Il a combattu la France dans sa dimension impérialiste et colonialiste «Il y a cent ans, on condamnait un officier car il avait le tort d'être juif. Aujourd'hui on condamne un jardinier car il a le tort d'être maghrébin» Jacques Vergès lors de la défense de Omar Raddad Jacques Verges est mort. La première dépêche donne le ton de ce que sera l'information en boucle: Le défenseur controversé de Klaus Barbie est mort. Toute une carrière est résumée en deux mots: une carrière discutable controversée et la défense d'un criminel nazi. Jacques Vergès aura été, comme nous allons le voir, la mauvaise conscience de la justice française du «politiquement correct» et des lignes rouges à ne pas dépasser sous peine de bannissement et de mort sociale Jacques Vergès «l'Avocat du Diable» a tiré sa révérence dans la chambre, même, où Voltaire, est mort. La similitude, le croyons- nous, n'est pas de mise. «On attribue écrit Zineb Dryef, à tort à Voltaire la phrase «je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire»! Il ne l'a même jamais dit. (...)Voltaire, défenseur de la liberté d'expression illimitée? Une supercherie, nous répond la Société Voltaire: «Ce n'est pas du tout lui cette phrase. Prenons le credo chrétien qu'il a toujours combattu. Ou les Jésuites. Il ne les aurait jamais défendus.» (1) Qui est Jacques Vergès? On a tout dit sur lui, sur son parcours atypique. Retenons que c'est un gaulliste de la première heure qui s'est battu pour une certaine idée de la France mais qui a combattu cette France dans sa dimension impérialiste et coloniale. «Le mois d'avril 1957 écrit Franck Johannes, est un tournant. Me Vergès, qui n'a que dix-huit mois d'expérience lorsqu'il est appelé en Algérie pour défendre une jeune militante du FLN, Djamila Bouhired. «Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre», a indiqué l'avocat. Avec Djamila aussi, qu'il épousera quelque temps plus tard. La jeune poseuse de bombe est condamnée à mort - puis graciée(...) il n'y a rien à attendre de la connivence des avocats avec des magistrats qui ne représentent que l'ordre colonial. Vergès crache son mépris pour une justice qu'il récuse, et finalement, accuse ses accusateurs. Son courage et son insolence lui valent un an de suspension du barreau, en 1961, mais pour le FLN, c'est un héros.» (2) La défense de rupture fut en effet, rendue célèbre lors du procès de Djamila Bouhired, le FLN plaçant le combat sur un autre plan que celui du droit colonial. Par la suite, Me Jacques Vergès a formalisé la défense de rupture qui se définit comme la stratégie judiciaire consistant à jouer l'opinion publique contre l'institution de la justice. Ce faisant, il discréditait l'accusation comme raciste et parvenait à atteindre les préjugés de l'opinion publique, flattée de pouvoir prendre la cause d'une erreur judiciaire motivée par le racisme.(3) Dans le même ordre, écrit Gilles Gaetner «Nous voilà au printemps 1957, en pleine bataille d'Alger. Contestant la légitimité du tribunal, «sourd et aveugle» selon lui, il place la défense de sa cliente dans un cadre algéro-français et non pas dans un cadre franco-français. En clair, aux yeux de l'avocat, l'Algérie constitue déjà une nation.» (4) L'admirateur de De Gaulle Rappelons qu'à l'âge de 17 ans, le jeune Vergès s'est engagé aux côtés de De Gaulle à Londres. «Si j'ai rejoint la France libre, c'est que je conservais en moi l'image d'une France idéale, celle que l'école laïque m'a inculquée, mère des arts, des armes et des lois. Je ne pouvais me résigner à ce qu'elle disparût sous la botte allemande.» Si vous lisez les Mémoires de l'amiral Philippe de Gaulle, vous y constaterez que je suis cité parmi ceux dont le Général a approuvé l'action contre la torture, tant du côté du général Pâris de Bollardière que de celui du colonel Barberot. Après le procès de Djamila Bouhired, le général de Gaulle m'a adressé, dans une lettre manuscrite, son «fidèle souvenir». (5) Justement, Maître Vergès mentionne avec un sourire qui trahit son admiration que «le général (de Gaulle) m'a assuré de son fidèle souvenir et il ne voyait pas de contradiction avec le combat mené sous ses ordres.» Citer le général de Gaulle est opportun, car ce dernier est indéniablement lié au dénouement de la Guerre d'Algérie. (...) S'il est évident que Jacques Vergès tient le général de Gaulle en estime, on pourrait croire que l'ancien avocat de Klaus Barbie serait critique de la façon avec laquelle le premier président de la Ve République a géré les «évènements» en Algérie. Il en est tout autre. Pour expliquer les actions de De Gaulle, Jacques Vergès utilise les mots du père fondateur de la Chine communiste et le président chinois de l'époque, Mao Zedong. Mao, au cours d'une rencontre avec la délégation algérienne, avait déclaré: «Il a un héritage et il veut le garder, c'est un réflexe normal. C'est un militaire donc il utilise l'armée. Il veut rendre un grand rôle à la France dans le monde et quitter le protectorat américain. La guerre d'Algérie est donc un boulet pour lui et l'empêche d'agir, de sorte que si vous lui tenez tête politiquement, il vous accordera l'indépendance.» (6) Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle, dira que le collectif dont il est le leader, est «plus dangereux qu'une division». A Alger, après l'indépendance, Jacques Vergès crée Révolution Africaine. Dans le n°2 de l'hebdomadaire, il rend un vibrant hommage à Abdelkrim al-Khattabi qui venait de décéder au Caire. Le «Lion du Rif»,écrit-il, a démontré «à nous, hommes de couleur, que l'impérialisme n'était pas invincible». Il signe l'article de son nom de guerre: Mansour(Le Victorieux)».(7) Les hommages Paradoxalement, le silence de la classe politique en France est incompréhensible. Ignoré des gaullistes lui qui admirait De Gaulle, il est tout aussi ignoré de la gauche molle, voire même du Parti communiste mis à part ses collègues du barreau qui furent souvent ses adversaires dans les procès. «Rebelle», «monstre sacré», «provocateur»... L'avocat des causes nobles s'est rendu célèbre en plaidant pour des personnages que la doxa occidentale catalogue comme controversés car ils ne répondent pas à la norme. Pour Me Christian Charrière-Bournazel, président de la conférence des bâtonniers, «l'un des monstres sacrés de la profession». Seul le Parti communiste réunionnais, fondé par Paul Vergès, a rendu un hommage fort à l'avocat. Un autre paradoxe, la majorité des hommages est venu de collègues qui ont eu à le combattre concernant l'affaire Barbie. «Il n'y a pas beaucoup de géants au barreau, mais lui incontestablement en était un», avec «une période glorieuse quand il défendait le FLN algérien et une moins glorieuse quand il a commencé à défendre des mouvances terroristes comme la bande à Baader», a jugé Me Georges Kiejman. L'hommage tiède de l'Algérie envers ce géant En Algérie, nous avons la mémoire courte, notamment envers celles et ceux des Européens qui se sont voulu algériens jusqu'à leur mort Pourtant, après la perte de Pierre Chaulet, c'est une autre douloureuse nouvelle pour nous Algériens. Notre pays devrait rendre l'immense hommage qu'il mérite pour avoir épousé la cause de la révolution et s'être mis au service de la défense de tous les combattant(e) arrêtés pendant la lutte de Libération. En janvier 2013 à Paris, il a été honoré par l'Algérie pour ses nobles actions «envers la cause nationale et son engagement en faveur du combat libérateur du pays. Emu par la distinction, l'octogénaire s'est félicité, dans un entretien à l'APS, d'une marque de fraternité qui le touche beaucoup «Que cela intervienne cinquante ans après l'Indépendance de l'Algérie me fait beaucoup plaisir car cela prouve que le lien de fraternité est durable avec le pays», avait-il dit. On se rappelle qu'en mars 2006, la conférence nationale des avocats l'avait décoré à l'instar de la médaille du Mérite du bâtonnat. Les bonnes causes de Jacques Vergès Durant sa carrière, Jacques Vergès a défendu de nombreuses personnalités politiques de premier plan, qui sont naturellement condamnées par la doxa occidentale au nom d'une certitude: l'homme blanc occidental a toujours raison. On peut citer Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, dirigeant du Front populaire de libération de la Palestine dans les années 1970; Roger Garaudy, écrivain français antisioniste; Laurent Gbagbo, président de la République de Côte-d'Ivoire. Justement, nous ne pouvons passer sous silence une autre affaire celle de la défense de Klaus Barbie chef de la police de sûreté allemande à Lyon durant la Seconde Guerre mondiale. Sur le site Egalité et réconciliation, nous lisons quelques extraits de la plaidoirie: «La parole est à la défense. Maître Vergès d'abord. Puis il cède la parole à son confrère du barreau de Brazzaville, maître Jean-Martin M'Bemba, puis à maître Nabil Bouaïta qui évoquent les massacres perpétrés dans tous les pays du monde, en France, en Algérie, à Sabra et Chatila. Ce qui provoque des réactions violentes des avocats des parties civiles.» (8) Jacques Vergès déclare à propos du procès Barbie: «À Lyon il y avait une mise en scène incroyable. Vous avez une salle des pas perdus transformée en tribunal, avec 700 places. pièce. [...] Euphorisant. Se dire qu'ils sont 39 et moi je suis tout seul. Cela veut dire que chacun d'eux ne vaut qu'un quarantième de ma personne. En face ils se disaient, qu'est-ce que ce salaud va encore inventer aujourd'hui? Et on attendait avec impatience l'invention du salaud et comme le salaud a de l'imagination, chaque jour il inventait une affaire nouvelle.» Pour sa part, Maître Brahimi (avocat algérien) ajoute: «Personne d'autre n'eut été capable de faire ce qu'il a fait. Il a fait dérailler une immense machine qui a voulu faire du procès Barbie le procès de l'Holocauste, mais en fermant à double tour tout ce qui pouvait attirer le regard sur les crimes contre l'humanité commis en Algérie, en Afrique noire, l'esclavage, etc.» Barbie sera condamné le 4 juillet 1987 à la prison à perpétuité «pour la déportation de centaines de juifs de France et notamment l'arrestation, le 6 avril 1944, de 44 enfants juifs et de 7 adultes à la maison d'enfants d'Izieu et leur déportation à Auschwitz». (8) La légalité internationale pour Jacques Vergès Pour Jacques Vergès interviewé par la journaliste Sylvia Cattori à propos de la légalité internationale il énumère dans le cas du procès de Slobodan Milosevitc les dérives: «Le Tribunal pénal international est une institution illégale qui a été décidée par le Conseil de sécurité qui n'a aucun pouvoir judiciaire. On ne peut pas déléguer un pouvoir que l'on n'a pas. Seule l'Assemblée pouvait décider cela. Deuxièmement, ce tribunal n'a pas de loi. Pour le TPIY, il n'y a pas de code de procédure. (...) Troisièmement, ce tribunal s'occupe de faits antérieurs à sa création, ce qui est illégal. Cela s'appelle «la rétroactivité de la loi pénale», Enfin, pour couronner le tout, le tribunal accepte des dons: 14% du budget du TPIY proviennent de dons. (...) Que diriez-vous si vous deviez comparaître devant un tribunal payé par une chaîne hôtelière ou par une chaîne d'épicerie? (...) A propos de Guantanamo il est encore plus dur: «Vous avez entendu parler de Guantanamo. Quelle légalité!? Vous avez encore appris quelque chose qui est pire que Guantanamo: que des services secrets américains auraient, en Europe, des prisons où on envoie des gens pour y être torturés sans que cela se sache. (...) Les Etats- Unis détiennent des gens à Guantanamo en-dehors de toute légalité. Ces détenus ne dépendent même pas de la loi américaine. On a vu également, à la prison d'Abou Graib, comment la torture n'était plus un instrument d'interrogatoire mais un instrument d'abaissement de la dignité humaine. (...) une jeune Américaine rit en traînant par une laisse un homme nu agonisant, ce n'est pas pour chercher des documents, c'est pour l'assimiler à une bête. Là, nous assistons à une époque d'ensauvagement de l'humanité.» (9) En souvenir de Jacques Vergès: le combat d'un homme pour la justice «Un avocat déclare Jacques Vergès dans sa vision de la défense, est là pour défendre, comme un médecin pour soigner. (...) Plus l'accusation est grave, plus l'accusé a le droit d'être défendu et l'avocat, le devoir de le défendre. L'avocat, cependant, n'est pas un mercenaire, il a sa propre vie et ses propres convictions, et la défense qu'il propose à l'accusé doit en tenir compte. Pour Bush et Sharon, je suis partant s'ils plaident coupables. Lors d'une entrevue avec Maître Jacques Vergès, Philippe Labrecque raconte le combat de Vergès: «Rares sont ceux qui ont combattu pour la France sous les Forces françaises libres à partir de Londres lors de la Seconde Guerre mondiale pour ensuite être avocat de la défense pour les poseurs de bombes du Front de libération nationale (FLN) en pleine Guerre d'Algérie. Là où certains pourraient voir une contradiction, se battre pour la France libre et défendre le FLN sont complémentaires pour lui. En effet, la France possède un certain dualisme pour Jacques Vergès; «celle des droits de l'homme et celle du colonialisme», ce qui explique sa défense pour la France «de Monteil, Saint-Just, et de la Commune» et son combat contre «la France de Bugeaud.» (...) Le colonialisme officiel n'est plus, mais une certaine forme de néocolonialisme est toujours présente alors «qu'il y a un retour du colonialisme qui est pernicieux pour le prestige de la France». Le général de Gaulle, qui représente «la bonne conscience occidentale» d'après Jacques Vergès, reconnaissait tous les Etats et pratiquait la non-ingérence alors que son «héritage positif est en train d'être saboté» par une classe politique que Jacques Vergès voit comme représentant un déclin politique et intellectuel.» (6) Que peut-on en conclure? Un Homme debout est mort. En dehors de l'hommage du président de la République devons-nous nous contenter de cela? Pourquoi le ministère des Moudjahine n'a pas réagi pour porter témoignage, et reconnaissance? Mansour, le victorieux, Jacques Vergès était autant que les autres qui sont morts pour la patrie un moudjahid. Quand allons-nous franchement honorer leur mémoire d'une façon honnête et assumée? Peut-on imaginer que des établissements des universités, des instituts, des centres de recherche portent leur nom? Peut-on aussi penser à un Panthéon des Justes. Un monument où tous ceux qui ont eu à coeur de défendre l'Algérie pendant la colonisation durant la guerre d'indépendance ou qui ont apporté leur génie à la cause de l'édification soient à l'honneur. C'est à cette condition que l'écriture de notre histoire sera crédible et que nous pourrions l'assumer avec fierté. 1.Zineb Dryef http://www.rue89.com/hoax/ 2011/04/14/arretez-avec-le-je-me-battrai-pour-vous-de-voltaire-199690 2.Franck Johannès http://www.lemonde.fr/ disparitions/article/2013/08/15/l-avocat-jacques-verges-est-mort_3462241_3382.html 3. http://hyperboree-apollon.blogspot.fr/ 2009/09/defense-de-rupture.html 4. http://www.lexpress.fr/actualite/societe/ justice/les-mille-et-une-vies-de-me-verges_486870.html#x733sXmqgvZMWech.99 5.lexpress.fr/culture/livre/entretien-avec-me verges_820326.html#cEZ03ir1xlIL5hC1.99 6.Philippe Labrecque http://quebec.huffingtonpost.ca/philippe-labrecque/jacques-verges-combat-justice_b_3767529.html 7.Gilles Munier http://www.france-irak-actualite.com/article-la-mort-de-jacques-verges-une-vie-dediee-a-l-anticolonialisme-119563030.html 8.http://www.egaliteetreconciliation.fr/Document-la-plaidoirie-de-la-defense-au-proces-de-Klaus-Barbie-19624.html 9.Sylvia Cattori: http://www.mondialisation.ca/entretien-vec-maitre-jacques-verges-nous-assistons-a-une-epoque-densauvagement-de-lhumanite/5346101