L'opposition syrienne a perdu sa marge de manoeuvre dans la perspective de négociations de paix avec le pouvoir à Genève, après le désaveu de principaux groupes rebelles et une résolution de l'ONU en-deçà de ses attentes. Le patron de l'ONU Ban Ki-moon a annoncé vendredi dernier que la conférence de paix dite de «Genève 2» devrait se tenir à la mi-novembre pour tenter d'amorcer une transition politique en Syrie dévastée par 30 mois de conflit, mais l'opposition, en exil, se sent abandonnée par ses alliés occidentaux. Samedi dernier, M.Ban a rencontré pour la première fois le chef de l'opposition syrienne Ahmed Jarba pour l'encourager à participer à la prochaine conférence de paix. Ahmed Jarba a indiqué que la coalition nationale syrienne (opposition) était disposée à envoyer une délégation à cette conférence, a déclaré Martin Nesirky, porte-parole de l'ONU. Si M.Jarba a officiellement salué la résolution de l'ONU avec quelques réserves, plusieurs de ses membres sont résolument amers. «La résolution du Conseil de sécurité est très décevante», a déclaré samedi Samir Nachar, opposant historique au régime de Bachar al-Assad. «Elle sert les intérêts de la plupart des puissances régionales et internationales, y compris le régime syrien. Mais elle ne sert en aucune façon le peuple ou la révolution». Après d'âpres négociations russo-américaines, le Conseil de sécurité a voté vendredi la résolution 2118 qui contraint le régime à détruire son arsenal chimique, sans cependant stipuler des sanctions automatiques en cas de non respect du texte. L'opposition réclamait une résolution assortie de menaces de sanctions directes, mais surtout elle voulait que les Etats-Unis mettent à exécution leurs menaces de frappes contre le régime suspendues après l'accord russo-américain du 14 septembre sur le démantèlement des armes chimiques. Pour Agnès Levallois, experte du Moyen-Orient basée à Paris, «la résolution de l'ONU est venue au détriment de l'opposition, qui est la grande perdante. Avec cette histoire d'armes chimiques, Bachar al-Assad est à nouveau l'interlocuteur syrien pour la communauté internationale donc il y a eu un renversement de la situation». La menace de frappes avait été brandie en réponse à une attaque à l'arme chimique le 21 août contre un bastion rebelle près de Damas que Washington avait imputé au régime. L'opposition espérait qu'une frappe affaiblirait M.Assad qu'elle cherche à renverser depuis mars 2011. Pour Peter Harling, un expert de la Syrie basé à Bruxelles, l'opposition «sera encore affaiblie par le processus de Genève, s'il est façonné par les Etats-Unis et la Russie pour enrober politiquement leur accord sur les armes chimiques, dont le seul but est d'éviter une guerre dont personne ne veut». De surcroît, l'opposition, qui n'a pas pu obtenir des Occidentaux plus de soutien matériel et financier pour les rebelles sur le terrain, a été désavouée par 13 importants groupes rebelles, dont des jihadistes, qui ont annoncé cette semaine qu'elle ne «les représentait pas». Pour de nombreux opposants, la Coalition est déconnectée des souffrances de la population et ne soutient pas suffisamment les rebelles. «La Coalition s'est éloignée du peuple syrien, de sa réalité et de ses ambitions», a déclaré Islam Allush, le porte-parole du groupe rebelle Liwa al-Islam. Dans une vidéo tournée lors d'une réunion de l'opposition en Jordanie, et postée sur Internet, un commandant rebelle, furieux, accuse les dissidents installés à l'étranger d'abandonner les Syriens. Pour Agnès Levallois, «il y a un divorce de plus en plus grand entre les Syriens de l'intérieur et ceux de l'extérieur. Du coup, cela enlève toute marge de manoeuvre à l'opposition» pour de futures négociations de paix. Et en cas de négociations, les décisions de l'opposition «ne seront pas acceptées et reconnues par l'opposition de l'intérieur, cela n'aura aucune réalité sur le terrain. C'est dramatique pour l'opposition», ajoute-t-elle.