L'Egypte se trouve sur une corde raide certes, il semble néanmoins prématuré de dire - comme certains se sont empressés de le faire - que le pays des Pharaons soit dans une phase de guerre civile. Les ingrédients sont cependant en place qui pourraient faire basculer le pays dans la guerre à tout moment. Si la situation est arrivée à ces extrémités c'est dû particulièrement au fait que les islamistes n'ont pas su - sans doute pas pu ou voulu - saisir la chance extraordinaire - qui sans doute ne se reproduira plus - qui s'est offerte à eux de participer au développement du pays et à sa prospérité. Les Frères musulmans égyptiens ont en fait manqué de lucidité face au pouvoir. Cela d'autant plus que celui-ci leur a échu quasiment par accident, au moment où ils s'y attendaient le moins. La révolte contre la dictature de Moubarak n'a pas été le fait des islamistes - qu'ils se revendiquent des Frères ou des salafistes - mais celui du peuple dans sa composante plurielle - jeunes, laïcs, coptes - représentant une Egypte laissée en marge par Moubarak. Or, en une année de pouvoir, le président Morsi - issu des Frères musulmans - dilapida le capital confiance que le peuple lui accorda qui mit en lui l'espoir de rendre aux Egyptiens ce qu'ils ont pu perdre en trente années sous la férule de Moubarak. Or, les Frères musulmans qui n'ont pas voulu sortir du carcan de la «fraternité», par la mise de l'intérêt du pays avant le leur, ont été incapables de s'adapter aux circonstances et conditions du pouvoir, étant appelés à administrer une nation et non une confrérie obéissant à un «guide» suprême. Plus, l'ex-président Morsi, s'est montré, au long de son année de pouvoir, d'une intransigeance obtuse conjuguée à un manque de pragmatisme flagrant. Cette obstination, quelque peu sotte, à vouloir imposer la chari'â à un peuple multiconfessionnel n'avait pas de sens, d'autant que l'urgence était de voir comment sortir l'Egypte de la banqueroute qui la menace. C'est incroyable! Entre tenter de sauver le pays de la débâcle ou instaurer la chari'â, les «Frères» font le choix de la chari'â au regard de leur dogme: «L'islam est la solution.» C'était aussi la devise du FIS dissous algérien, c'est également celle d'Ennahdha en Tunisie, ou encore du PJD marocain. Partout où les islamistes sont parvenus au pouvoir, souvent par effraction - en Algérie, le FIS dissous a saisi l'occasion de la révolte du peuple en octobre 1988 contre le parti-Etat FLN pour récolter à son profit les fruits de cette révolte, ce n'est pas autrement qu'ils sont arrivés au pouvoir en Tunisie, en Egypte et au Maroc tirant les marrons d'un feu que le peuple avait allumé - l'urgence a été pour eux d'instaurer immédiatement les normes islamiques. Ce manque de discernement et d'anticipation conjugué à une vision étriquée du pouvoir ont en fait scellé les ambitions des islamistes à conduire les affaires de l'Etat. Les expériences hier en Algérie, actuellement en Egypte, en Tunisie et au Maroc, montrent combien les islamistes - outre leur incapacité à faire des lectures correctes de leur environnement sociopolitique et stratégique - n'ont jamais été prêts à gouverner et encore moins à envisager une gouvernance qui ne soit pas fondée uniquement sur la chari'â. Dans des sociétés désorientées par la mal-vie et la pauvreté, les islamistes ont certes obtenu la légitimité électorale, ce n'est pas encore la légitimité démocratique car il aura fallu pour cela que les islamistes commencent par répondre aux doléances des citoyens, par la recherche de solutions aux maux de la société. Cela n'a pas été le cas partout où ils sont arrivés à la gestion de leur pays par les urnes. C'est suffisamment probant pour dire que le slogan «l'islam est la solution» reste un échappatoire pour des groupes qui ignorent deux principes essentiels de gouvernance: la légitimité technocratique et le savoir-faire politique et administratif. Ils se sont disqualifiés eux-mêmes de la gouvernance en ne prenant pas en compte ces sources fondamentales de l'exercice du pouvoir.