Les délégués du mouvement citoyen auront fait preuve de maturité. Plus dure sera la chute ! C'est la sentence que retiendront les historiens à l'appel pathétique fraternel lancé par Ahmed Ouyahia pour l'ouverture d'un dialogue sincère dans le but de mettre en oeuvre la plate-forme d'El-Kseur. L'a-t-il au moins lue, cette plate-forme, avant de faire cette offre de dialogue? Pourquoi s'est-il alors engagé au nom de l'Etat algérien et du président de la République à appliquer les clauses d'un document dont apparemment il ne connaissait pas les tenants et les aboutissants? A-t-il roulé ses interlocuteurs dans la farine, et dans quel dessein? Celui de gagner du temps? Celui de diviser le mouvement des archs? Celui de faire croire qu'il fait quelque chose pour résoudre cet épineux problème alors que de toute évidence il est beaucoup plus préoccupé à préparer les conditions d'une bonne campagne électorale? Or, s'il y a une question qui devrait être dépassionnée et réglée dans un cadre serein et loin de toute préoccupation électoraliste, c'est bien celle des archs et du mouvement citoyen, tant les problèmes soulevés par la plate-forme d'El-Kseur sont d'une importance cruciale pour la stabilité du pays et l'avenir de la nation. Dans cette histoire, les différents acteurs doivent mettre tous les calculs de côté, leur susceptibilité, leur chapelle, la petite cuisine politicienne pour ne voir que l'intérêt du pays. Cela n'a pas été le cas et c'est bien dommage. Le chef du gouvernement a certainement mené tout son monde en bateau en faisant croire qu'il pouvait contribuer à régler cette crise née du printemps noir. Il avait la chance entre entrer dans l'histoire par la grande porte tout en se ménageant un avenir politique brillant et rester un simple fin manoeuvrier politicien, navigant à vue, sans plan ni vision d'ensemble. En tout cas, l'échec de ce round du dialogue sera vécu amèrement et aura des conséquences dramatiques, ce que nous ne souhaitons pas du tout. Une telle issue serait désastreuse, pour l'avenir du pays et de la région. Le mouvement citoyen des archs est un mouvement juvénile né dans le feu de l'action. Il a été une réponse quasi spontanée à une hogra généralisée et au mépris officiel. Il est porteur de revendications hautement revendicatives qui sont en mesure de faire faire une avancée démocratique extraordinaire au système politique algérien. Croire qu'il est possible de contourner par une entourloupette et des manoeuvres ces revendications portées par toute la jeunesse d'une région, c'est faire peu cas des aspirations populaires. C'est être amnésique que de vouloir l'échec des autres tentatives de dialogue. Ahmed Ouyahia semblait tellement sincère qu'on s'est dit: «Cette fois, c'est la bonne» mais la réaction de dépit risque tout bonnement d'être proportionnelle à la déception. Jusqu'ici, le chef du gouvernement a joué sur du velours, mais tout indique qu'il en sera autrement désormais. Déjà les différentes phases du dialogue laissaient prévoir une telle impasse, parce qu'on a vu que les deux parties perdaient du temps dans l'accessoire au détriment de l'essentiel. En focalisant l'attention sur la fameuse sixième incidence, qui concerne ceux qui ont été qualifiés à tort d'indus élus, on perdait de vue que la partie serait plus serrée lorsqu'on allait aborder le point d'orgue de ce dialogue, à savoir l'officialisation de tamazight, revendication populaire et millénaire. Il ne fait aucun doute que sur cette question, les délégués des archs auront fait preuve de maturité, puisque leur argument est imparable, tout en étant hautement nationaliste: «Le recours au référendum ne peut que diviser le peuple algérien, ce que nous rejetons.» Peut-on trouver une position plus claire et plus responsable? En d'autres termes, les archs disent: «Algériens nous sommes et Algériens nous resterons. Et c'est dans le cadre de cette nation algérienne que nous demandons la reconnaissance de notre identité amazighe». Ahmed Ouyahia avait joué sur du velours. Il donnait l'impression d'être sur la même longueur d'onde que les archs, tout en agissant de concert avec le président de la République. Mais tout indique qu'il en sera autrement à l'avenir, et que désormais chacune des parties va jouer la partition à sa manière, pour troubler encore davantage une élection présidentielle qui n'en demandait pas tant, et qui est déjà assez parasitée par ailleurs. Ahmed Ouyahia a-t-il piégé le chef de l'Etat lui-même, en lui semant des embûches dans son parcours pour un deuxième mandat? La balle est maintenant dans le camp de Abdelaziz Bouteflika. Saura-t-il transcender les différends et aller plus loin que son chef du gouvernement? L'avenir nous le dira.