Sarah Haïder, 25 ans, journaliste, et tout son rimmel vient de publier aux éditions Apic, son nouveau roman, premier en langue française qui fera l'objet d'une vente-dédicace aujourd'hui à la librairie Kalimat, sise rue Victor-Hugo. Elle compte à son actif déjà trois romans en langue arabe, son premier, Zanadeka ou Apostats a reçu le prix Apulée, en 2005, décerné par la Bibliothèque nationale d'Algérie. Son nouveau roman fera l'objet au mois de mai prochain, d'un concours littéraire dans la catégorie premier roman, organisé par l'hôtel Sofitel. Virgules en trombe, puisque c'est de lui qu'il s'agit, se présente comme «un presque roman», une appellation d'emblée déroutante, un sentiment qui viendra s'accomplir ou se poursuivre tout au long de la lecture de l'oeuvre. Cette dernière s'ouvre sur le soliloque d'une «vieille alcoolique», sans âge fixe, sur la ville d'Alger et ses torpeurs et sa peur de la nuit, mais aussi sur sa politique «d'assainissement urbain» qui repose sur la fermeture des bars. Cette femme fait la négresse à un écrivain célèbre, celui-là même qu'elle se plaisait auparavant à descendre en flèche dans ses articles. La vie est dure. Après qu'elle se soit fait renvoyer du journal, l'écrivain lui proposa ce boulot. Elle ne put refuser, par amour du whisky qu'elle se devait de payer tous les jours pour pouvoir survivre à cette chienne de vie. Réfractaire à l'amour, cette femme a développé un rejet maladif comme autodéfense aux bons sentiments. Ses romans sont l'expression d'une forme de célébration du genre macabre. Un jour, elle fait la connaissance d'un homme, une sorte de personnage maléfique, comme sorti de ses romans et le pire qu'il soit. Mais elle ne sait pas encore. Ce dernier vit dans un sous-sol, avec comme compagnon, un rat et une araignée. En s'amourachant de lui, elle fera sauter en éclats toutes les certitudes primaires qu'elle avait jusque-là sur l'amour. Un couple improbable mais pas si étrange que ça tout compte fait. Lui, désaxé criminel et pédophile, s'abreuvait avec délectation à des histoires noires que «pondait» cette femme qui se plaisait à écrire «l'ailleurs», et qui était soutenu par cette «troisième main qui lui montrait la source du mot sublime». Des mots comme breuvage pour assouvir ces vils instincts animaux sur des enfants sans défense. Mais l'ecrivaine est rattrapée par les parents des enfants qui lui feront subir quasiment pareil supplice pour attraper cet homme. Mais elle, a déjà la tête ailleurs, dans ses pages blanches... A ce stade de l'histoire, l'écriture devançant le nommable, devient des plus imagées, volubiles, violentes comme entretenant un rapport charnel avec son auteur, sauvant ainsi la face à ce qui aurait pu être «une corruption esthétique». Le narrateur intradiégétique, qui se confond presque avec l'auteur, «est enfin prête à subir les insurrections des lettres, après qu'on ait dit qu'elle en était la maîtresse». Sarah Haïder fait coucher son encre avec transe, presque comme un médium son stylo. L'auteur décrit avec une quasi-fascination et frénésie les abominables atrocités de cet homme plongeant dans ses démons psychologiques les plus ahurissants. Lui, surnommé par la presse de «cannibale des montagnes», excelle dans l'esthétique de l'épouvante, elle, dans la littérature macabre. Roman éclaté en puzzle, c'est au fil des pages, en réalité, que se recoupe l'histoire et prend sens et forme. Ecriture des plus visuelles, ce presque roman est truffé de plusieurs personnages qui parle à la première personne du singulier. «Moi aussi j'ai tenté d'écrire, moi aussi j'ai tenté de lire et de succomber à mes lectures. Je suis née dans une lettre ensanglantée hésitant entre l'envol d'un texte et la tombe d'une virgule» lit-on à la page 72. Confessions intimes? Le personnage étant féminin et écrivain de surcroît se confond du coup avec l'auteur Sarah Haïder. Ici l'on sent poindre le putsch. Une tentative de reprendre le règne afin de briser cette fragilité ridicule de «voir l'homme et la femme partir ensemble», car nous le savons déjà, l'auteur est envoûté par le désamour. Koceila, Ghilès et enfin Amir, l'enfant mort-né de ce couple sulfureux, sont autant de virgules qui vont bâtir ce roman chemin faisant, puis refaire l'histoire à l'envers. L'écriture se nouant comme un accouchement en cercle, témoigne de l'épreuve sadique de son auteur, qu'elle fait éprouver à ses mots sur l'autel de la souffrance. Une épreuve qui tire son essence de ce souffle ténu, mais haletant qui sépare la vie de la mort et tente de pousser les limites du «définitif» afin de faire vivre les mots quand le coeur de la vie aussi laide soit -elle, a cessé de battre. Débridée, charnelle, libérée de toute contrainte morale ou académique, cynique, mordante, avec un faux-semblant d'un brin philosophique, mais profondément surréaliste et fantastiquement macabre, est l'écriture exacerbée de l'auteure. Irrévérencieuse, provocatrice, la plume de Sarah Haïder affiche une certaine béatitude jouissive face à l'agonie des mortels pour atteindre l'ineffable qui n'a pas besoin de se réaliser. Celui des mots. Sa littérature trouve son bonheur, son viatique dans ces phrases aux accents chimériques. L'auteur reconnaît volontiers toutefois le côté «choquant» de son livre, a-t-elle avoué l'autre jour au micro radiophonique de Youssef Sayah, arguant qu'il y a une différence entre l'état obsessionnel dans lequel elle est soumise lorsqu'elle écrit et son état normal... «Dans mon coeur deux sentiments contradictoires, l'horreur de la vie et l'extase de la vie» écrivait Charles Baudelaire. Une phrase qui résumerait bien Virgules en trombe. De l'écriture novatrice? Pas si sûr. Néoromantique? sans doute que oui....