Par Ali El Hadj Tahar [email protected] A travers le Parti de la justice et du d�veloppement (AKP) du Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, les Turcs d�veloppent une strat�gie qui joint le religieux, le culturel (feuilletons) et l��conomique pour reconqu�rir le monde arabo-musulman ; et ils r�ussissent tr�s bien. Mais il n�est pas dit que les masses arabes vont les r�accepter, car elles sont allergiques � deux d�fauts qui font des d�g�ts dans leurs propres pays et qui ont apparemment �t� h�rit�s des Ottomans : la culture de l�all�geance et la culture de la vassalit�, deux d�fauts qui sont responsables, en Turquie comme dans le monde arabe, d�un ph�nom�ne plus grave, la hogra, une forme d�injustice qualifi�e par un terme intraduisible vers l�arabe ou les autres langues et dont il faudrait chercher l�origine du c�t� de notre histoire ottomane. La Turquie a reconnu Isra�l en 1949 pour devenir membre de l�OTAN en 1952. Tout au long de la Guerre froide, elle fut la principale forteresse du dispositif am�ricain en Eurasie. �Au d�but des ann�es 1990, la g�opolitique am�ricaine lui alloua un r�le encore plus important : devenir la puissance tut�laire d�un Grand Moyen-Orient am�ricain et continuer � soutenir Isra�l contre le nationalisme arabe, emp�cher la formation d�une Europe puissance ind�pendante en int�grant l�Union europ�enne, contenir l�influence de la Russie dans le Caucase et en Asie centrale turcophones, soutenir le s�paratisme des Ou�ghours dans le Turkestan chinois et enfin aider Washington, au d�triment de Moscou, � contr�ler les routes de d�senclavement du p�trole et du gaz de la Caspienne et de l�Asie centrale�, �crit Aymeric Chauprade, g�opoliticien fran�ais. Ces atouts, qui sont d�ailleurs � l�origine de sa prosp�rit� qui a b�n�fici� d�une bonne relation avec l�Europe et avec l�Am�rique gr�ce � l�OTAN, ils ne voudront jamais la perdre, pour rien au monde. La Turquie, qui dispose de troupes en Afghanistan, ne refuse jamais rien aux Etats- Unis. En contrepartie, elle se fait gourmande et souhaiterait que l�OTAN octroie en son sein quelques postes de responsabilit� � des officiers turcs. Elle exigerait m�me que le poste de Secr�taire g�n�ral de l'Alliance soit octroy� � un Turc ! Sp�cialiste du pousse-toi que je m�y mette, l�AKP d�Erdogan vient concurrencer les Egyptiens dans l�affaire de Ghaza et m�me dans la question palestinienne o� tous les n�ophytes viennent jouer, d�s lors que des pays comme l�Alg�rie, la Syrie, l�Irak et l�Egypte ont �t� mis hors jeu. Alors, on voit un ministre qatari se prendre pour Kissinger tout en faisant pi�tiner la cause palestinienne et un Erdogan s�agiter pour une cause dont il vient de d�couvrir la justesse. Puis du haut de la tribune du Parlement turc, un d�put� AKP ose m�me dire : �Ghaza est une affaire interne� ! Opportunisme qui met hors jeu tous les Arabes, y compris ceux qui comme la Syrie et le Liban ont pay� de leurs territoires pour cette question sacr�e des Arabes que les Turcs veulent aujourd�hui rafler pour r�colter des retomb�es� islamistes. La question palestinienne semble devenue d�autant plus importante pour Ankara qu�Isra�l refuse de demander pardon pour les huit Turcs tu�s lors de l�abordage du navire humanitaire qui tentait de forcer le blocus de Ghaza, fin mai 2010. Avec le dossier palestinien, les Turcs veulent apparemment �tre reconnus par les Arabes comme une force de premier plan, comme une entit� dont la nation musulmane serait fi�re. La reconnaissance des droits palestiniens demand�e depuis des d�cennies par beaucoup de pays du monde, dont les pays d�Asie et d�Am�rique du Sud, devient un miracle, une r�v�lation proph�tique lorsque la Turquie admet enfin cette �vidence ! Cette revendication tr�s tardive des droits palestiniens fait-elle oublier que la Turquie est le premier Etat � forte population musulmane � reconna�tre l�Etat h�breu en 1949 ! Tour de passepasse du magicien Erdogan qui transforme la trahison en h�ro�sme ! Le pays qui a soutenu Isra�l des d�cennies durant devient le plus brave de tous aux yeux des islamistes m�dus�s, pour qui la Palestine n�a d�ailleurs jamais �t� une priorit�, lui pr�f�rant le djihad contre d�autres musulmans dans le lointain Afghanistan, contre les chiites en Irak, contre leurs fr�res sunnites en Alg�rie et aujourd�hui en Syrie� Par quel miracle, se demandent les Arabes, cette Turquie qui ne s�est pas �mue du sort palestinien depuis 1949 se soucie- t-elle de leur mis�re aujourd�hui ? Utiliser la cause sacr�e de la Palestine comme fonds de commerce ne trompe pas les musulmans qui savent qu�avant d�aller tuer � Ghaza ou ailleurs, les avions isra�liens s�entra�nent dans le ciel turc, selon les accords de coop�ration militaires entre les deux pays. Isra�l-Turquie : crise ou jeu diplomatique ? Pour aider son ami du Hamas palestinien, Khaled Mechaal, le pragmatique Erdogan va-t-il sacrifier Isra�l, c�est-�-dire sa place au sein de l�OTAN et m�me son petit r�ve d�adh�sion � l�Union europ�enne qui se r�duit d�j� comme une peau de chagrin depuis que la versatilit� turque est devenue choquante et surtout depuis la crise �conomique grecque qui forcera certainement l�UE � bien choisir ses membres dans l�avenir ? La Turquie est le 6e plus gros partenaire �conomique d�Isra�l. C�est aussi le seul pays musulman de la r�gion qui offre � l�arm�e isra�lienne un espace a�rien ouvert pour l�entra�nement de sa force a�rienne, ainsi qu�un march� cons�quent pour son industrie militaire. La tension isra�lo-turque est mont�e d�un cran, en septembre 2011, lorsque Tayyip Erdogan a dit que les �navires de guerre turcs seront charg�s de prot�ger les bateaux turcs acheminant des aides humanitaires vers la bande de Ghaza� soumise � un blocus. Les autorit�s isra�liennes pensent que la Turquie n�irait pas �jusqu�� engager une telle action, compte tenu de ses engagements envers l�OTAN�. N�anmoins, l�ambassadeur d�Isra�l � Ankara a �t� expuls� et les relations diplomatiques entre les deux pays ont �t� abaiss�es au niveau du deuxi�me secr�taire d'ambassade. Ce qui n�emp�che pas beaucoup d�observateurs de se demander s�il s�agit d�une crise profonde ou d�un jeu diplomatique, car si le torchon br�le entre Ankara et Tel-Aviv, leurs affaires continuent � tourner comme si de rien n��tait. Les �changes entre les deux pays repr�sentent 3,5 milliards de dollars. De nombreuses soci�t�s turques sont implant�es en Isra�l, notamment dans le BTP. Le projet turc, et l�investissement le plus important en Isra�l, consiste en la construction d�une centrale �lectrique par l�entreprise Zorlu Holding. Par ailleurs, pr�s de 900 grandes soci�t�s isra�liennes sont implant�es en Turquie, principalement dans la chimie, l�industrie pharmaceutique, les fournitures m�dicales, les logiciels et les communications, sans oublier bien s�r les divers prestataires dans le domaine de la d�fense. Selon Dan Catarivas, directeur des affaires internationales au sein du Syndicat patronal isra�lien (MAI), m�me si la Turquie d�clarait un embargo contre Isra�l, cette d�cision n�affecterait que le secteur public du pays, �lequel ne repr�sente qu�une petite partie des activit�s isra�liennes en Turquie�, car J�rusalem et Ankara pratiquent le libre-�change et leurs milieux �conomiques sont puissants et ind�pendants des gouvernements. �L�essentiel de ces activit�s �tant de nature commerciale, les forces financi�res l�emporteront sur toute forme de pression politique�, ajoute-t-il. En d�couvrant la versatilit� n�o-ottomane, Isra�l ne prend cependant pas le changement de ton d�Ankara pour une plaisanterie : voil� pourquoi elle cherche � cr�er une �ceinture de s�curit� anti-turque dans les Balkans et la M�diterran�e, en concluant des accords militaires avec la France, l�Allemagne, la Gr�ce, l�Arm�nie, la Roumanie, et la Bulgarie. En outre, Netanyahu aurait rencontr� le dirigeant chypriote grec, Christofias D�m�trius, en f�vrier 2012 et lui aurait propos� la construction gratuite d�une usine de transformation de gaz, suite aux d�couvertes de nappes au large de Chypre. Netanyahu aurait �galement sugg�r� l�envoi de 20 000 soldats isra�liens � Chypre pour prot�ger les int�r�ts p�troliers et gaziers de l��le ainsi que 10 000 travailleurs et leurs familles pour s�occuper de ces installations gazi�res. Christofias aurait, quant � lui, demand� � Netanyahu de convaincre les chefs d�entreprise isra�liens de ne plus investir dans la partie de Chypre occup�e par les Turcs (nord de l��le) depuis 1974. Et voil� que la politique �z�ro probl�me avec les voisins� d�Erdogan se transforme en son contraire, z�ro ami parmi les voisins. Selon les d�clarations de l�universitaire turc Cengiz Aktar au journal fran�ais Lib�ration, la strat�gie suivie par Ankara n�est pas productive. Pour ce chercheur, la Turquie a un �norme r�le � jouer dans la r�gion �mais pour pouvoir le faire et �tre un m�diateur cr�dible dans une r�gion aussi explosive, il faut �tre �quidistant entre toutes les parties en pr�sence, y compris, donc, Isra�l. Et la Turquie est aujourd�hui per�ue souvent comme align�e sur le Hamas et l�Iran. Elle ne peut pas �tre influente sur la sc�ne internationale et r�gionale en antagonisant les liens euro-atlantiques qui ont �t� les piliers de son action diplomatique depuis 1945. La nouvelle politique orientale men�e par Ankara ne peut remplacer sa politique traditionnelle tourn�e vers l�Occident. Et d�ailleurs, je ne crois pas que ce gouvernement le veuille. Mais ses maladresses aboutissent � ce r�sultat.� Pour plaire aux Arabes, il faut d�plaire aux Isra�liens et vice versa. Cela n�est plus possible pour une Turquie qui a brouill� ses cartes et en a grill� pas mal. Notamment dans la crise syrienne qui fait peser le spectre d�une guerre entre les deux pays, si ce n�est de l�ing�rence pure et simple des forces occidentales qui serait �galement catastrophique pour la Turquie. Les islamistes de tous bords, AKP compris, ne se soucient pas des cons�quences de la crise actuelle, notamment sur les Chr�tiens qui se font quotidiennement tuer par les terroristes. D�ailleurs, cette communaut� sait que si les islamistes prenaient le pouvoir, leur qui�tude serait termin�e et qu�ils seraient oblig�s de quitter le pays comme l�ont d�j� fait des milliers de leurs coreligionnaires �gyptiens. Le drame alg�rien a prouv� que les islamistes ne reculent devant aucun crime. En Syrie �galement, ils massacrent et attribuent au pouvoir les charniers pr�sent�s � la t�l�, comme celui de Houla, de Misraba, Homs et d�ailleurs. Plusieurs attentats ont d�ailleurs �t� revendiqu�s par des groupes islamistes. L�islamisme � la mode turque est � double langage : son vrai visage appara�t dans la crise syrienne, la Turquie aidant et donnant asile � des groupes djihadistes financ�s par l�Arabie Saoudite et le Qatar, entra�n�s par les Fran�ais, les Anglais et les Isra�liens. Pour para�tre mod�r�, l�islamiste radical n�a qu�une barbe � se raser. A. E. T.