C'est avec une «hedoua» en ouverture que le ton de cette fête musicale a été donné, suivie mardi dernier du tempo jazz bulgare de Mario Stanchev et son sextet. Réplique typique du théâtre de Rome en moins grand, le théâtre régional de Constantine, inauguré en 1883 et rénové en 2001, a accueilli mardi dernier, ce qui devrait être l'événement musical de ce printemps. Colombine Films inaugurait sa première journée de «Musique plurielle», placée sous le signe «Jazzaïr 2004». Après des journées de labeur et de préparation, le TRC levait enfin le voile sur cette manifestation avant de jeter des ponts d'amitié et de rencontre entre les artistes de tout bord. Au programme du jour, d'abord la matinée, un master class a été animé par l'un des plus célèbres compositeurs interprètes de la musique targuie de la région de Djanet, le grand Athmane Bali, qui entouré de ses trois percussionnistes nous fera une belle et large démonstration de sa technique de jeu qui n'en est pas une en vérité. «Je joue instinctivement», dit-il. Dans cette salle à la résonance parfaite, Bali les yeux fermés, fait «chanter son oûd autant qu'il nous fera voyager avec ses mélodies aux confins du Sud.» «Toi désert, compagnon de ma vie, toi désert le plus cher des amis», chante-t-il avec ferveur et passion. La percussion soulève l'âme, l'improvisation est reine. Et les doigts le maître-mot. A chaque fin de morceau, Bali serre fortement contre lui son instrument comme si c'était son bien-aimé. Les quelques jeunes présents, assis comme lui en tailleur dans un silence religieux, écoutent attentivement puis posent des questions. L'un d'entre eux joue de la basse, un autre de la guitare. Forcément, le jeu frénétique et complètement libre de Athmane Bali rappelle le slide d'une guitare électrique ce n'est pas étonnant qu'on le surnomme «le Jimmy Hendrix du oûd». Le soir, place au concert de Mario Stanchev, pianiste d'origine bulgare et son sextet. Après l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu, la veille à Annaba, Constantine sera le second hôte du groupe avant Alger et Oran. La musique de Stanchev est basée sur des thèmes que les musiciens développent à souhait. «Des citations qui viennent de je ne sais où, des mélodies que chacun porte en lui et que l'on développe après. Cela demande tout de même beaucoup de travail», confie Mario Stanchev. C'est avec des extraits de leur premier album qu'ils débuteront le concert. D'abord So what, une chanson traditionnelle jumelée avec un grand standard du jazz de Miles Davis. Entre énergie, souffle et improvisation, la musique de Stanchev est tantôt entraînante, tantôt calme, planante. Toujours surprenante. Le son du cuivre fait écho aux mélodies cristallines du piano, aux ballades romantiques de Mario. Autre titre qui figure sur l'album Priyatelstvo qui veut dire « amitié » en Bulgare, on peut citer notamment « Berlin 1999 », un morceau qui flambe entre des notes joyeuses et d'autres tristes. Attaché, à ses racines bulgare, Stanchev creuse une voie entre les musiques instantanées, son éducation classique européenne et le jazz. «Ma musique révèle-t-il est le reflet de ce qu'on a dans les oreilles...». Et pour une nouvelle expérience, Stanchev en fera une de taille en improvisant une partie de boeuf avec Athmane Bali, à la suite d'une rencontre faite le jour même au restaurant de l'hôtel où les musiciens sont descendus. Une belle surprise auquel le public ne s'attendait pas. Bali, toujours assis en tailleur sur une chaise, à côté de Mario et son sextet, joue de toute sa superbe du oûd. Dans une parfaite osmose et harmonie les notes de piano de Stanchev épousent parfaitement la pureté du son du oûd. On se renvoyait la mélodie chacun sur son instrument respectif. Beaucoup d'originalité, de verdeur et de rythmes colorés. On jouera sur la composition «Afrika», morceau composé par Mario avant de terminer par «Balkanisme» en hommage aux Balkans. Outre le génie de Mario, saluons aussi le talent de ces autres musiciens au bagout éclatant. Derrière ses lunettes noires, Mario, l'air jovial, mettait le feu aux planches. Le lendemain soir, c'était le tour de Athmane Bali et son orchestre d'allumer les planches du TRC en donnant la pleine mesure de son talent et de son riche répertoire mystique.