Après plusieurs tentatives, le jeune juge français Marc Trévidic chargé de faire la lumière sur l'assassinat des sept moines de Tibhirine en 1996 était à Alger pour une courte mission de deux jours. Il a été autorisé à venir en Algérie dans le cadre d'une procédure d'entraide destinée à élaborer les modalités de travail entre les autorités algériennes et françaises sur ce dossier. Il est reparti hier soir sans donner des informations sur les derniers éléments du dossier. Pendant longtemps, les autorités algériennes avaient refusé d'accorder le visa à Marc Trévidic qui demandait depuis deux ans à se rendre sur place, notamment pour exhumer les têtes des moines afin de les autopsier, après avoir reçu en décembre 2011 une commission rogatoire internationale en ce sens. Les têtes sont enterrées dans sept tombes au nom des victimes dans le jardin du monastère, leurs corps n'ayant jamais été retrouvés. Durant son passage à Alger, le juge n'a pas prévu de sortir d'Alger, avait précisé un diplomate français selon lequel il s'agit seulement «d'organiser des discussions en prévision de la suite». Selon cette même source, M.Trévidic veut également entendre une vingtaine de témoins, dont des officiers des services de renseignement et des islamistes repentis ou incarcérés impliqués de près ou de loin dans cette affaire. Le magistrat français, récuse la thèse de l'assassinat des moines par les hommes de Djamal Zitouni, alors chef du GIA, et privilégie la piste de la «bavure» de l'armée en se basant notamment sur le témoignage d'un ancien attaché de la Défense à l'ambassade de France à Alger, le général François Buchwalter. Selon ce dernier, les moines ont été tués dans un raid d'hélicoptères militaires tandis qu'ils se trouvaient dans ce qui semblait être un bivouac de jihadistes. Mais un documentaire diffusé en mai 2013, sur la chaîne France 3 était venu remettre en cause cette thèse. En effet, le documentaire réalisé par Malik Aït Aoudia et Séverine Labat fait témoigner plusieurs terroristes repentis et pour la première fois l'un des chefs du GIA Hassen Hattab, qui rendent responsables les hommes de Djamel Zitouni d'avoir exécuté les moines dont les têtes avaient été retrouvées le 30 mai, au bord d'une route. Le documentaire fait aussi parler des responsables français de l'époque qui mirent l'accent sur le cafouillage dans la gestion du dossier à Paris entre le ministère français des Affaires étrangères et les responsables de la Dgse. Ce documentaire est surtout une réponse à un autre documentaire français Le crime de Tibhirine diffusé dans le magazine Spécial Investigation, sur Canal+ le 19 septembre 2011 et qui a été réalisé par un journaliste spécialiste de l'Algérie, Jean-Baptiste Rivoire. Le reportage très controversé basait sa thèse sur la bavure militaire et donnait surtout la parole à deux déserteurs de l'armée algérienne. De nombreux observateurs s'interrogent sur la venue du juge Marc Trévidic dans ce contexte politique actuel. Les relations entre Paris et Alger, ont été fortement perturbées par ce dossier, surtout que l'histoire a fait l'objet d'un film Des hommes et des dieux réalisé par Xavier Dubois, qui a été présenté à Cannes en même temps qu'un autre film algérien Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Même si le film se basait sur l'aspect humain de cette affaire, en ne donnant aucune thèse à la fin, il reste que la médiatisation de ce film a relancé le dossier et a fortement perturbé les relations médiatiques et diplomatiques entre les deux pays. Mais, depuis l'élection de François Hollande et sa visite en Algérie en 2012, Paris et Alger n'ont jamais été aussi proches sur le plan politique, commercial et médiatique. En accordant le visa au magistrat français, l'Algérie apporte surtout la preuve qu'elle n'a rien à cacher dans ce dossier. Le juge Marc Trévidic a sûrement profité de l'embellie politique entre les deux pays pour tenter de trouver des réponses à des questions restées en suspens. Mais réussira-t-il à interroger les témoins et vérifier les preuves en deux jours? Pour de nombreux experts ce n'est pas sûr, surtout que le juge ne voulait pas venir seul: il aurait été accompagné de deux médecins légistes, un expert en empreintes génétiques, un photographe de l'identité judiciaire ainsi qu'une grosse machine de radiologie devait l'accompagner en avion-cargo depuis Paris. Cette venue est avant tout une prise de contact avec les responsables algériens en prévision d'autres visites.