Les manifestations d'hier m'ont rappelé un incident similaire qui s'est passé à Annaba en 1982, pendant le Mondial espagnol. En effet, en battant l'équipe allemande drivée par Jupp Derwall et au sein de laquelle figuraient des étoiles comme Rumminegge et Breitner, les Verts avaient créé l'événement footbalistique du Mondial. Partis de rien et inconnus du grand public quelques jours auparavant, les Belloumi, Madjer, Bensahouala, donnaient une leçon de football à la grande Allemagne, patrie du football s'il en est, et plusieurs fois championne du monde. Sur le plan purement technique, c'était du beau football, avec un jeu aéré et intelligemment construit. Ce jour-là, conte toute attente, nos joueurs avaient fait preuve de toute leur volonté, de leur hargne, de tout leur courage, et il en fallait pour venir à bout d'une équipe allemande qui était considérée comme un foudre de guerre et comme l'une des équipes favorites pour la course au titre, alors même que les moyens dont elle disposait étaient sans commune mesure avec les maigres moyens des Algériens. En un mot comme en dix, c'était la victoire de David contre Goliath, du tiers-monde contre l'Europe opulente. Pour la première fois dans les annales du Mondial, il fut confirmé qu'il n'y a pas de grande et de petite équipe, et qu'un match de football se joue sur le terrain. Le cri de joie qui avait suivi un tel exploit sportif et qui avait jailli des millions de poitrines algériennes était le reflet de nos frustrations passées et, du coup, les jeunes Algériens traitaient d'égal à égal avec les citoyens de l'Allemagne fédérale. Mais les Verts ont eu moins de chance dans leurs autres matchs, d'autant plus qu'une entente tactique honteuse s'était établie entre les Allemands et les Autrichiens sur le dos des Algériens. Et les Verts furent donc éliminés au mépris des règles du football et de l'esprit sportif. C'est depuis cette rencontre, combinée du reste, que les responsables de la Fifa ont décidé de faire jouer les matchs à la même heure et dans des stades différents. Bien entendu, les supporters algériens étaient restés sur leur frustration et n'arrivaient pas à digérer cette défaite anti-sportive imposée par un deal passé entre les citoyens de l'ex-empire germanique. Toujours est-il qu'à l'époque votre serviteur était en reportage à Annaba, en compagnie de deux autres brillants journalistes de l'hebdomadaire Algérie-Actualité, A.C. et K.Z., que je salue ici. Le soir, vers 21h, après les heures de travail, on était sorti prendre l'air sur le Cours de la Révolution, qui est une belle avenue débouchant sur la mer comme l'estuaire d'un fleuve. On s'était attablés pour prendre des glaces quand on a vu une marée humaine constituée de jeunes supporters dévalant le Cours de la Révolution au niveau de l'hôtel Seybouse. Ils étaient des milliers. A.Z. a déclaré: «Ça me donne la chair de poule.» Quant à A.C., qui était parti aux nouvelles, il est revenu en nous informant que le match allemano-autrichien avait été disqualifié et que l'Algérie était qualifiée pour le deuxième tour. Mais personnellement je ne croyais pas du tout à un tel miracle, et j'avais déclaré: «C'est un canular!» Il s'était avéré en effet que c'était un canular, même si mon ami A.C., en rit toujours. Après tout, pourquoi se priver d'une partie de franche rigolade?