer le rassemblement avec le lever du drapeau national. Les manifestants ont chanté en choeur, tous ensemble l'hymne national, Kassaman. Il n'en fallait pas plus pour chauffer l'ambiance. Kassaman est le symbole de la placette L'hymne national ayant pris fin, c'est le début de la contestation. «Luttons, luttons, jusqu'à ce que travaille le chômeur», scandaient les manifestants. Les «One, two, three, viva l'Algérie», fusent. Des jeunes, des vieux et quelques femmes étaient tous réunis dans cette place rebaptisée pour l'occasion, place Tahrir (la Liberté, Ndlr, en référence à celle de la révolution égyptienne), pour, disent-ils, défendre les droits des enfants du Sud. Même les célèbres slogans du printemps arabe ont été adaptés à la circonstance. «Chaâb youride... el aâmal (le peuple veut...du travail», ont fait partie également des revendications scandées par les jeunes du Sud. L'ambiance monte encore plus quand des slogans «Anti-prédateurs de la République» sont scandés. «Le peuple veut que Chakib soit jugé. Citoyen, tu es la victime, viens défendre ta cause. Le peuple est opprimé». S'ensuit «Sarakine, hagarine ou igoulou wataniyine» (des voleurs, des méprisants et ils se disent nationalistes)». Certains sont même montés sur le toit de la mairie qui faisait face. D'autres sont carrément montés sur une bâche à eau d'une dizaine de mètres de haut pour que leurs banderoles soit bien visibles. Le drapeau national flottait partout. Chakib Khelil chauffe les esprits... Ça chauffe, mais ça reste pacifique. Le nombre restreint de policiers qui étaient présents et qui observaient de loin la manifestation sans intervenir a permis d'éviter que la manifestation ne dérape. Même avec le manque d'expérience des organisateurs qui n'arrivaient pas à gérer la foule et encore moins prendre la parole. Ce n'était pas le cas des manifestants qui en ont profité pour vider leur sac. Ils n'ont pas hésité à interpeller les journalistes, présents en masse, pour leur exprimer leur ras-le-bol. «On est les oubliés de la République», peste Fateh, jeune diplômé en génie mécanique et sans emploi. «On est des Algériens, on réclame juste nos droits d'Algériens», ajoute-t-il avec un air triste, mais en même temps déterminé car il affirme que le combat ne fait que commencer. «On est déterminés à aller jusqu'au bout de nos revendications car on est conscients que notre mouvement a pris de l'ampleur au point de faire peur au gouvernement», soutient-il. Politique de l'emploi, dites-vous! Ahmed est du même avis. «On n'aura pas une autre occasion pour obtenir nos droits. Si le train passe, il sera trop tard...», estime-t-il. «Je sais que le chômage touche tous les jeunes du pays, mais nous, nous sommes victimes d'injustices quotidiennes», assure Ahmed qui se demande comment un pays qui prête de l'argent au FMI et qui dort sur 200 milliards de dollars de réserves de change, n'arrive pas à assurer à ses citoyens leurs droits les plus élémentaires. «C'est une question philosophique que même Socrate ne pourra y répondre», ironise Mohamed qui se voit couper la parole par son ami Khaled qui voulait à tout prix s'exprimer devant la presse. «La politique de l'emploi à Ouargla est une véritable hogra. Les bureaux de main-d'oeuvre ne sont qu'une façade car tous les recrutements sont centralisés au niveau d'Alger et sont donnés avec du piston», dénonce-t-il, avant d'ajouter: «Je n'ai aucun problème avec les gens d'Alger, mais je suis contre la politique de deux poids, deux mesures. Je trouve anormal que ceux qui viennent d'Alger soient recrutés en CDI alors que nous, on est recrutés en CDD, en plus avec des salaires inférieurs à ceux du Sud», poursuit-il avec amertume. «On à l'impression qu'ils nous considèrent comme des sous-Algériens. La carte de l'Algérie est une chaussure où le Sud est la semelle qu'on écrase», avance-t-il avec esprit. «Mais la patience a des limites, là, on est usés, donc il faut, soit nous jeter, soit nous réparer...», réplique-t-il avec autant d'esprit. Colonisé par son propre pays! Courroucé par tant de mépris, plus expressif, Taoufik, lui, estime que les autorités se comportent avec les gens du Sud comme un colon traite les indigènes. «Ils pompent les richesses de nos terres sans qu'on en profite. J'appelle cela être colonisé par son propre pays», dénonce ce jeune chômeur qui souligne, toutefois, qu'il a nullement des idées séparatistes. «Mais c'est juste un constat que je fais. Vous avez fait un tour à Ouargla? Est-ce que ça ressemble à une ville?», nous interroge-t-il avant de poursuivre: «Eh bien, c'est la wilaya la plus riche d'Algérie, c'est même elle qui fait vivre les 47 autres wilayas du pays, mais elle est dans un état lamentable. Je la considère comme un bidonville urbain.». En effet, à l'entrée de la ville de Ouargla, on est «accueillis» par les odeurs nauséabondes des égouts qui remontent à la surface. «Ce problème de remontée des eaux est soi-disant réglé mais... Regardez juste l'état de notre mairie, regardez nos routes, nos trottoirs, l'éclairage public, les ordures qui s'entassent partout...C'est honteux, honteux, honteux!». Le travail n'est pas la seule revendication, Khemisti Mohamed Sayeh, journaliste à la radio locale et militant des droits de l'homme va dans le même sens que le jeune Taoufik. Il dénonce l'Etat de délabrement de sa chère ville ainsi que le manque d'infrastructures. «Il n'y a rien à Ouargla», résume-t-il la situation. «Tous les projets que l'Etat prévoit sont des attrape-nigauds qui ne voient jamais le jour», certifie Si Khemisti. Il prend pour exemple le tramway de Ouargla, l'alimentation de la ville en eau potable et sa protection contre les remontées des égouts. «Ce sont des projets qui devraient être livrés mais ils n'ont pas encore vu le jour», dénonce-t-il. C'est pour ces raisons qu'il affirme que l'emploi n'est pas la seule revendication du mouvement des chômeurs de Ouargla. «L'emploi est notre priorité, mais il n'est qu'a la tête d'une longue, très longue liste», précise-t-il avant d'énumérer cette liste. «On veut de vrais emplois durables, des logements dignes de ce nom, des loisirs ainsi qu'un développement durable de la région. En résumé, on veut avoir le droit de vivre normalement, tout en retrouvant notre dignité.» Les dernières mesures prises par le gouvernement ne répondent pas d'après lui à ces revendications. «On sait très bien qu'ils ne vont pas régler les problèmes de 50 ans en deux jours. Qu'ils nous proposent une feuille de route qu'on traitera ensemble», conclut ce militant. Il est midi, le Comité national de défense des droits des chômeurs (Cnddc) annonce la fin du rassemblement. Il demande aux manifestants de se disperser, ce qui ne plaît pas à certains qui restent sur place. Quelques accrochages verbaux s'ensuivent et les premières décisions dans le mouvement commencent. Tous cela sous l'oeil bien vigilant de la police qui a «chômé» avec cette manifestation des chômeurs. Voilà donc l'histoire d'une marche qui ne dit pas son nom dans tout le sens du terme...Elle aura tout de même eu le mérite d'attirer les regards sur la détresse d'un Sud qui a perdu le Nord...