«Concédez-moi ce plaisir de parler d'abord de celles que j'aime!» Dans un troisième ouvrage destiné au patrimoine musical algérien et préfacé par Khalida Toumi Elles, des voix algériennes, on y trouve 23 portraits d'artistes féminines croquées de façon originale et singulière. Pourquoi elles et comment en parler? L'auteur de ce beau livre nous l'explique... L'Expression: C'est votre troisième livre consacré au patrimoine musical algérien après Guerrouabi et Lamari. Ce dernier a trait aux voix féminines algériennes. Pourquoi ce choix maintenant et ces dernières plus précisément? Abdelkrim Tazaroute: Pourquoi les femmes? Parce qu'on m'avait fait un reproche. J'avais programmé Warda et Seloua. Durant les ventes-dédicaces et surtout les conférences, il y a des femmes qui m'ont demandé si j'avais un problème avec les femmes chanteuses. Alors là, loin de là. C'était une question de temps car j'avais au programme, un livre en ce sens. C'est revenu avec cette insistance. Les gens ont tellement insisté. Comment faire pour réparer ça? En réalité, mon projet, qui date de 1986, était de faire une trilogie de la musique algérienne. En trois tomes, ambitieux. Et puis il y a eu les événements d'octobre 1988 et puis la décennie rouge. Tout ça a été mis de côté. Mais j'alimentais ma documentation. Après Guerrouabi et Lamari donc, je voulais faire quelque chose d'original. Ni une biographie ni raconter des parcours, mais faire quelque chose de personnel. Des portraits personnalisés avec une sélection très subjective. Le critère premier c'est au minimum qu'elles aient dans leur répertoire une chanson qui m'a donné des frissons. Après, ce sont des artistes que j'ai côtoyées, que j'ai connues, suivies. Je suis dans la rubrique culturelle depuis 1982, ça me fait donc une trentaine d'années. Je suis un mélomane doublé de musicien. J'écoute énormément. C'est à partir de là que cette sélection a été faite. L'autre critère, c'est être aussi des femmes qui se démarquent, chacune dans son genre. Chacune a dans son parcours une originalité, a mené à sa manière un combat, moderne, libérateur. Ces dames ont mené un combat. Prenez-les de la première jusqu'à la dernière, elles ont toutes mené un combat. On trouve un peu de tout, de Warda El Djazaïria, en passant par Seloua, Hassiba Amrouche, Hasna El Becharia, Zahouania etc. De la plus ancienne génération à la récente représentée par Souad Massi.. Oui, absolument. Parce que c'est ma vie. Toutes ces dames renvoient à des séquences de ma vie et le tout, ça donne un film de la vie, de l'Algérie car vous avez aussi l'histoire de l'Algérie qui se dessine en filigrane à travers ces portraits. Parlons de Fadila D'ziriya. Au début ce n'était pas la chanteuse qu'on connaît, ce qui m'attirait en elle, c'était le port altier qu'elle avait. Pour moi, c'était l'Algéroise typique, avec sa tenue. Elle portait fièrement le karakou, le khit el rouh. C'était l'image de l'Algérienne type par opposition à l'Européenne. Bien sûr, c'était aussi la chanteuse. Qui ne connaît pas au moins une chanson de Fadila Dziriya? C'est une référence. J'ai découvert son parcours en travaillant sur Guerrouabi. J'ai découvert qu'elle a fait du théâtre avec lui. C'était l'époque de Bachtarzi. Elle faisait la première partie, théâtre, et la seconde, elle la consacrait au chant. Aussi, à l'époque, elle a refusé de se marier, car elle était jeune. Et puis elle est partie s'exiler en France puis elle est revenue, elle s'est imposée. Vous vous rendez compte! D'autres chanteuses comme H'nifa ont eu une vie inimaginable. Iftini en a fait un excellent documentaire, mais son parcours mérite un film, un long métrage fiction qui aura plus de succès que Piaf avec La Môme. Elle a eu une vie incroyable. Quand j'étais enfant à Béjaïa, j'entendais les femmes chanter les morceaux de H'nifa. Elle chantait sur la malchance, «zahri» qu'elle disait. Je ne comprenais pas. Je me demandais pourquoi les femmes adoraient cette chanson? Peut-être parce qu'elle parlait de leur condition. Celle de la femme, qui est difficile. Prenez une chanteuse comme Fella Ababsa. Je l'ai vue chanter une fois, ça remonte à 20 ans, dans un studio. Je me suis dit que ce n'était pas possible, elle a une voix incroyable! Il y avait le responsable du studio qui se trouve être un excellent musicien et chanteur. Il s'appelle Kezim. Il m'a dit que c'était la plus belle voix d'Algérie et le hasard a voulu que je l'entende une fois dans une version de Oualach el ghdar, (chanté par Boujemâa El Ankis et composé par Mahboubati). Elle en a fait une version magistrale, unique. Elle peut tout chanter, à l'aise. Elle a ramené quelque chose, son statut de star avec sa façon de s'habiller etc. Prenez aussi Hassiba Amrouche. C'est la Tina Turner algérienne, la minijupe en moins remplacée par le jean. Elle rentre dans la salle, cette dernière est surchauffée. Elle a interprété une chanson de Lamari, je m'excuse de le dire, mais elle l'a chantée mieux que lui. Elle a aussi chanté Warda à Alhane oua chabab. C'était génial. Maintenant elle est passée au registre kabyle. A l'époque, elle était au hit-parade durant deux mois avec un fameux single. C'est une rockeuse! Et tant d'autres. Le travail que fait Houria Aïchi est génial. Il est digne d'un anthropologue. Elle revalorise le patrimoine qu'elle chante dans le monde. Zahouania, vous ne savez pas si elle chante juste ou faux, mais elle ne vous laisse pas indifférent. Donc, dans vos textes, on y trouve des anecdotes plutôt qu'une biographie figée. On retrouve en fait la particularité de chaque artiste, ce qu'elle a de singulier, ce qui la distingue des autres. Regarde Souad Massi, elle est partie d'ici, elle faisait un peu de rock. Avec l'ouverture médiatique, elle est passée dans l'émission Rock Dialena, ça a permis aux gens de l'écouter. Elle est partie en France. Elle a commencé à avoir du succès. Puis elle revient à ses origines, elle fait dans le chaâbi. Aujourd'hui, elle revient aux sources, elle s'en alimente un peu. Elle en donne un cachet. Ses chansons se répandent dans le monde entier. Aujourd'hui, elle chante, écrit et compose. Elle fait des duos avec de grandes stars françaises et autres. Les grandes stars n'acceptent pas de chanter avec n'importe qui. C'est tout un itinéraire, le parcours de ces femmes... Une suite peut-être? Là il y a 23 portraits. Normalement, si Dieu me prête vie, oui, car j'en découvre encore. Je commence à avoir des échos, des gens qui me disent que j'ai oublié telle ou telle personne, etc. C'est vrai. Je leur ai dit que c'est subjectif. C'est mon choix. Après je vais être un peu plus objectif en reprenant certaines personnes que j'aime ou je n'aime pas. Reinette l'Oranaise, par exemple, aura droit de cité également? Oui bien sûr. Absolument. Et d'autres.. Mais pour l'instant, je réponds aux gens, concédez-moi ce plaisir de parler d'abord de celles que j'aime!