C'est parti pour la 70e édition Il ne faut pas plus de 48h d'acclimatation pour voir qu'on est en train de faire main basse sur Venise. Il aura fallu juste faire l'impasse sur Venise, deux années de suite (optant pour Locarno), pour se rendre compte que des décennies de «pèlerinage» annuel à la Mostra, n'auront pas suffi à mesurer (correctement) l'étendue de la béance qui n'a cessé de s'élargir depuis quelques années et qui semble avoir épousé la pente qui va avec la crise économique (ascendante, elle, par contre) sévissant ici plus qu'ailleurs, au pays de Barbieri et d'Antonioni. Mais nous sommes toujours en Italie, dans le pays où l'on rit de tout, et même un peu trop, au point de saccommoder de l'innommable, qui, en politique s'appelait Andreotti et aurait pris, depuis, pour nom, Berlusconi, quoique toujours à la même fonction nuisible au plus haut point, celle de président du Conseil. Là où les prébendiers se retrouvent pour se partager ce qui reste encore à dilapider. On s'écarte du cinéma? Pas trop. Francesco Rosi avait, en son temps, remporté le Lion d'Or avec Main basse sur la ville (1963)... Et, il ne faut pas plus de 48h d'acclimatation pour voir qu'on est en train de faire main basse sur Venise. Un indice? Le Palais des festivals, annoncé en grande pompe pour sortir le festival de ce Casino dans lequel Mussolini l'avait confiné dès le début: «Le chantier avorté de son nouveau Palais du festival (37 millions d'euros) -les travaux ont du être arrêtés au bout de deux ans après la découverte d'amiante sur le site -, symbolise ces difficultés. Mais forte du soutien du nouveau ministre de la Culture Giancarlo Galan, rentré dans son conseil d'administration, la Mostra devrait bientôt être dotée de structures rénovées et utilisables toute l'année.», pouvait-on lire dans la presse, en... 2011! Deux années plus tard, le trou est toujours là, seulement protégé des regards par une belle palissade qui cache à la vue du quidam, l'herbe folle qui est en train de pousser sur le béton! C'est ça Venise... Et aucun journal italien, depuis l'ouverture du festival, mercredi dernier, n'a eu l'idée de consacrer, pas même un reportage photo à ce qui s'annonce comme étant le futur (mais énième, certes) scandale financo-foncier, dans ce pays qui semble s'accommoder de cela, en attendant le pire... C'est-à-dire la montée assez perceptible de l'extrême droite, qui n'a plus en face d'elle que des syndicats ou une magistrature (la plus indépendante du Bassin méditerranéen) qui paie au prix fort son affranchissement de toutes les tutelles locales...Les partis, eux, s'étripent, sans plus. Alors, à la Mostra, on s'agrippe à Clooney pour rêver un peu. Et il mérite bien cela, le beau gosse du cinéma américain, qui, comme chacun ne le sait peut-être pas, est plutôt dans le camp de ceux qui empêcheraient les spéculateurs de sévir tranquillement. Et donc, la presse people et l'«autre» (sans doute pour ne pas paraître has been) et face à la prestation, somme toute correcte, cabotine aurait été plus juste, de ce même Clooney, aux côtés de Sandra Bullock, elle criera au chef-d'oeuvre à propos de Gravity d'Alfonso Cuaron. Sûr, que parmi le choeur des laudateurs, il y en a bien un ou deux qui avaient «loupé» le coche en malmenant (si, si), en son temps, 2001, Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick... On en est pourtant à des années lumière du film de Kubrick, qui avait une pensée à proposer, lui, voire à partager, lui. Ce qui n'est nullement le cas de Gravity, loin s'en faut, qui raconte l'histoire d'une chercheuse (Sandra Bullock), docteur en ingénierie médicale et d'un astronaute (George Clooney). Coincés dans l'espace, hors de leur capsule spatiale. C'est le coup de la panne? Même pas! Le bouche-à-bouche, par casque interposé, n'ayant pas encore été testé sur les souris, il ne fallait, apparemment pas trop se risquer par là... Alors Cuaron optant pour le «suspense» (sic), tente de tenir le spectateur en haleine, alors que ce sont ces deux comparses qui risqueraient d'en manquer, c'est du moins ce qu'il veut laisser croire... Et comme il n'y a souvent pas de pensée dans ce genre de cinéma et que Hollywood n'aime plus donner trop à réfléchir, ces derniers temps, surtout, l'on se contentera de poser l'équation existentialiste, à partir d'un manque d'oxygène probable... Il est vrai qu'il aurait fallu la patte d'un écrivain, un vrai, un avatar de Ray Bradbury et Samuel Beckett, pour que Gravity soit ce thriller, tant proclamé par des critiques peu exigeants, qui aborderait alors et à travers ce huis clos sidéral, la question (soufie ou spirituelle, c'est selon) de l'introspection et cela sans prise de tête aucune. Même Spielberg, dans E.T. l'avait (presque) réussi, sans faire suer (pour rester poli) son monde. A un moment, on a même espéré que, surgissant de nulle part (c'est le cas de le dire quand on est en perdition dans l'espace, non?) on entendrait la voix de Terez Montcalm chantant: «Je n'attendais que toi: le coeur à la dérive / Aimant toujours le jour / Je ne m'enchaînais pas / Rêvant que tu arrives...» Cela nous aurait sans doute, fait oublier, un peu, le botox menaçant sérieusement la lèvre supérieure de la (pourtant) belle Sandra Bullock et les cernes naissantes chez George Clooney (jalousie? un peu, mais pas trop quand même). Pour faire résonner ces belles paroles (écrites par Aznavour) dans l'espace, il fallait-être romantique ou amoureux. Ou bien les deux. Alors... Heureusement qu'au détour d'un écran, celui de la Compétition, il y a eu, depuis, la rencontre avec une belle histoire (vraie), celle de Robyn Davidson qui décida, à 25 ans, avec un chien et trois chameaux, acquis au bout d'une dure épreuve de vie, de traverser l'Australie. Cette incroyable aventure avait été couverte, en son temps, par un photographe de la revue National Geographic... Robyn arrivera au bout de son périple, entamé en 1975, deux années plus tard et 2700 km plus loin... Une quête filmée avec sobriété et d'à-propos par John Curran, américain d'origine australienne. Tracks a secoué, en douceur, mais en profondeur, le public de la Mostra. Il y aurait du Rumi dans cette démarche qui instille sa dose de sagesse et de signes de vie que seul le désert peut prodiguer à ceux qui ont le goût de son langage, celui du silence, entre autres.