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Autopsie de l'acharnement des briseurs de paix
NEGOCIATIONS IRAN-OCCIDENT
Publié dans L'Expression le 14 - 11 - 2013

Benyamin Netanyahu, intransigeant sur le programme nucléaire iranien
«La paix est une création continue» Raymond Poincaré (président de la République française 1860-1934)
La semaine dernière, le monde était suspendu à l'annonce prévisible à Genève d'un accord sur le dossier du nucléaire iranien. Nous étions partagés par le sentiment que le combat d'Ahmadinejad pour un Iran maîtrisant le nucléaire au point de savoir et de pouvoir enrichir l'uranium a été en définitive inutile puisqu'il a amené à des sanctions drastiques occidentales. Mais aussi, nous fûmes dubitatifs quant à la position de Rohani qui s'apparentait à une reddition en rase campagne et nous étions en définitive que l'accord d'un désarmement technologique de l'Iran était acquis. Que s'est-il passé pour qu'on apprenne que les négociations avaient échoué alors que les ministres (5+1) s'étaient rendus à Genève pour signer l'accord? C'était en fait sans compter sur le «veto informel» d'Israël défendu par Laurent Fabius.
Les raisons de l'échec
Le rôle de la France dans cet échec lit-on sur Le Monde est pointé du doigt par plusieurs observateurs. Ces derniers soulignaient notamment, les multiples prises de parole de la délégation française pour insister sur les points de blocage. Le chef de la diplomatie française a d'ailleurs été le premier à annoncer l'absence d'accord, soulignant qu'il restait beaucoup de chemin à faire. Cette détermination a fini par irriter certains diplomates qui, sous couvert d'anonymat, n'ont pas caché leur agacement aux journalistes. «Les Américains, l'Union européenne et les Iraniens travaillent depuis des mois sur ce processus et il ne s'agit rien de plus que d'une tentative de Fabius de se donner une importance tardivement» (1) Pour François Nicoullaud ancien ambassadeur de France en Iran: «Ce qui s'est produit à Genève est inhabituel dans une négociation. Il semble qu'à l'arrivée des ministres, John Kerry, Laurent Fabius, William Hague, Guido Westerwelle, les négociations ont été rouvertes. En général, le dossier est quasiment bouclé par les collaborateurs des cabinets. Il ne reste plus qu'à signer. Visiblement, il restait des questions de fond non réglées. Comme l'enrichissement d'uranium et le réacteur d'Arak. On peut d'ailleurs s'étonner de la fixation de Laurent Fabius -et de Benyamin Netanyahu- à ce sujet. Ce réacteur à eau lourde destiné à la recherche, peut certes permettre la production de plutonium de qualité militaire, et présente donc un danger de prolifération. Il est semblable à celui qui a permis à Israël et au Pakistan de fabriquer l'arme atomique. Mais malgré les annonces de l'Iran sur son achèvement en 2014, tous les experts s'accordent sur le fait qu'il faudra encore plusieurs années pour qu'il soit achevé. (...) L'Iran considère que s'il se contente d'acheter de l'uranium enrichi, il peut avoir des mauvaises surprises. (...) Plus récemment, l'Iran a souhaité acheter de l'uranium enrichi pour son réacteur de recherche de Téhéran. En raison des réticences internationales, il n'a pas pu en obtenir. C'est pourquoi l'Iran souhaite être capable de produire lui-même au moins une partie du combustible dont il a besoin. Pas la totalité d'ailleurs. Pour la centrale de Bouchehr, ce sont les Russes qui fournissent le combustible.» (2)
«Laurent Fabius a effectivement adopté une posture très intransigeante. Il a insisté sur le fait qu'il fallait prendre en compte la préoccupation d'Israël et des pays arabes. Peut-être y a-t-il une question de calendrier, à une semaine de la visite de François Hollande à Tel-Aviv. Faut-il y voir également une façon de manifester le dépit pour la façon dont la France a été traitée par les Etats-Unis sur le dossier syrien? Paris reste sur la ligne tracée par Nicolas Sarkozy. S'agissant de la raison de la virulence de l'opposition d'Israël, ainsi que de l'Arabie Saoudite à un accord avec l'Iran? L'ambassadeur voit des raisons de deux ordres.
Sur le plan du nucléaire, Tel-Aviv et Riyadh craignent un mauvais accord qui permettrait à l'Iran de continuer à développer son programme et de chercher à se procurer l'arme atomique. Sur le plan politique, le retour à des relations normales entre l'Iran et les pays occidentaux risquerait de leur faire perdre, à l'un comme à l'autre, la relation privilégiée qu'ils entretiennent avec les Etats-Unis et l'Europe. Un tel changement risque de modifier les équilibres actuels dans la région et cela les inquiète.» (2)
On avance que la France écartée des négociations de Genève sur la Syrie s'est montrée intransigeante. De fait, il est important de souligner qu'à titre personnel Laurent Fabius n'est pas pour contribuer au règlement du différend Iran-Occident. Serge Michel et Yves-Michel Riols pensent que l'optimisme qui prévalait a subi un coup d'arrêt: «Après trois jours de tractations intenses au plus haut niveau à Genève, les négociations sur le nucléaire iranien se sont achevées, aux premières heures du dimanche 10 novembre, par un maigre communiqué de trois lignes. (...) Des attentes renforcées lorsque les négociations ont été prolongées pour permettre la venue des Russes et des Chinois. Une telle mobilisation laissait entendre que les discussions avançaient et qu'un accord était dans les tuyaux. Mais le climat a brusquement changé après l'intervention de Laurent Fabius «Il y a quelques points sur lesquels nous ne sommes pas satisfaits»,(...) De source américaine, on précise que les propos de M.Fabius ont agacé l'équipe de John Kerry, non pas tant sur le fond mais parce qu'en s'exprimant ainsi M.Fabius a rompu la règle du silence, observée jusque-là de façon hermétique par l'ensemble des délégations.» (3) C'est un fait que Laurent Fabius a adopté depuis longtemps une attitude bien plus hostile vis-à-vis de l'Iran que certains de ses collègues, et même que l'Elysée. En septembre, il s'est opposé un temps à l'idée d'une rencontre entre François Hollande et le président iranien Rohani, qui a finalement eu lieu à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU.
Pierre Haski est encore plus catégorique. Pour lui: «La France a empêché samedi un accord aux négociations internationales sur le nucléaire iranien à Genève. L'accord semblait pourtant imminent, et samedi matin l'édition internationale du New York Times pouvait titrer: «L'accord nucléaire avec l'Iran est décrit comme quasiment conclu.» (...) Laurent Fabius, a joué un rôle-clé dans cet échec. (...) Il est apparu plus dur que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Les journalistes américains ironisaient samedi soir sur cette soudaine force de la diplomatie française. (...) Les Américains, qui souhaitaient visiblement sortir de cette rencontre de Genève avec un accord, rendent Fabius responsable de l'échec. Sur Twitter, Reza Marashi, un ancien membre du bureau Iran du département d'Etat, affirme même que le ministre français des Affaires étrangères a transformé la vie de son homologue américain John Kerry en un «enfer». Quant à Laura Rozen, une journaliste américaine spécialisée sur les affaires du Proche-Orient, elle qualifie sur son compte Twitter Fabius d'«anti-iranien», et rapproche son attitude de la vente de sang contaminé français à l'Iran à l'époque du scandale dans lequel Fabius, alors Premier ministre, a été poursuivi (...).»(4)
Où en est le programme nucléaire iranien?
L'Iran a toujours proclamé qu'elle voulait développer le nucléaire civil pour des raisons de stratégie énergétique. «Pendant dix-huit ans, écrit Hélène Sallon, l'Iran a mené dans le plus grand secret un programme d'enrichissement d'uranium. Son existence a été rendue publique en 2002. Plus de dix ans et six résolutions du Conseil de sécurité plus tard - dont quatre depuis 2006 accompagnées de sanctions sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies -, l'Iran a continué à enrichir de l'uranium. Téhéran affirme que son programme nucléaire reste conforme au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), que l'Iran a ratifié en 1970. Le TNP permet aux Etats signataires d'enrichir de l'uranium à des fins civiles, sous supervision de l'Aiea. L'Iran affirme ainsi développer de l'uranium enrichi à 3,5% pour sa production électrique sur la centrale nucléaire de Bouchehr et de l'uranium enrichi à 20% pour son réacteur de recherche à Téhéran, sur les sites de Natanz et de Fordow. Selon l'Aiea, le stock enrichi à 20% atteignait 186,3 kg, fin août - il faut au minimum 240 kg pour produire une arme nucléaire. L'Iran possède plus de 19.000 centrifugeuses, dont 1000 de nouvelle génération, Selon les experts israéliens, l'Iran pourrait en effet atteindre rapidement le seuil des 240 kg d'uranium enrichi à 20%, ce qui lui permettrait de passer dans un temps relativement court à un enrichissement à 90%, nécessaire pour construire une bombe. Lors de l'ouverture des négociations genevoises, mardi 15 octobre, l'Iran a fait au groupe des 5+1 une proposition intitulée «Pour la fin d'une crise inutile et le commencement de nouveaux horizons», que toutes les parties se sont engagées à tenir secrète (...) Il s'agit de plafonner le programme nucléaire - tant sur le niveau d'enrichissement de l'uranium que sur le nombre de sites nucléaires -, puis d'en garantir l'accès aux inspecteurs de l'Aiea.»(5)
Ce que fait Israël pour torpiller les négociations
Pour Israël, la signature d'un accord de l'Occident avec Téhéran signifie une faillite totale de sa politique hégémonique. Elle aura alors, à rendre compte elle aussi à la fois sur sa politique moyen-orientale en termes de sécurité mais aussi sur sa politique nucléaire. Elle a donc tout intérêt à actionner ses relais partout dans le monde. En France, ce sera Laurent Fabius, aux Etats-Unis ce sera le Congrès. «Israël, dont un ministre se rend mardi aux Etats-Unis, veut jouer de son influence au Congrès américain pour tenter d'empêcher la conclusion d'un accord sur le nucléaire iranien lors de la reprise des négociations entre les grandes puissances et l'Iran, le 20 novembre. «Israël fera tout pour convaincre les grandes puissances et leurs dirigeants d'éviter de conclure un mauvais accord» avec l'Iran, a affirmé le Premier ministre, Benyamin Netanyahu, lors du Conseil des ministres. (...) Le ministre de l'Economie israélien Naftali Bennett a annoncé à la radio militaire qu'il se rendrait à partir de mardi aux Etats-Unis pour «mener une campagne auprès de dizaines de mem- bres du Congrès» à qui il veut expliquer que «la sécurité d'Israël est en jeu». A l'inverse, la secrétaire d'Etat adjointe américaine Wendy Sherman, qui mène les négociations avec l'Iran, est arrivée en Israël dimanche, a indiqué la porte-parole du département d'Etat Jen Psaki. «Elle poursuivra notre coordination étroite avec Israël sur nos efforts en cours pour empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire», a indiqué Mme Psaki».(6)
L'intransigeance illégale d'Israël défendue par Laurent Fabius est un fait. Paris semble a priori moins disposé à autoriser la poursuite de l'enrichissement d'uranium par l'Iran. La position israélienne est du même type. Pour Benyamin Netanyahu, l'Iran n'a aucunement besoin d'un programme nucléaire civil, ayant suffisamment de gaz et de pétrole pour sa consommation énergétique. Le Premier ministre israélien insiste sur le fait que l'Etat juif est «la première cible, mais pas la seule» de la République islamique. «Aujourd'hui, l'Iran développe des missiles balistiques intercontinentaux qui peuvent atteindre toute l'Europe et les Etats-Unis, et dont l'objectif est de transporter des charges nucléaires.» (;..) «Israël ne permettra pas à l'Iran d'obtenir une capacité nucléaire militaire. Point», assène le Premier ministre israélien. Pourtant là où la France n'a pas interféré, un accord a été conclu, l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea) et l'Iran ont signé une déclaration commune sur leur coopération future, lundi 11 septembre, a annoncé le chef de l'organisation nucléaire iranienne, Ali Akbar Salehi. Cette «feuille de route» doit autoriser une visite du site du réacteur d'Arak, rapporte l'agence Isna, et devrait permettre aux experts de l'Aiea d'inspecter la mine de Gachin. (7)
Pour l'impunité et contre la paix
Les seuls à saluer l'exploit de Fabius sont deux sénateurs américains, dont le républicain John McCain, pour avoir bloqué la signature d'un accord sur le nucléaire iranien à Genève, «Vive la France», s'est écrié, le sénateur John McCain sur son compte Twitter. ««Dieu merci pour la France, Dieu merci pour ce refus d'un accord», a lancé le sénateur républicain Lindsey Graham sur CNN. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu est ravi, les sénateurs faucons de Washington, John McCain et Lindsey Graham, également. «Vive la France» entend-on dans certaines bouches. Laurent Fabius est-il sincère lorsqu'il se retrouve seul contre tout ce monde, soutenu uniquement par ceux-là. On se rappelle qu'en septembre 2013 L'Agence pour l'Energie atomique (Aiea) de l'ONU, a rejeté la demande de la Ligue arabe, qui visait à imposer à Israël de signer le Traité de non-prolifération nucléaire, et de soumettre à l'Aiea un contrôle de ses installations nucléaires. L'opposition des Etats-Unis à cette résolution a provoqué une frustration grandissante dans le Monde arabe sur le report d'une conférence internationale sur l'interdiction des armes atomiques dans la région, a rapporté Reuters.» (8)
Dans cette affaire, plus que jamais les deux poids, deux mesures est en vigueur. El Baradei, à l'époque directeur de l'Aiea, après de difficiles tractations, a été autorisé à aller en Israël; naturellement, il n'a rien vu. Sa fameuse phrase: «Je n'ai pas vu de pistolet fumant» est en fait une reddition en rase campagne et sur instruction de l'Aiea. Dans Il Manifesto Manlio Dinucci a raison d'écrire que l'Empire et ses vassaux sont plus que jamais guerriers agressifs: «Les projecteurs des médias sont braqués sur Genève, où sont en cours des entretiens pour dénucléariser l'Iran, qui ne possède pas d'armes nucléaires et adhère au Traité de non-prolifération. Israël reste par contre dans l'ombre, bien que possédant des centaines d'armes nucléaires pointées sur l'Iran et d'autres pays, et n'adhérant pas au Traité de non-prolifération. Plus encore, dans l'ombre reste le fait que les Etats-Unis, tandis qu'ils sont engagés à Genève à dénucléariser l'Iran, nucléarisent l'Europe en potentialisant les armes conservées en Allemagne, Italie, Belgique, Hollande et Turquie.»
Ce sont environ 200 bombes B-61, qui s'ajoutent aux plus de 500 têtes nucléaires françaises et britanniques prêtes au lancement.»(9) Tout est dit. Il n'y aura pas de paix sans justice. Le chemin est assurément long pour y parvenir. Ainsi va le Monde.
1.Nucléaire iranien: le rôle de la France en question Le Monde.fr 10.11.2013
2.http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/nucleaire-iranien-les-raisons-de-l-echec-des-negociations-de-geneve_1298128.html#ydf5y8bE5tlFM4QC.99 Catherine Gouëset 10/11/2013
3.S.Michel,Y.Riols Nucléaire iranien: pourquoi l'optimisme a été déçu Le Monde 10.11. 13
4.Pierre Haski http://www.rue89.com/ 2013/11/10/france-provoque-lechec-negociations-geneve-liran-247375
5.Hélène Sallon: Où en est le programme nucléaire iranien? Le Monde.fr 15.10.2013
6.http://www.lemonde.fr/international/article/2013/11/11/nucleaire-iranien-israel-tente-de-seduire-le-congres-americain-contre-obama_3511463_3210.html #xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20131111-[titres]
7. Nucléaire iranien: Téhéran et l'Aiea s'accordent Le Monde.fr 11.11.2013
8.L'ONU rejette une résolution sur le nucléaire israëlien http://www.i24news.tv /fr/actu/inter...
9. Manlio Dinucci http://www.mondialisation.ca/leurope-denuclearisee/5357833


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