Pourquoi François Hollande a-t-il lancé cette petite phrase «il est revenu sain et sauf, c'est déjà beaucoup!»? Si on exclut la folie, il ne reste que la finesse d'un esprit qui délivre un message en «coup de ciseaux»... Le journalisme devient, à l'ère des TIC et des réseaux sociaux, de plus en plus exposé à la manipulation et à l'instrumentalisation. La vitesse avec laquelle l'information circule de nos jours dresse devant nous un nouvel «ennemi»: la précipitation. Un «ennemi» dangereux puisqu'il nous impose son rythme alors que nous sommes astreints, pour notre crédibilité et pour garder la confiance des lecteurs, à vérifier, à recouper, à comprendre l'actualité avant de la livrer à l'opinion publique. Le tout en faisant l'effort d'offrir ce «plus» qui nous permet de survivre face à la concurrence qui se fait de plus en plus rude. Nous avons, cette semaine, un exemple qui illustre à merveille ce combat de tous les jours que mènent tous ceux dont le métier est d'informer. Le plus honnêtement possible. Vous l'avez peut-être deviné, il s'agit de la «petite phrase» prononcée par le président français, François Hollande, à propos du retour de son ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, d'Algérie où il faisait partie de la délégation gouvernementale française conduite par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Reste-t-il, à ce sujet, quelque chose à dire de ce qui ne l'a pas été? Oui! Et pour ce faire, nous vous invitons à suivre la démarche que s'imposent les journalistes qui ont une très haute idée de leur profession. Tout a commencé par une vidéo publiée par un site Internet. La première interrogation est liée au choix de ce moyen. D'ordinaire, les journaux sont alimentés par les agences de presse. La différence est dans une volonté de garder l'anonymat de la «source». Ce qui aiguise la vigilance du journaliste. La seconde interrogation est dans la vérification des dates du déroulement des faits et celle de la mise en ligne. La «petite phrase» a été prononcée le 16 décembre alors qu'elle n'est publiée sur le site que le 20 décembre. Soit quatre jours après. Le moins que l'on puisse dire est que cela enlève toute idée d'innocence à son ou ses expéditeurs. Un temps de réflexion, aussi long, devient forcément douteux. Ensuite, l'événement au cours duquel la «petite phrase» a été prononcée. C'était à l'occasion d'une réunion annuelle du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). C'est un conseil qui regroupe toutes les associations juives de France, qu'elles soient politiques, sociales ou religieuses. C'est un lobby, un groupe d'influence et de pression. Le Crif est à la France ce que l'Aipac est aux Etats-Unis. Nous n'apprendrons rien à personne en disant que l'Algérie et les Algériens n'ont pas «bonne presse» au sein du Crif. Il en va de même, dans une certaine mesure, pour la France où ce même Crif dénonce actuellement une «dangereuse» montée de l'antisémitisme chez les Français. Un milieu, une ambiance et une orientation politique qui n'échappent guère au président des Français. Ceci dit, voyons maintenant le contenu de la «petite phrase». D'abord, les mots qui l'ont précédé. François Hollande donnait l'impression de ne pas être au courant de l'agenda de son gouvernement en affirmant que son ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, devait se rendre en Algérie alors qu'il venait juste d'en revenir avec ses huit autres collègues ministres et son Premier ministre. Il est impossible que le chef de l'Etat ne puisse pas être au courant, minute par minute, d'un tel déplacement en force de son gouvernement. D'où la certitude que c'est à ce moment précis que commence sa «blague». Ensuite, il est également impossible qu'un chef de l'Etat qui décide d'envoyer un aussi grand nombre des membres du gouvernement (et d'autres personnalités françaises d'horizons divers qui les accompagnaient), avec pour certains leurs épouses, y compris le Premier ministre, séjourner trois jours durant dans un pays sans être totalement assuré de la sécurité qu'il offre. Avec à la clé et en plus des excursions touristiques pour les épouses. Se pose alors la question légitime: pourquoi François Hollande a-t-il lancé cette boutade «il est revenu sain et sauf, c'est déjà beaucoup!»? Si on exclut la folie, il ne reste que la finesse d'un esprit qui délivre un message en «coup de ciseaux». Comme en football. On sait que le réchauffement des relations franco-algériennes, inédit dans l'histoire de la Vème République, ne peut pas du tout être du goût du Crif. Il est quasiment sûr que certains de ses membres ont dû s'efforcer à en dissuader le chef de l'Etat français. Ils ont dû déployer des trésors d'arguments pour cela. Il suffit de se rappeler la «promesse» de Bernard-Henri Lévy et même celle attribuée à l'ancien président Sarkozy de voir sombrer à son tour l'Algérie dans le printemps arabe, pour mesurer la place du sécuritaire dans notre pays, pour ces «conseillers» très spéciaux. Il est clair aussi que l'intention des expéditeurs de la vidéo est de porter atteinte aux intérêts de l'Algérie, mais aussi à ceux de la France. On ne se fait pas de cadeaux à ce niveau-là. En définitive, la vidéo nous a été fourguée en «deuxième main». Quant à l'humour de Hollande, Philippe Bouvard y serait plus réactif que Louis de Funès. C'est Kateb Yacine qui avait qualifié de «butin de guerre» sa maîtrise de la langue française. Et de sa pensée. Nous en avons une pour lui aujourd'hui! [email protected]