Profitant de l'anarchie sécuritaire, des groupes se revendiquant de l'idéologie d'Al Qaîda prolifèrent en Libye mais le réseau dont l'un des chefs vient d'être capturé par des agents américains à Tripoli se garde d'agir ouvertement sur le sol libyen, selon des experts. Abou Anas al-Libi, qui figurait parmi les personnalités les plus recherchées par la police fédérale américaine, a été capturé samedi par les forces spéciales américaines lors d'un raid audacieux à Tripoli. Réprimés et persécutés sous le régime de Mouamar El Gueddafi, les islamistes ont fui le pays dans les années 1990 pour s'installer en Afghanistan ou en Irak, où certains se sont affiliés au réseau AlQaîda. Plusieurs d'entre eux, comme c'était le cas d'Abou Anas, sont rentrés en Libye pendant l'insurrection contre le régime d'El Gueddafi en 2011. Leur engagement au côté des rebelles libyens leur a permis de se faire connaître, d'amasser un arsenal militaire redoutable et de former des milices qui ont gagné en influence en particulier dans l'est du pays. Certains y ont établi des camps d'entraînement et recrutent des jeunes, libyens et étrangers, en particulier pour les envoyer combattre en Syrie, selon un diplomate en poste à Benghazi (est) s'exprimant sous couvert d'anonymat. Selon plusieurs experts libyens, ces groupes islamistes sont devenus tellement importants qu'ils refusent de s'affilier à Al Qaïda et préfèrent agir seuls sous le commandement de leur propre émir. Ainsi, le puissant groupe salafiste jihadiste d'Ansar al-Chari'â, très actif dans l'est du pays, est pointé du doigt dans l'attaque du 11 septembre 2012 contre le consulat américain à Benghazi, qui a coûté la vie à l'ambassadeur Chris Stevens et trois autres Américains. Mais jusqu'à présent, aucun lien n'a pu être établi entre ce groupe qui prône l'application de la chari'â et Al Qaîda. Selon Claudia Gazzini, analyste de l'International Crisis Group pour la Libye, «il y a plusieurs groupes qui partagent une large affinité idéologique avec Al Qaîda dans la mesure où ils prônent un Etat fondé sur la loi islamique et nourrissent une hostilité à l'encontre de l'Occident». «Il y a aussi des preuves que des personnes qui dans le passé ont eu des contacts avec des chefs d'Al Qaîda sont aujourd'hui présents en Libye. Mais rien de tout cela n'indique que ces individus et groupes sont actuellement affiliés directement à ce réseau», ajoute-t-elle. Depuis la chute du régime d'Eln Gueddafi en 2011, des attentats ont visé les intérêts occidentaux et les services de sécurité en Libye, comme celui perpétré en avril contre l'ambassade de France à Tripoli. «Certes, il existe des sympathisants du réseau Al Qaîda en Libye comme partout ailleurs, aux Etats-Unis même, mais il n'y a pas de jihadistes d'Al Qaîda en Libye», estime Fraj Najem, directeur du Centre africain des études à Tripoli. «Il n'existe aucune preuve matérielle de la présence d'Al Qaîda en Libye», insiste-t-il. En ce qui concerne la présence d'Abou Anas al-Libi dans le pays, M.Najm affirme que ce dernier avait cessé toute activité liée à Al Qaîda depuis son arrivée en 2011. Pour Amor Bouchaala, expert basé à Benghazi, fief des islamistes dans l'Est, «les preuves de la présence d'Al Qaîda en Libye n'ont pas encore été établies jusqu'à présent et les séries d'assassinats et d'attaques perpétrées dans l'est du pays, et attribués à des islamistes, n'ont pas été revendiquées par Al Qaîda». Certains observateurs n'écartent toutefois pas de possibles contacts entre ces groupes et Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi) ou les «Signataires par le sang» de Mokhtar Belmokhtar. Ainsi, le commando islamiste qui a mené la prise d'otages meurtrière sur le complexe gazier d'In Amenas, dans le sud-est de l'Algérie, aurait bénéficié d'une «aide logistique» d'islamistes en Libye. Des experts occidentaux estiment en outre que plusieurs jihadistes chassés du Mali après l'offensive militaire française ont profité du vide sécuritaire en Libye pour établir une base arrière dans ce pays.