Mehdi Jomaâ, désigné par consensus par les islamistes et l'opposition, aura la lourde tâche de remettre la Tunisie sur pied Les Tunisiens attendaient hier la désignation officielle de Mehdi Jomaâ pour former un cabinet d'indépendants et conduire le pays vers des élections en 2014, et acter le départ volontaire des islamistes du pouvoir. Après la démission du Premier ministre Ali Larayedh jeudi, le président Moncef Marzouki a chargé, comme le veut la procédure, le chef du parti islamiste Ennahda, majoritaire à la Constituante, Rached Ghannouchi, de lui soumettre une candidature. La désignation de Mehdi Jomaâ, ministre sortant de l'Industrie méconnu du public, est acquise depuis la mi-décembre à la suite d'un accord politique pour sortir la Tunisie de la profonde crise déclenchée par l'assassinat, attribué à un groupe jihadiste, de l'opposant Mohamed Brahmi. A compter de sa désignation officielle, M. Jomaâ aura 15 jours pour former son équipe, qui devra ensuite obtenir la confiance de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Après des mois d'imbroglio et de batailles politiques, le départ d'Ali Larayedh a été accueilli avec soulagement par la presse, qui soulignait aussi que le futur Premier ministre arrivait en terrain miné, en particulier sur le plan social. «Le plus dur vient de commencer» M. Larayedh a ainsi suspendu jeudi une série de nouvelles taxes sur les transports ayant déclenché une vague de protestations violentes dans le pays, en particulier dans les régions intérieures déshéritées, moteurs de la révolution de 2011. M. Jomaâ devra aussi faire face à la menace jihadiste, qui déstabilise le pays par intermittences depuis la révolution, tout en assurant les conditions pour la tenue d'élections libres dans un climat de méfiance. «Le plus dur vient de commencer», prévient ainsi Le Quotidien, pour qui M. Jomaâ hérite d'un «cadeau empoisonné». «Des soulèvements dans tous les coins du pays, une économie agonisante et une situation précaire, le futur gouvernement aura bien du pain sur la planche pour relancer le pays», relève ce journal. La sortie de crise passe aussi par l'adoption de la Constitution, que la classe politique s'est engagée à approuver avant le 14 janvier, troisième anniversaire de la révolte qui lança le Printemps arabe et chassa le régime de Zine El Abidine Ben Ali du pouvoir. De polémiques en disputes, les travaux de la Constituante ont été ralentis, si bien qu'hier, après une semaine d'examen du projet article par article, les élus ont passé en revue environ un tiers du texte et le calendrier annoncé semblait difficile à tenir. «On travaille jour et nuit», a relevé jeudi soir le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar. «Peut-être aurons-nous une heureuse surprise et la Constitution sera adoptée le 13 janvier. La fête de la révolution sera alors un événement crucial». Les «principes généraux» et l'essentiel des «droits et libertés» ont été approuvés, mais les chapitres consacrés au fonctionnement des institutions doivent être encore approuvés. Une grande avancée du texte concerne les droits des femmes, le projet contenant le principe d'une égalité sans discrimination entre hommes et femmes et celui de la réalisation de la parité dans les assemblées élues, une exception dans le monde arabe. La Constituante a en outre achevé la formation de l'instance électorale qui devra organiser les législatives et la présidentielle prévues pour 2014. C'est à cette institution qu'il revient de fixer les dates des scrutins, mais les élus doivent encore adopter une législation électorale consensuelle. Elue en octobre 2011, l'assemblée devait achever sa mission en un an, mais le processus a été ralenti par un climat politique délétère, l'essor de groupes jihadistes armés et des conflits sociaux. Sur le plan économique, le futur gouvernement hérite d'une économie en berne, avec un taux de croissance inférieur à 3% en 2013 et insuffisant pour endiguer le chômage endémique, facteur au coeur de la révolution de 2011.