Samedi, à la libraire du Tiers Monde, c'est avec le sourire aux lèvres que notre auteur signait pour la première fois son livre en attendant d'aller encore plus à la rencontre désormais de son lectorat. Qui aime bien châtie bien et Samir Toumi, vivant et travaillant à Alger aime maltraiter sa ville Alger tout en la dorlotant subjectivement. A ses dédales encombrants, il lui préfère Tunis de Port Saïd et des jasmins enivrants. C'est ce qui ressort du moins des premières pages qu'il signe dans son premier récit, appelé symboliquement Alger, le cri publié aux éditions Barzakh. Parler de lui, il ne sait pas le faire, l'auteur qui, soliloque sur sa ville préfère se cacher derrière son ombre jusqu'à se confondre parfois en elle, comme un fantôme tapi dans sa lancinante obscurité. Alger la ténébreuse, la sensuelle qui se donne parfois, tantôt irresponsable, tantôt coupable, maltraite votre peau à raison d'un soleil dardant qui vient de cette mer lointaine que l'auteur se plaît à scruter depuis sa terrasse en voyageant ainsi dans son tréfonds abyssal pour en extraire le cri, ce chien de cri qui refuse de montrer sa face, de remonter à la surface, lui l'enfant seul, né sans cri justement. L'auteur de ce livre qui se lit d'une traite refuse ainsi de parler de lui.Mais ne dit-on pas que toute oeuvre échappe au contrôle de son maître? «C'est la pudeur algérienne» dit-il. Alger déploie pourtant ses ailes comme une tentacule de malédiction pour assouvir ses désirs inassouvis d'un serpent vénéneux. Alger vous étouffe le jour, mais respire la nuit en exhalant son râle éternel. Celui coincé dans la gorge à défaut de crier véritablement. Alger a les yeux du narrateur, lequel est habité par des fantômes du passé, une ville qui pourtant menace de s'écrouler, de s'effondrer, comme un château de cartes, comme une amante qui vous pousse de l'amour à la haine puis de la haine, à l'amour dans une spirale infernale où l'on n'en sort pas indemne. Une ville si belle mais qui offre en son sein tellement de contradictions qu'elle vous rend fou. Telle cette femme qu'on somme de se voiler en vous intimant l'ordre de se taire. Ne rien voir, ne rien dire, baisser les yeux et marcher comme un automate. Une vieille peau anesthésiée. Une ville bouillonnante certes, mais désordonnée comparée à Tunis. L'auteur aime pourtant quitter cette dernière pour regagner le chaos. Alger toujours revenir vers le lieu du crime, la source du commencement, de la guerre, de la naissance, du cri étouffé dans l'oeuf. Mais si Alger vous interdit de pleurer, Tunis qui vous ouvre les bras, vous le permet surtout si vous tombez sur la voix de Hasni exaltant sa souffrance à bord d'un taxi jaune. Alger n'en finit par de vous tournoyer dans la tête comme un mal nécessaire presque. Elle vous colle à la peau. Elle vous rouvre votre faille intérieure, celle qui a grondé en faisant trembler la terre un certain décembre 1978, à la mort de Boumediene, en 1980 à El Asnam, le 5 octobre 1988 ou encore en 2011 incitant des jeunes à sortir pour casser. Sans résultat. Une faille qui se refermera sur elle-même laissant «l'enfant seul» devenu «adulte seul» encore plus fragile et vulnérable qu'avant...Alger, ville de fantômes, sans présent, ni avenir qui végètent en traînant leurs carcasses, vous nourrissent de rêve de départ et de mort. Théâtre de solitude, tantôt sensuelle, tantôt vénéneuse vous épuise, mais vous surprend quand, des volutes de votre cigarette se mettent à danser puis s'échapper ainsi des souvenirs d'enfance, si proches, si lointains. Un tourbillon de sentiments prend possession de votre être et vous retient dans le filet d'une écriture qui se cherche, coule comme un cherchar, culmine comme une montagne puis monte et descend en se conjuguant aux confessions intimes d'un auteur dont la mémoire se perd par moments dans ses souvenirs comme ces centaines de corps dans la boue de cette hamla à Bab El Oued. Des digressions, l'auteur en fera souvent pour revenir toujours au lieu du crime, à l'épicentre de soi-même, Alger. C'est ainsi qu'on le retrouve à Oran, écumant les cabarets lui, l'amoureux des raïmans et des cheikhates, puis à Bordj Ménaïel, aux côtés de ses grands-parents et à nouveau chez lui avec son amie tunisienne dont le pays vient de basculer à son tour dans le chaos. Un véritable cri celui-là, laissant ses voisins, nous, les Algériens dans notre maussade et silencieuse implosion... Décrire sa ville, c'est avoir conscience de ses maux et ses mots que le narrateur triture pour vaincre la bataille qui se niche au creux de soi. Ecrire Alger, c'est peut être finalement se perdre pour se retrouver et combler sa faille?