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Une Palme d'or (encore) dubitative...
66E FESTIVAL DE CANNES
Publié dans L'Expression le 21 - 05 - 2013

Le film de Hirokazu Kore-Eda, Tel père, tel fils, mérite une place particulière
«Le courage est la forme gaie du bonheur», disait Stéphane Hessel, l'humaniste disparu, il y a peu, mais aussi, et pour rester dans le cinéma, celui dont la vie de sa mère aura inspiré, un des plus beaux films de François Truffaut, Jules et Jim.
Oui, il en faut une certaine dose de cette hargne, du moins, pour se pointer à la séance du matin, celle de 8h 30 pour la projection du premier film de la journée, en compétition, entamant ainsi ce véritable marathon, devenu aussi quotidien que rituel, qui vous balade des différentes salles du palais aux autres écrans des sections parallèles, situés à quelques encablures du QG du festival, avec en sus, les rendez-vous professionnels au Marché du Film ou au restau, avec en prime, la nécessaire virée au stand de l'Algérie, où le staff de l'Aarc, expérience aidant, paraît de plus en plus aguerri aux humeurs et autres sollicitations d'un festival de cette envergure. La différence est palpable.
Cette année, les visiteurs ne viennent pas pour «vérifier si la bête bouge encore», mais davantage pour s'enquérir des productions en cours et des possibilités de tournage en Algérie. C'est en tout cas, la bonne nouvelle du jour! Car pour le reste, les seaux d'eau qui sont tombés sans discontinuer sur la région, tout au long de cette semaine, ont fini par instaurer une morosité ambiante, qu'hélas, la flopée de films projetés jusque-là, n'aura pas réussi à dissiper, un tant soit peu. C'est ce qui expliquerait le doute qui aurait envahi la Palme d'or, qui ne peut même pas profiter (pour le moment, du moins) du moindre frémissement en provenance du Palais du festival, pour pencher du côté d'un film qui aurait fait un certaine unanimité, fut-elle passagère!
Ulysse le chat
Du coup, on se met à guetter la petite «banane» qui se dessinerait, dans le noir, un sourire, chez les festivaliers, en cours de projection pour avoir de nouveau la frite... Mais ce n'est que samedi soir qu'on a crû la déceler cette esquisse de bonne humeur à la fin de la projection de Inside Llewyn Davis des Frères Coen, qui, pour leur premier tournage loin de leurs contrées de prédilection, ont réussi à faire rire, parfois, avec l'histoire new-yorkaise, d'un contemporain de Bob Dylan, qui court derrière la survie, en espérant la gloire dans cette Amérique s'enlisant sous Eisenhower, en espérant un Kennedy, pour faire décoller une économie en panne, végétant dans cette grisaille environnante qui plombe l'horizon.
Le folk-singer (même s'il s'en défend) a pourtant l'air d'un battant, la «preuve», cette course effrénée pour rattraper le chat d'amis qui lui avaient offert le gîte pour quelques jours et qui s'est échappé dans les rues de Soho, à proximité du mythique Greenwich Village. Les Coen, ne sont pas à un tour près, en effet, en prenant soin de ne pas révéler d'emblée le nom de ce félin à leur héros. Ils en ont fait un véritable «gimmick», qui va courir tout au long du scénario. Le spectateur, mais aussi le héros du film, en découvrant, plus d'une heure après, que le chat avait finalement retrouvé le chemin de la maison, sauront par la même occasion qu'il s'appelait... Ulysse!
Sue bien avant, cette information aurait sans doute suffi pour savoir que tout comme Ulysse, le héros de l'Odyssée, ce chat aurait fini par regagner ses pénates... On a souri à plus d'un moment pendant ce film, sans plus. Car une fois les lumières revenues dans la salle, on réalisait que cette période de disette cinématographique cannoise, aura permis de se contenter du minimum. Un film mineur de ceux qui avaient décroché, avec Barton Fink, la Palme d'or. Mais, après six ans d'absence et malgré la tendresse de leur propos teinté de leur cynisme habituel (plus light cette fois), le duo de cinéastes n'aura pas fait une oeuvre majeure comme leurs groupies étaient en droit d'attendre d'eux. Peut-être à cause de cette «charge sociale» qui enveloppe le film et qu'ils n'ont pas trop eu envie d'ôter complètement, comme l'avait fait Sydney Pollack, en 1969, avec On achève bien les chevaux!
C'est à se demander, s'agissant de Inside Llewyn Davis, si l'absence de «genre» bien définie, ne serait pas à l'origine de cette pénurie d'émotion réelle, même si elle en prenait bien des fois la direction...
Un détail cependant, l'image frappe par son cadrage très années sixties, qui trouve, en réalité son explication dans la présence à la photo d'un Français, Bruno Delbonnel (3 nominations aux Oscars (Amélie Poulain, Un long dimanche de fiançailles et le 6e épisode d'Harry Potter). D'emblée, on devine le choix des sources de lumière des LEDs, ces grands panneaux que l'on suspend assez haut. Cela facilite les tournages rapides, ici 42 jours, entièrement storyboardés, pour un budget d'à peine 8.500.000 euros!
Qui dit mieux?
Pour son premier film américain, le Français Arnaud Despleshin, n'a eu que 2 millions d'euros pour porter à l'écran ce dont il rêvait depuis une vingtaine d'années! Huit films après, le voilà donc à Cannes, en Compétition, avec Jimmy P., une psychothérapie d'un Indien des plaines, comme le suggère l'affiche avec dans les rôles principaux son double à l'écran, Mathieu Amalric et Benicio Del Toro!
C'est tiré d'une histoire vraie, celle de Georges Devereux, l'anthropologue d'origine hongroise, établi à Paris, dans les années 1920, et qui aura un cheminement parallèle à celui de Claude Lévi-Strauss. Sauf qu'il n'a pas eu la même reconnaissance de ses pairs et plus largement du grand public, payant, en réalité et surtout le prix de son caractère anar... Et à la fin de la projection de ce film, la question a surgi d'emblée, Arnaud Despleshin ne va-t-il pas payer lui aussi, le prix de cette odyssée dérangeante dans le coeur de l'establishment? Réponse lors de la soirée de la clôture... «Jimmy P» raconte l'histoire de Jimmy Picard, un ancien marine qui a fait le débarquement en France, durant la Seconde Guerre mondiale et qui revient chez lui pour être aussitôt interné pour troubles du cerveau... Une schizophrénie est diagnostiquée. Pour sauver le soldat Jimmy Picard, les médecins préférèrent alors demander l'avis d'un ethnologue, spécialiste des Amérin-diens. Jimmy Picard étant un Indien «Blackfoot»... Les deux hommes se rencontrent et débute alors une série de conversations qui durèrent longtemps et donnèrent la matrice de ce film «Jimmy P.». C'est donc ce condensé de 600 pages de notes, qui ont donné ce film qui mérite d'être vu, mais pas forcément dans le tourbillon cannois. Sans doute.
«Borgman»: une queue de comète...
Alors quand le soleil revient, on espère que le voyage au pays de Paul Verhoeven et Joris Ivens, la Hollande, au programme, hier matin, va maintenir intact notre bonne humeur en voie d'être récupérée. D'autant que le pays des tulipes est absent de la Compétition depuis 1975! Le Grand auditorium plonge dans le noir et le titre du film de Alex Van Warmerdam, apparaît: Borgman. Camiel est le prénom de Borgman, cet inconnu qui s'introduit dans la maison d'une famille bourgeoise, comme l'on franchissait le palier de la Maison des Bories autre théâtre d'horreurs cinématographiques... Le reste ressemble à un remake des envahisseurs, sauf que David Vincent n'était pas là, cette fois. Encore moins Michael Haneke qui semble avoir eu une (mauvaise) influence, on pense à son «Funny Games», notamment. Il est difficile de trouver un financement dans le seul Royaume des Pays-Bas, tout le monde le sait. Alors, de plus se tourne-t-on, là-bas, vers la coproduction. Mais Alex Van Warmerdam, par ailleurs peintre très connu, dans le milieu de l'art moderne «contemporain», a eu l'idée de prévendre des oeuvres en contrepartie de bons de 1000 euros pour la production du film. Le buzz a fonctionné si bien qu'il a réussi à boucler le budget de Borgman! Mais cet acharnement du cinéaste n'a pas été à la hauteur du travail fourni, car le résultat final n'a pas aidé la Palme d'or à reprendre espoir...
Mais la cause n'est pas perdue, il reste quand même quelques films... Bon, on peut penser que le film de Hirokazu Kore-Eda, Tel père, tel fils, mérite une place particulière. Pourquoi pas. Mais c'est surtout parce que le réalisateur japonais nous avait, ici à Cannes, déjà envoûté avec Nobody knows, c'était en 2004. Et même, s'il est Japonais, donc citoyen de l'autre bout de la planète par rapport à ses confrères, les frères Coen, Kore-Eda utilise de ces mêmes ficelles scénaristiques propres à la méthode Truby... On égrène ça et là, et l'air de rien, quelques idées comme les cailloux semés par le Petit Poucet et puis on laisse venir...
Ici, et en guise de «cailloux», c'est une question, en ouverture Tel père, tel fils et apparemment anodine qui est dite: «A qui ressembles- tu le plus, à ton père ou à ta mère?», qui prendra tout son sens lorsque les parents apprennent que, six ans auparavant, leurs bébés ont été intervertis. C'est le seul «turn point» mais il est de taille, car il va tout chambouler chez les deux familles concernées par cette méprise... Et le cinéaste n'a point besoin de convoquer Bruno Bettelheim ou François Dolto pour décortiquer la fonction «paternisante» et surtout les désarrois qui l'habitent.


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