Par téléscopage, la situation qui prévaut au niveau de cet institut renseigne sur l'état de délabrement général et généralisé de l'université algérienne. Détail. En cette belle journée d'un novembre indécis, la grande allée qui traverse la Faculté centrale d'Alger explose en jeunesse et en fraîcheur. Jeunes étudiants et étudiantes, rejoignant leurs salles de cours nonchalamment ou papotant, en groupes hétérogènes ou en couples hétérosexuels, à même les escaliers sous des affiches placardées par l'UGEL (Union générale des étudiants libres) souhaitant la fin très proche des «juifs» qui occupent les Terres saintes en Palestine. Un autre groupe d'étudiants, représentant quelques syndicats, évoque également le terme d'occupation, mais, vous l'aurez deviné, d'une toute autre nature et pour tout autre mobile. C'est le cas du président de la Coordination universitaire de l'Alliance de la jeunesse et des étudiants, 4e année de l'Institut de traduction et d'interprétariat, Hillel de son nom qui déclare: «Nous occuperons toutes ces salles s'ils continuent comme ça!» Ces «salles» ce sont l'amphi B de ce même institut, la salle des Actes au tunnel des facultés et trois salles de cours au sixième étage du bâtiment de l'UFC, détachées au même institut. Le 28 août dernier, le doyen du département de médecine a «fait savoir» à la directrice de l'Institut de traduction et d'interprétariat que, dorénavant, ces quatre salles seront réservées aux étudiants de sciences médicales. Le motif avancé par le doyen est le suivant: le refus des enseignants de médecine d'effectuer leur travail à Dergana, dans la banlieue est d'Alger. Pourtant, l'Etat a investi 4 milliards de centimes pour la réalisation d'un centre universitaire à Dergana pour les étudiants en médecine, avec salles de cours, amphis, réfectoires, cités U, etc. Pour rappel, cela fait maintenant sept ans que les étudiants du tronc commun en médecine suivent leur cursus à Dergana, sans pour autant émouvoir leurs enseignants. Et lorsque les responsables de l'Institut de traduction tentent de s'opposer à cette «décision», le doyen de médecine «ne trouve pas mieux que d'arguer que, de toute façon, les étudiants en médecine sont supérieurs aux autres», rapportent nos sources sur place. «S'ils sont supérieurs à nous tous, qu'on leur loue le Sheraton», ironise l'un de nos interlocuteurs. Surtout que les étudiants de pharmacie ont entamé une grève suite au «squattage» de leurs salles de cours par des groupes de médecine. Les étudiants en chirurgie-dentaire subissent, eux aussi, les mêmes affres. Dernier bastion de résistance, l'Institut de traduction. Mais jusqu'à quand? Amputer cet institut de ces quatre salles de cours équivaudrait à aggraver l'ampleur de ses vicissitudes pédagogiques. En 1990, l'institut accueillait 400 étudiants, en 2001 ils sont 3.200, répartis sur quatorze groupes d'études au lieu de huit. Et alors que les nouveaux étudiants en première année avoisinaient les 315, ce chiffre est aujourd'hui de 715. Encore faut-il souligner que les inscriptions des nouveaux étudiants se poursuivent. Le renflouement du nombre des étudiants à travers les années s'est accompagné par un rétrécissement des structures d'accueil. Plusieurs salles de cours ont été transformées par l'administration de la Fac en bureaux et locaux administratifs, comme la salle 6 devant laquelle nous passons lors de notre visite de l'institut. Nous montons vers l'amphi B, sujet de convoitise du doyen de médecine. Sa réelle capacité d'accueil est de 280 places. Ils sont plus de 400 étudiants à y suivre des cours magistraux sous la menace permanente de lâchers de fientes de pigeons à travers les bouches d'aération au plafond. Il paraît que ça porte bonheur les jours d'examens... Dans les salles de cours, ils sont souvent plus de 56 étudiants, outre ceux qui traînent des modules en dette, une dizaine par groupe, à s'engouffrer dans des espaces dont la norme pédagogique est limitée à 25 étudiants par classe. «Enseigner dans une salle de 55 étudiants, c'est du gardiennage», s'emporte cette prof. La salle de travail, prévue pour accueillir 160 étudiants, ne suffit absolument pas au nombre toujours grandissant d'étudiants, surtout en période d'examens. A défaut, les étudiants peuvent bien se rabattre sur la Bibliothèque universitaire, mais, là aussi, l'établissement n'est accessible qu'à partir de la deuxième année, et même pour les autres, il faut attendre son tour dans d'interminables chaînes. Pour les autres structures de l'institut, il ne faut surtout pas omettre les deux semblants de laboratoires de langues. «Ce matériel est complètement caduc et date de l'ante-Christ», commente cette enseignante qui ajoute: «D'ailleurs ce ne sont même pas de vrais laboratoires d'interprétariat, mais on y fait de la simulation.» L'autre volet de décrépitude de cet institut, l'éloignement des salles d'enseignement. Pour parcourir la distance entre la salle des Actes, située à l'intérieur du tunnel des Facultés, jusqu'à la salle M3, perchée au sixième étage du bâtiment de l'UFC sur les hauteurs de la fac centrale, les étudiants n'ont que dix minutes. «Il nous faut des taxis spéciaux», lâche cet étudiant en quatrième année d'interprétariat. Pour l'instant, et face à la menace de voir leurs salles «détournées» par le département de médecine, les représentants d'étudiants et des syndicats tels que Hillel de la Coordination de l'Alliance, Farid de l'Onse (Organisation nationale pour la solidarité estudiantine), Kamel de l'Unea (Union nationale des étudiants algériens), et Samir de l'Unja, entre autres, tentent de coordonner leurs efforts afin d'exposer ce cas au ministre de tutelle. Ils devraient, dans les tout prochains jours, signer conjointement une lettre adressée à M.Sakhri, le ministre, afin de dégager «une solution raisonnable et non régler des problèmes en en créant d'autres», comme le souligne Farid de l'Onse. Si aucune solution n'est trouvée, le département de traduction et d'interprétariat ira vers un mouvement de grève et d'occupation des salles et locaux d'enseignement. D'ici à là, c'est au ministre de jouer.