L'autre qualité de tout chef de l'Etat c'est la maîtrise de soi-même. Le plus grand reproche que l'on puisse faire à Bouteflika, c'est qu'il n'est pas travailleur et que c'est pas un homme de dossiers. «Je le sais, puisque j'ai été dans le même gouvernement que lui.» Ainsi s'exprime Maître Ali Yahia Abdenour lorsqu'il aborde le sujet du président de la République, et l'on constate que le président de la Laddh n'a pas varié d'un iota. Opposant il était, opposant il reste. «Aujourd'hui, assure-t-il, c'est Bouteflika qui incarne le système et nous le soupçonnons de vouloir se tailler une Constitution sur mesure pour se donner tous les pouvoirs. Ses pouvoirs sont déjà énormes puisqu'il s'adjuge le pouvoir de nommer aux postes les plus subalternes, comme les secrétaires généraux de mairie». Revenant sur la campagne tonitruante menée par le président de la République à travers les wilayas du pays, il a eu cette petite phrase très expressive: «Vous avez vu ce carnaval médiatique? Maintenant, il devrait aller à Rio pour terminer le carnaval là-bas!» Par petites touches, l'avocat brosse un portrait peu flatteur du locataire d'El Mouradia. Mais ce qui le fait le plus se révolter, c'est le fait qu'il y a 32 milliards de dollars en réserves de change, sans que cet argent serve à améliorer la situation de l'emploi et la situation générale du pays. «Cet argent est placé à un taux de 3% auprès des Etats-Unis, alors que le service de la dette est rémunéré à un taux de 7%. Vous voyez la perte sèche pour l'Algérie? Qu'on paie au moins cette dette extérieure pour s'en débarrasser!». Revenant sur le quinquennat qui s'achève, Maître Ali Yahia reste très sceptique et en même temps très critique: «Les Algériens considèrent que si on fait le bilan, il y a eu beaucoup d'échecs. Le quinquennat a été marqué par le couple corruption et répression.» A la question de savoir pourquoi les réformes ont échoué, l'avocat cite cette phrase de Tocqueville : «Le plus mauvais pour un gouvernement, c'est le moment où il veut se réformer». En d'autres termes, le plus urgent pour M.Bouteflika ne consistait pas à changer le système mais à se l'approprier. Et pour ce faire, il avait besoin de s'affirmer par rapport à ses parrains militaires. Dès les premiers jours, il s'est ingénié à remettre les pendules à l'heure. «Je ne suis pas une cerise sur le gâteau. Je ne suis pas un trois quart de président» et à Marie Robinson, qui était venue à Alger en 1999, il avait dclaré: «Je ne suis plus le protégé des militaires. Je suis leur protecteur». Par rapport à l'élection présidentielle du 8 avril, il ne fait aucun doute maintenant que M.Bouteflika veut être plébiscité, en passant comme une lettre à la poste dès le premier tour. «Mais il suffit qu'il y ait un tout petit grain de sable pour qu'on soit obligé d'aller au second tour. A partir de là tout est possible. C'est sur ce petit grain de sable que nous comptons au sein du groupe des onze pour créer un électrochoc salutaire». L'autre qualité de tout chef de l'Etat c'est la maîtrise de soi-même. «Or tel n'est pas le cas de M.Bouteflika. On l'a vu à Ain Temouchent houspiller un enseignant. On l'a vu à Tizi Ouzou perdre son calme et dire aux Kabyles qu'ils étaient des nains.» En quelques traits, Maître Ali Yahia finit de brosser le portrait de M.Bouteflika. Il le décrit comme un homme coléreux qui travaille à l'humeur. «Il a besoin d'être psychanalysé.» Se croyant au-dessus de tous les présidents que l'Algérie a connus, il se met au niveau de De Gaulle et de Napoléon. Mais son grand problème, d'après Maître Ali Yahia Abdenour: «C'est qu'il méprise le peuple. Et le peuple algérien n'accepte pas qu'on le méprise. Il est contre la moubaya'a.» Maître Ali Yahia Abdenour, qui n'est candidat à aucune élection et ne brigue aucun poste, reste un observateur attentif de la scène politique nationale, en même temps qu'un opposant fidèle à ses idées et à son combat pour la démocratie, la justice et la vérité.