M. et Mme Erdogan visitant la Casbah Avec l'avènement des révoltes arabes, un grand boulevard s'est ouvert devant Ankara pour marquer un retour sur la scène moyen-orientale. C'est à partir du Maroc que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, entamera son périple maghrébin avant d'arriver à Alger ce mardi 3 juin. Curieusement, les services de l'ambassade de Turquie à Alger sont restés silencieux sur ce voyage, le troisième qu'effectue M.Erdogan en Algérie depuis son accession au pouvoir en 2002. Pourtant, il semble d'une importance capitale au double plan économique et politique pour la Turquie. Des sources diplomatiques indiquent qu'une armada de chefs d'entreprise, plus de 200, feront partie de ce voyage. Ils activent dans les domaines du textile, le bâtiment et les travaux publics, l'électronique, ce qui donnera un cachet économique à cette visite. Un signal, une volonté même de la Turquie pour se consolider dans l'extraordinaire niche financière algérienne en ces moments de crise en Europe et même dans la région maghrébine. En perspective de ce voyage, plusieurs accords de partenariat seront officialisés entre des entreprises turques et algériennes, notamment dans l'industrie du textile et du cuir. Il y a quelques semaines, les deux pays ont signé un accord pour réanimer des usines publiques de textile en agonie à Relizane et Béjaïa. L'accord prévoit la création de près de 10.000 postes de travail ainsi que l'exportation de 60% de la production. Le défi est grandiose face à une rude concurrence chinoise qui pratiquement, a réduit à néant l'industrie du textile en Algérie. Entre l'Algérie et la Turquie, il y a un énorme déséquilibre. L'investissement turc en Algérie ne dépasse pas le milliard de dollars et seules 160 entreprises activent sur le marché algérien. La Turquie a été classée 8e client de l'Algérie en 2012 avec 3,04 milliards de dollars et son 7e fournisseur avec 1,78 milliard de dollars. En contrepartie, des millions de touristes algériens se rendent chaque année en Turquie. En plus des questions économiques, le Premier ministre turc évoquera avec ses hôtes algériens l'épineuse question de la Syrie et les révoltes arabes. La Turquie est directement concernée par le conflit syrien. Dès le début de la révolte, elle a soutenu les groupes rebelles. En revanche, elle subit de plein fouet les retombées de cette crise puisqu'elle accueille plus de 300.000 réfugiés avant que la terreur ne frappe ses territoires: en mai dernier, un double attentat a fait 46 morts dans la ville de Reyhanli, près de la frontière syrienne. La presse turque à ouvertement accusé le régime de Damas d'être derrière cette attaque. Dans cette conjoncture politique délicate imprimée par la crise syrienne, la Turquie multiplie les initiatives en direction du Monde arabe où elle veut jouer un rôle central en l'absence du vrai leadership. En réalité, ce repositionnement géostratégique a été entamé dans les années 1990 et accentué avec l'arrivée au pouvoir, en 2002, du parti islamique AKP. L'avènement des révoltes arabes, a quelque peu surpris Ankara. On se rappelle que dans un premier temps la Turquie s'est opposée à la conduite des opérations militaires sous l'égide de l'Otan avant d'opérer un revirement spectaculaire en acceptant que l'Otan prenne la direction des opérations. L'intérêt a fini par l'emporter. Un grand boulevard s'est brusquement ouvert devant Ankara pour marquer un retour sur la scène moyen-orientale. Tout y est: l'affaiblissement de l'Egypte, la disparition du rôle de l'Irak et la dislocation de la Syrie. En face, une Turquie qui offre un modèle idéal pour une opinion arabe très frustrée et qui rejette aussi bien le wahhabisme saoudien que le chiisme iranien. Un modèle qui a su réussir un dosage que quêtent tous les Arabes. A savoir, une démocratie, du moins en façade, un essor économique incontestable qui place aujourd'hui la Turquie comme une puissance qui se fait respecter. Le tout est savamment équilibré avec un islam moderne, ouvert sur son environnement régional et international. Tous ces aspects géostratégiques seront passés en revue à Alger entre le Premier ministre Tayyip Erdogan et ses homologues algériens mardi prochain.