Dans cette interview, Maître Abderrahmane Charef, avocat agréé près la Cour suprême et le Conseil d'Etat, aborde la notion de l'arbitrage international, peu connu en Algérie. Il explique pourquoi les entreprises algériennes ne sont pas suffisamment armées pour faire face à d'éventuels recours de leurs partenaires aux tribunaux internationaux. L'Expression: Pouvez-vous nous parler de l'arbitrage international qui est méconnu en Algérie? Maître Abderrahmane Charef: C'est une question complexe parce qu'elle relève exceptionnellement, sinon exclusivement du droit international privé. Ce sont des questions extrêmement complexes dans la mesure où elles font appel à des notions de droit de chacun des pays qui sont concernés en même temps que les règles applicables internationalement. C'est la raison pour laquelle l'arbitrage international est fondé en grande partie sur la Convention de New York, qui est le premier texte fondateur de l'arbitrage international. L'arbitrage international est une notion qui n'est pas vraiment connue en Algérie. Même les magistrats ne la connaissent pas très bien. Nos magistrats n'ont pas été formés pour ça. Ce n'est que maintenant qu'ils sont en train de se former doucement à ces principes de droit international et d'arbitrage international. Le problème est que depuis l'indépendance, le droit algérien interdisait aux entreprises publiques algériennes de compromettre, donc, de décider d'une clause compromissoire dans un contrat qui puisse soustraire le litige éventuel aux juridictions de l'Etat algérien pour le donner à une institution internationale d'arbitrage. Il y a eu une évolution dans ce domaine-là, dans la mesure où Sonatrach et Sonelgaz ont été les premières entreprises publiques autorisées à compromettre, donc à accepter des clauses internationales dans leurs contrats. A partir de 1993, il y a eu des dispositions particulières qui ont permis aux entreprises algériennes d'accepter des clauses d'arbitrage international. Maintenant, même dans le cadre des marchés public, l'arbitrage international est accepté. La sentence est-elle définitive ou bien est-il possible pour les parties en litige de faire des recours sur les sentences arbitrales? Il y a deux possibilités de s'attaquer à une sentence arbitrale. La première, c'est lorsque la clause compromissoire prévoit de manière explicite qu'il y a une possibilité d'appel et désigne l'institution ou la juridiction qui doit être saisie en appel. La deuxième, c'est que la sentence arbitrale peut être frappée d'un recours en annulation devant la cour d'appel du lieu où l'arbitrage a été rendu. Imaginons une société algérienne qui a un arbitrage avec une société étrangère dont l'arbitrage est fixé à Genève, en Suisse. Dans le contrat, nous pouvons dire que ce soit le droit algérien qui s'applique sous l'égide de la cour internationale de la Chambre de commerce internationale. Dans ce cas, le seul recours qui pourrait être fait, ce sera un recours devant la juridiction suisse pour demander l'annulation de la sentence arbitrale rendue en Suisse, même si c'est en vertu du droit algérien. Le principal recours contre une sentence arbitrale est, soit l'incompétence du tribunal arbitral qui aura donc statué sans qu'il y est une clause d'arbitrage, soit une atteinte au droit international privé. Les affaires d'arbitrage international touchent de plus en plus des parties algériennes. Comment expliquez-vous cette situation? Elle s'explique de deux manières. D'abord, parce que les partenaires étrangers ignorent notre droit, même les Français qui nous ont occupés pendant 132 ans et qui ont un courant d'affaires extrêmement important avec l'Algérie. Les entreprises françaises ignorent que l'Algérie est un pays de droit et un pays de droit latin. La seule chose que les étrangers constatent chez nous, c'est qu'il y a beaucoup de bureaucratie. C'est vrai qu'il y a de la bureaucratie, c'est vrai qu'il y a des juges qui statuent à minima. Nous avons nos insuffisances comme tous les pays du monde. C'est vrai que notre justice est plus lente, mais elle est plus rapide que la justice française par exemple. Je le souligne en tant que praticien des deux côtés. Les juges algériens, on peut leur reprocher d'être lents, mais on peut leur reprocher aussi d'être trop rapides. Le deuxième problème, c'est le problème de la langue. Les étrangers ne veulent pas avoir affaire aux juridictions algériennes parce qu'ils ne comprennent pas la langue arabe. Le droit des affaires est régi par la langue anglaise, parfois, ils acceptent le français parce qu'il est bien connu, mais se soumettre à la juridiction algérienne qui statue et qui travaille en langue arabe, c'est une situation délicate pour eux. Troisième obstacle. C'est que notre code de procédure civil est administratif et contient un article que je considère comme absolument négatif pour l'Algérie. C'est un article dans lequel est stipulé que tous les documents produits devant les juridictions algériennes doivent être en langue nationale ou traduits par un traducteur assermenté en langue nationale. Pourquoi, à votre avis, les parties algériennes, qui recourent ou contre lesquels des arbitrages internationaux sont introduits, perdent souvent? D'abord, l'arbitrage international est technique. Le vrai problème, c'est que les contrats algériens sont généralement mal faits ou pas suffisamment étudiés. Il y a deux manières de gérer un contrat. Les Algériens sont un peu naïfs dans le domaine contractuel. Quand on signe un contrat, nous sommes persuadés que ce contrat va être géré d'une manière honnête dans l'intérêt de la société algérienne. Ce n'est pas vrai! Un contrat, à partir du moment où il est signé, doit recevoir une gestion technique, technologique, économique, financière, commerciale.. Mais aussi une gestion contentieuse. Il faut gérer son contrat dans une perspective de contentieux. Comme disaient les Romains, «si tu veux la paix, prépare la guerre». Dans le domaine du contrat, il faut d'abord étudier le contrat avant de le signer. Il faut avoir recours à la consultation d'un professionnel avant de signer un contrat. Une fois que le contrat est signé, il faut lui donner une gestion contentieuse. C'est-à-dire, quand il y a un problème, il faut prendre des précautions pour avoir un dossier solide si demain ça ne va pas. Malheureusement, ce n'est pas le cas chez nous. En final, il ne faut pas que les entrepreneurs algériens aient peur de l'arbitrage international. Il ne faut pas que les entrepreneurs algériens aient peur de s'engager, d'investir et davancer. Ce qu'ils doivent craindre, c'est d'abord le manque de consultation de vrais professionnels avant la signature d'un contrat. Ce qu'ils doivent redouter, c'est le défaut de gestion contentieuse. Le meilleur des contrats, c'est celui qui est le mieux exécuté, ce n'est pas celui qui est le mieux rédigé. Mais c'est pour éviter précisément les hiatus. Une fois qu'on a bien consulté avant, une fois qu'on a bien géré son contrat sur tous les aspects, il n'y a pas de raison, en fin de compte, de ne pas trouver un arrangement, ou de ne pas avoir un bon résultat dans un contentieux lorsqu'il est inévitable. Il ne faut avoir peur, ni d'un arbitrage international, ni des entreprises étrangères, ni de ce que nous pouvons faire, parce que nous avons les moyens de faire et de bien faire. Tout le problème est un problème de méthode. Et la méthode ça s'acquièrt.