J-1 avant la clôture de la manifestation, le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi accueillait, jeudi dernier, quatre compagnies de danse provenant de quatre pays différents. Le premier à se lancer sur le tapis du TNA devant un public des plus attentifs était l'Italie. Celui par qui la surprise arriva. Artémis Danza, dans sa longue performance composée en deux parties tenta de nous narrer l'histoire du silence, ou de nous faire entrevoir ses échos à travers un cri souvent tu. Le premier tableau s'ouvre sur la vue d'une femme nous donnant le dos, sur fond de bruitage de la nature. Les bras ouverts et levés, elle se met à courir de façon désarticulée, non pas sur la pointe mais sur les doigts des pieds. Elle va et vient. Ses gestes deviennent mécaniques. Elle tombe par-terre, se lève, se contorsionne et à nouveau se met à marcher tel un oiseau, ses pas rythmés qu'ils sont par le son du vent. Rebelote, le son, lui, est métallique, suggère un métronome. La danseuse marmonne quelque chose, se met à parler, à vociférer dans une langue étrangère... Un nouveau tableau commence. Au son du tambour succède une danse sensuelle. Et puis ce cri étouffé. Et la lumière fut. Le rythme se veut incisif. Les mouvements mécaniques de la danseuse redoublent de fragilité. Il y a comme un ange déchu dont le corps se meut sous les effets mélodiques d'un opéra. Toutefois, malgré les ambiances mélancoliques qui se dégagent de la scène, les mouvements sont beaucoup plus mécaniques et pas assez émouvants. Le tableau est long et on finit par décrocher un moment. La danseuse, avec ses mains, se remet à parler cette fois comme dans un face-à-face plaintif. Puis plus rien! Place à une vidéo dans laquelle est mise en exergue la culture traditionnelle nipponne puis des danseurs hommes et femmes qui semblent exécuter des gestes ancestraux, venus du pays du Soleil Levant. Apparaît sur scène une femme avec une tenue rouge qui rappelle le kimono. Son visage est grimé de blanc. Dans la pénombre, ses pas lents et mesurés balancent de la poésie dans la salle. Elle est cette geisha oubliée, symbole de ces femmes objets malmenés dont la voix compte peu. Ses pas hésitants et flageolants évoquent le théâtre ancestral des marionnettes très chères au Japon dans les histoires se déclinant souvent dans un genre dramatique. Quand la musique s'arrête, les mouvements de la danseuse deviennent plus amples et généreux. Aplatie sur le sol, face à la torche lumineuse de la scène qui éclaire bien son visage des plus blafards, elle ouvre grande ouverte sa bouche donnant à voir une tête horrifiée mais point de son qui émane de sa gorge. Pas de doute, ces pantomimes danses entrecoupées de gestuelles stylisées et des pauses de danse harmonieuses n'est pas loin sans rappeler le théâtre Nô. Cette théâtralité dans les expressions du visage qui semble porter un masque, semble incarner une intrigue autour de cette femme torturée de par son émotion et l'atmosphère qui l'entoure. La danseuse parvient avec brio à nous embarquer dans son univers fait de violences intérieures des plus féroces et tragiques. Une belle interprétation scénique bien qu'elle ait parue plus ou moins hermétique pour beaucoup de spectateurs. Le pays suivant qui se produira est la Wallonine Bruxelles. Il sera représenté par cette plantureuse femme, Luiza qui présentera deux pièces. Une plus douce et la seconde plus énergique. La première est introduite via une projection vidéo mettant en scène les oiseaux, le ciel et la mer. Un poème parle d'une femme dont les hommes tremblent devant sa présence. Emmitouflée d'un burnous, debout, la danseuse se dévoile et se met à danser, un cerceau autour de la taille. La musique est une sorte d'hymne à la liberté qu'incarne le moineau puis à la beauté orientale que suggère le chant de Faïrouz. Le second tableau que donne Luiza Gharadoui est intitulé Légitime démence. En parfaite Marocaine qu'elle est, le corps moulé dans une nouvelle robe, la danseuse donnera de façon plus vive au rythme d'une musique plus entraînante, invitant à la transe et au vertige. Cette musique maghrébine est d'autant plus vivifiante qu'elle réveillera le public qui se mettra à taper des mains pour accompagner la danseuse dans ses épanchements physiques entre mouvements de hanches et de cheveux au vent. Luiza Ghardaoui aura joué de ses charmes avec habilité et gagna ainsi la faveur du public. Sa particularité? sa note orientalo-maghrébine dans laquelle se reconnaîtra l'assistance. Point barre. Là réside son originalité. Place cette fois à la compagnie de danse algérienne Dream Team de la Maison de la culture de Tizi Ouzou. Enveloppées de la tête au pied dans un tissu noir, quatre demoiselles telles des chrysalides éclosent, faisant naître des silhouettes féminines assez lourdingues, dont la gestuelle, basée beaucoup plus sur la danse académique et les cours de gymnastique, vraisemblablement, n'est que l'ombre d'elles-mêmes. Point d'émotion. La musique qui recouvre par moment les chorégraphies flotte dans l'air sans aucune harmonie avec les pas exécutés. Pire, sans parvenir à toucher le corps de ces demoiselles dont l'agencement donne l'impression de faire évoluer des corps dénués d'âme. Quel sens donné à ce spectacle? Aucun, hélas, tant le niveau de danse contemporaine des plus affligeants demeure en deçà du minimum requis. L'on se surprend plutôt à assister à un spectacle de fin d'année scolaire et rien d'autre. Mais passons. Enfin le show de ce jeudi s'achèvera par la participation américaine avec la prestation de la compagnie E. celle-ci présentera quatre tableaux, intitulés respectivement A deux doigts, Dénudé, Chute, Tombé de haut et enfin Tentacules. Dépouillée, la scène est montée d'un mur sur lequel est projeté des barreaux. A côté, sont discernables deux caissons sur lesquels vont s'asseoir à tour de rôle un homme et une femme. Ces derniers se frôlent et semblent se chercher, se séduire. Quand l'homme s'approche, enlace la femme, celle-ci le rejette.. Ainsi de suite. Les pas de danse furtifs, mais assurés, sont accompagnés de silence. Le son angoissant en effet du départ s'achève pour céder la place à un solo féminin, assez drôle et agile. La danseuse joue avec sa tenue en modifiant le port de son tee-shirt au fur et à mesure qu'elle ploie ses bras en dessus et en bougeant dans tous les sens. Reparaît à nouveau le duo, ce couple scénique et gracieux dont les corps désormais presque collés l'un à l'autre, s'entrechoquent, s'enroulent, et se font volupté et folie. Enfin, l'on découvre, au tableau final, un homme, dont il est défini selon un poème en langue arabe, projeté sur le mur, comme le petit enfant silencieux. Ce dernier, dans des mouvements fins et précis donne à voir une belle performance chorégraphique, rehaussée d'une mystérieuse aura esthétique, laquelle consistera à se peinturer le corps de bleu et de continuer à se mouvoir jusqu'aux salves d'applaudissement suprêmes. Tomber de rideau.