Les développements que connaissent les évènements en Egypte et en Tunisie dans le sillage de la poussée islamique, singulièrement, ne surprennent pas en fait. Il fallait qu'un jour ou l'autre, il y ait un retour de bâton. Celui-ci eut lieu sans doute plus tôt que prévu, à tout le moins, par les dirigeants islamistes égyptiens et tunisiens qui s'estimaient en terrain conquis. En Egypte, le président islamiste, Mohamed Morsi, qui s'est octroyé le 22 novembre, des «pouvoirs élargis» se justifie en arguant que cette décision à été prise dans l'objectif de «sauvegarder» la Révolution et prendrait fin avec l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution. Une loi fondamentale - dont le texte est décrié par l'opposition et l'Eglise égyptienne - en fait, prise en otage par les islamistes qui ont accaparé la commission constituante. En Tunisie - la constitution est toujours en phase de réflexion dans une commission Constituante dominée par les islamistes - le scénario est un peu différent, mais là aussi, les choses semblent s'aggraver de jour en jour au point de faire dire au président Moncef Marzouki - qui s'adressait vendredi soir à la nation - «J'ai peur» après les violences et les affrontements qui ont mis aux prises à Siliana, durant cinq jours, manifestants et forces de sécurité. Le 17 décembre les Tunisiens célèbrent le second anniversaire de leur «Révolution du Jasmin». D'aucuns, en Tunisie, estiment que la situation ne pouvait être plus pire qu'elle ne l'a été sous le règne de Zine El Abidine Ben Ali. Le même constat peut être fait en Egypte - avec toutefois moins de violences - près de deux ans après la chute de Mohamed Hosni Moubarak. Ce qu'il faut relever en revanche est que dans l'un et l'autre pays, les islamistes ont «récupéré» la «Révolution» dudit «Printemps arabe» qu'ils prétendent aujourd'hui sauver. Sauver de qui? si l'on excipe du fait que les islamistes en Tunisie et en Egypte ont pris le train en marche après que le peuple ait fait ce qu'il fallait faire, les islamistes ne s'impliquant qu'après que le point de non-retour ait été atteint, par la fuite de Ben Ali et la démission de Moubarak. En fait, si jamais «Révolution» a été, elle est désormais bel et bien confisquée par les islamistes des deux pays. Ces derniers, qui constituaient les forces, en «stand-by», les mieux organisées du Monde arabe, se sont gardés d'aller au charbon, ont attendu leur heure pour tirer les marrons du feu et en cueillir les fruits. Or, c'est là un air de déjà-vu et rappelle étrangement le scénario de la révolte des jeunes Algériens en octobre 1988 - qualifiée de «chahut de gamins» - récupérée ensuite par des islamistes sortis du néant. Leurs premières décisions une fois arrivés au pouvoir municipal - dans le sillage de l'ouverture politique et du multipartisme - a été d'enlever des frontons des mairies qu'ils dirigeaient la devise de l'Etat républicain «Par le Peuple et pour le Peuple» remplacée par un slogan islamiste. Curieusement, l'Algérie s'était retrouvée nantie de deux pouvoirs, des mairies républicaines qui avaient échappé au FIS dissous, et des communes dirigées sous le label de la «chari'â» en contradiction avec les lois de l'Etat républicain, avec ce que cela avait impliqué pour le devenir de la République. Or, en Tunisie et singulièrement en Egypte, les deux parties sont dorénavant, entrées dans la logique de la confrontation du fait même des priorités des uns et des autres. La bonne gouvernance, les libertés publiques? Non, l'urgence pour les islamistes égyptiens c'était d'instaurer la charia dont la future Constitution en fait la source principale et s'en inspire largement. Les démocrates, libéraux et Coptes (chrétiens) égyptiens dénoncent cette dérive et demandent l'annulation du texte constitutionnel et la dissolution d'une commission composée exclusivement d'islamistes, non représentatifs des tendances fortes du pays. C'est aussi le cas en Tunisie où la commission constituante est majoritairement formée par les partisans d'Ennahda, le parti islamiste au pouvoir à Tunis. En fait, au regard du précédent algérien, tous les ingrédients semblent désormais réunis, notamment en Egypte, pour que la situation dérive vers des confrontations plus violentes, si ce n'est armées. Comme en Algérie, les islamistes arrivés au pouvoir en Tunisie et en Egypte n'ont pas tenu compte des composantes sociale et humaine de ces peuples, imposant leur seule vision et lecture de l'Islam, ouvrant une fitna qui pourrait s'avérer dangereuse pour le devenir de ces pays.