En attendant le long métrage de Charles Burnet, l'Algérie a dévoilé hier un documentaire assez intéressant sur la vie et l'oeuvre de l'Emir algérien, célèbre poète mystique... Abd El Kader de Salem Brahimi a été projeté hier à la salle Ibn Zeydoun sur initiative de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, producteur du film avec le soutien du ministère de la Culture - Fdatic et «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011». Une fois n'est pas coutume, c'est la voix off de Amazigh Kateb qui ouvre le film. Parlant en arabe dialectal qui nous rappelle quelque peu le théâtre oral populaire de son père, ce documentaire s'entrevoit comme un conte narré, illustré par une multitude de photos d'archives et rehaussé par des images d'animation et une foultitude de témoignages. Il est aussi accompagné musicalement par la bande son de Mehdi Haddab, le célèbre joueur de oud électronique alliant dans sa gamme le souffle de la tradition arabe aux temps modernes. D'abord, le présent, le réalisateur Salem Brahimi sonde l'opinion publique pour voir si l'Algérien sait bien qui était l'Emir Abdelkader. Basculement dans le passé. Nous sommes au XIXe siècle dans une région qui s'appelle El Guettana à côté de Mascara où le père Mahieddine prodigue à son fils une éducation dont la source vient principalement des zaouïas. Le film affirme que la vie de Abdelkader a commencé par la foi sur laquelle le peuple va mettre toute sa confiance quelques années plus tard. L'écrivain Kaddour M'Hamsadji évoque les origines chérifiennes de Abdelkader tandis qu'un autre parle de l'influence de la tarika kadiria. On dit que Abdelkader savait lire à 5 ans et connaissait par coeur le Coran à 14 ans. Aussi, il aimait l'art de la cavalerie. Puis en 1808, il a 17 ans, et découvre La Mecque. Mais le destin lui fait endosser des responsabilités de taille. Impressionné par les réformes de Abou Bacha d'Egypte alors que l'Algérie et la France sont secouées par un terrible incident diplomatique (le coup d'éventail entre le consul Pierre Duval et le Dey Hussein). Il est choisi quelque temps après pour faire face à cette grande guerre annoncée. C'est le débarquement colonial français à Sidi Frej. 1833, il est plébiscité officiellement pour défendre son pays car son vieux marabout de père se sent trop vieux pour cela. L'objectif était la reprise d'Oran. Franc érudit, l'Emir Abdelkader entreprend des relations économiques avec les USA et l'Angleterre, fit construire des hôpitaux, des bibliothèques, etc. Il entreprend même de bonnes relations avec des hommes de l'Eglise, notamment, eux-mêmes qui se constitueront plus tard en comité pour le libérer suite à son emprisonnement. Son but: ériger un Etat algérien moderne.. 1838, Mascara tombe entre les mains de la France. Il s'ensuit des traités pour récupérer des villes comme Tlemcen, Miliana puis le bras de fer avec le général Bugeaud qui étend ses pleins pouvoirs pour écraser la résistance algérienne. Abdelkader va créer la Smala, la capitale mobile de l'Algérie contenant 75.000 personnes. Si l'Emir parvient à gagner une bataille, il est loin de gagner la guerre contre l'occupant. Ne tenant pas ses promesses, la France le fait retenir prisonnier à Toulon, lui, ses proches et sa famille. Reclus en France, la guerre fait désormais rage en Algérie. L'Emir est retenu dans un château à Pau puis il est renvoyé dans un château à Ambroise. Désespéré sans doute, Abdelkader se réfugie entre les murs de sa tente imaginaire et la prière. Napoléon III le libère et le fête même. Libre de ses mouvements, il sera tout de même surveillé dans ses moindres agissements. Après cette première partie relative à la défaite militaire de l'Emir, le film de Salem Brahimi bifurque vers un nouveau tournant consacré essentiellement à la place du soufisme et les écritures saintes dans l'enrichissement du parcours de Abdelkader qui se nourrira profondément des préceptes humanistes et mystiques d'Ibn El Arabi. Le documentaire retracera son itinéraire en allant au coeur de la Turquie suivant de près une hadra où se mêlent hommes et femmes, rythmée par des invocations et les râles mystiques. L'Emir dévoile un Abdelkader, complexe et savant étant pour la tolérance et la conciliation. Pour preuve, il sauvera aussi, les chrétiens de Damas où il séjournera jusqu'à sa mort. Une partie hélas éludée dans le film non pas délibérément, mais vu les conditions sécuritaires qui prévalent là-bas. Le réalisateur chargera une équipe en Syrie pour filmer juste quelques images «minimalistes» d'après ses dires. Il ira tout de même aux USA où une ville entière porte le nom de Abdelkader en hommage à sa résistance à l'occupation coloniale française. le documentaire évoque «l'être humain accompli» qu'il pouvait représenter en réunissant le principe de l'unité dans un monde de diversité où Orient et Occident pouvaient faire naître un nouveau monde. Un héritage spirituel que le documentaire a tenu à souligner. Si le documentaire donne à voir un produit de qualité avec de très belles images sur un plan technique et esthétique, reste que l'information semble un peu passer au second plan, bien que le film soit bien fouillé et marqué d'un nombre important de témoignages d'historiens et de chercheurs. «Quand on fait un film, il y a ce qu'on met et ce qu'on ne met pas. Ce qui m'intéressait dans le film, c'est le parcours de Abdelkader en entrant dans la peau de ce personnage et voir ce qui a animé ce processus, son itinéraire. Je ne suis pas historien. Je préfère donner à sentir son itinéraire. Raconter, c'est choisir. C'est un axe narratif qui oblige de choisir quoi montrer. En 96 mn on ne peut raconter qu'un certain nombre de choses», dira le réalisateur Salem Brahimi et de renchérir à propos de l'absence de renseignements relatifs à la franc-maçonnerie de l'Emir Abdelkader «Non, je n'ai pas voulu éviter la polémique. C'est juste un sujet anecdotique, une affaire qui a été récupérée par les francs-maçons et montée en épingle. (...) Je ne suis pas d'accord sur le fait que la partie française soit la plus longue. D'ailleurs, celle-ci est déterminante dans le film car ce qui se passe en France dépasse l'Emir. Et c'est pendant qu'il est en France que l'Algérie devient un territoire français. Mon film c'est un peu 132 ans de colonialisme français.»