Pourquoi des peuples que tout unit, les langues, l'histoire et la religion, n'arrivent pas à dépasser et à se dépasser pour donner une chance à la jeunesse maghrébine? 10 nouveaux pays tous chrétiens viennent de rejoindre l'Europe. La conviction est maintenant faite que l'approche intégrationniste est de type identitaire et religieux. Car comment comprendre en effet, l'admission de la partie de Chypre grecque et abandonner l'autre partie de l'île turque et sans remettre au vote rétrograde de la partie grecque (75% de non) contre les 65 % de oui des Chypriotes turcs. On se demande d'ailleurs, pourquoi il y a eu cette mascarade des élections puisque le vote de la partie grecque est seule pris en compte. Les festivités qui ont eu lieu avaient quelque chose d'irréel voilà en effet, une Europe occidentale repue de son niveau de vie bâtie pour une large part sur la politique de rapine coloniale, apaisée, qui fait profiter 10 pays que l'on dit viables même s'ils ne comptent que quelques centaines de milliers d'habitants et dont le niveau de vie est de loin inférieur mais qui vont être tirés par la locomotive des anciens pays au nom d'une solidarité «européenne». Voilà donc au sein du même continent des Européens interdits, on ne sait au nom de quoi, de faire partie de cet ensemble que l'on présente comme économique. A côté de la fureur du monde, les scènes de liesse seraient celles de toute l'humanité s'il n'y avait pas cette suspicion qui fait, qu'on le veuille ou non, le monde en souffrance est principalement constitué par des pays anciennement colonisés, en voie de colonisation et parmi lesquels les pays arabes, - du fait de l'incurie criante de leurs dirigeants - et les pays musulmans ont les premiers rôles dans cet état permanent de guerre. L'avènement de l'Europe Qu'est-ce qu'en fait que l'Europe? Pour le monde grec, c'était le monde barbare en dehors de la Grèce. L'Europe actuelle est à bien des égards prosélyte, du fait que sous des dehors de critères de Copenhague - critère pour l'admission - est en fait, constitué de 25 pays où la religion chrétienne est, à des degrés divers, la colonne vertébrale de ces sociétés. De ce fait, et de façon dramatique au vu et au su de tout le monde, nombre de peuples de l'Europe de l'Est ont cédé aux illusions suscitées par un discours populiste qui leur faisait croire que leur avenir ne serait propice qu'éclairé par la redécouverte de leur identité nationale et religieuse. Malgré cela, l'Europe matricielle a laissé s'adosser à elle l'Europe post-communiste. Les diverses Eglises ont aussi, sans vergogne, utilisé leur message au service de cette revendication identitaire, le destin cruel de la Bosnie et du Kosovo est là pour le démontrer. Plus que linguistique ou culturelle, la séparation entre les Croates, les Serbes et les Bosniaques est religieuse. Ceci explique, peut-être, que le Vatican ait été l'un des premiers Etats à reconnaître l'indépendance de la Croatie, créant, par là même, un fait accompli que l'Allemagne s'est empressée de confirmer. M.Gauchet, affirme que nous sommes sortis d'«un monde où la religion est structurante, où elle commande à la forme politique et où elle définit l'économie du lien social». On l'aura compris, Marcel Gauchet parle principalement de l'Europe occidentale matricielle, la perception est tout autre de l'autre côté de l'Europe à l'Est. (M. Gauchet : «La religion dans la démocratie: parcours de la laïcité», Paris, Le Débat, Gallimard 1998 p. 11). D'ailleurs, s'agissant de l'Europe matricielle, Edgar Morin écrit : «la culture européenne n'est pas seulement une culture dont les produits les plus significatifs, l'Humanisme, la Raison, la Science, sont laïques. C'est surtout une culture entièrement laïcisée, dans le sens où, à partir d'un certain moment, aucune idée n'est demeurée assez sacrée ou assez maudite pour échapper au tourbillon des débats, discussions et polémiques» (Edgar Morin : «Penser l'Europe», Paris Gallimard 1990). Toute communauté écrit Régis Debray, a besoin de seuils. Poser, par exemple, la question des frontières de l'Europe - la Turquie doit-elle y entrer? - c'est poser la question de son essence. Il n'y a pas de consistance horizontale sans une verticale, pas de limite sans référence. Pas de société sans lieu consacré et sans transcendance. L'Union soviétique avait Lénine ; les USA ont Washington et les pères fondateurs. «Une communauté, écrit Régis Debray, est faite à la fois de valeurs communes et d'individus, mais, dès que vous ajoutez un «isme» à l'idée adverse, vous la ridiculisez: le communautarisme ou l'individualisme, par exemple. Il faut concilier la solidarité et le quant-à-soi. Quand vous tirez trop d'un côté, vous avez du fascisme et du communisme ; quand vous tirez de l'autre, vous avez de l'individualisme marchand et cynique. Bref, parfois, l'Etat étouffe la société civile. Parfois, c'est l'inverse, comme dans notre démocratie d'opinion, où les féodalités ont affaibli l'Etat. Il faut réagir, pour retrouver notre unité interne. L'art de la politique, c'est de tirer des bords.» «Oui, au moment où tous les éléments de cohésion nationale étaient en train de disparaître (ouverture européenne, immigration, charters, Internet), il ne restait plus qu'un petit fil qui réunissait les citoyens, bretons, savoyards ou maghrébins : le régiment. Or, la suspension de la conscription, très ancien pilier de la République, est passée comme une lettre à la poste, sans vrai débat collectif. Elle était peut-être techniquement inévitable, mais on a absolument besoin d'un service civil, pour chaque jeune Français.» «Donner un an de sa vie à une cause d'intérêt général, soigner, instruire, construire, ce n'est tout de même pas énorme. Une année à la découverte des hommes. On ne peut, dès 17 ou 18 ans, avoir d'autre but que gagner de l'argent. Aujourd'hui, il n'y a plus que les missionnaires qui fournissent des bénévoles ! J'ai été, jadis, un militant, c'est une propédeutique indispensable. Les Américains ont le Peace Corps. Souhaitons qu'on ait bientôt l'équivalent. C'est en train de se faire. Je réclame le droit de faire bande à part et de songer à l'avenir et au passé - cela va ensemble» (Régis Debray Entretiens) L'Europe et l'Eglise A des degrés divers et c'est tant mieux, la religion berce la vie des Européens. Sous un vernis extérieur de laïcité, c'est en fait une véritable structuration de la vie de tous les jours que la religion revendique. Sans aller jusqu'à s'interroger pourquoi le Vatican est reconnu comme un Etat souverain avec ses diplomates et ses gardes suisses, alors que dans le même temps, le monde musulman ne dispose d'aucune représentatitivité dans les instances internationales, il faut bien convenir que pour le pape Jean-Paul II, ceci n'est pas suffisant. Il est nécessaire de faire du prosélytisme. La centaine de voyages du Pape pour apporter çà et là la bonne parole en attisant souvent les tensions interreligieuses est bien connue. A l'époque, déjà l'inquiétante tentative conduite par les services diplomatiques du Vatican, lors de la conférence intergouvernementale qui devrait déboucher sur l'adoption du traité d'Amsterdam, est démonstrative d'une permanence dans l'attention que les représentants de l'Eglise catholique accordent au processus de construction européenne. S'agissant de la construction laïque de l'Europe, Jean Baubérot, après avoir distingué les traditions culturelles des pays du nord et du sud de l'Europe, - les premiers catholiques, les seconds protestants - considère que trois modèles sont aujourd'hui en compétition. Un modèle de «religion civile» construit autour d'une sécularisation de dogmes élémentaires d'inspiration religieuse ; un modèle, imité de la Belgique, dans lequel la laïcité prendrait place dans un système pluraliste; enfin le modèle français qui «consiste à ne reconnaître aucun culte tout en leur assurant la liberté d'exister» (J. Baubérot : in «Religions et laïcité dans l'Europe des douze» Paris Syros 1994, p. 284 ) A titre d'exemple de cette laïcité en trompe-l'oeil, un fait, passé anodin, mais pour un site pour une réelle laïcité, nous apprend qu'en présentant ses lettres de créances au Pape, M. Alain Dejamet, l'ambassadeur de France auprès du Saint Siège a prononcé une allocution toute ponctuée d'allégeance. Ecoutons-le: «...Une si longue et si dense Histoire s'explique par le partage ancré au plus profond de nous-mêmes de valeurs communes avec celles de l'Eglise». «Terre d'accueil, presque dès les origines, du message évangélique, le pays qui est devenu la France s'est très vite révélé un soutien actif parfois difficile ou turbulent, mais toujours loyal de l'Eglise qui incarnait ce message». «Les ambassadeurs de France sont fiers de dérouler la longue liste de ces légions de missionnaires, de blancs, de noirs ou de bure vêtus, humbles, opiniâtres, tous courageux et souvent martyrs, qui ont accompagné la Parole de Dieu au-delà des mers.» «Ce paysage français que Vous connaissez bien, Très Saint Père, modelé par les symboles de la foi chrétienne ; un paysage de sagesse, de raison, mais aussi d'élévation, ponctué des clochers de ses églises». «Héritière de la vision identique, forgée par le général de Gaulle, d'une Europe réconciliée avec elle-même, de l'est à l'ouest, respectueuse de ses histoires prestigieuses, la France ne peut que comprendre votre ambition et s'attacher à l'accomplir.» «Nous sommes heureux, en particulier, que le Saint Siège dispose au Conseil de l'Europe d'un statut qui lui permet d'exprimer son encouragement à la promotion des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans une Europe élargie, «une Europe - comme Votre Sainteté l'a exprimé -, qui a besoin d'un visage spirituel». La messe est dite, l'Europe sera cléricale ou ne sera pas.» (Jocelyn Berecourt Europe et Laïcité no 162). Une autre preuve s'il le fallait, de l'ingérence de l'Eglise dans le temporel nous est donnée à l'occasion de la Pentecôte et devant une foule de 500.000 personnes, le 30 mai 1998, Jean-Paul II a reconnu les «Focolari» et d'autres mouvements charismatiques comme des acteurs privilégiés de la nouvelle évangélisation, «Comme l'Opus Dei - l'illustre précurseur - ces mouvements recrutent au sein des couches sociales les plus privilégiées, et de préférence des personnalités influentes, occupant des postes à responsabilité. Comme l'Opus Dei, chacun de ses mouvements a monté ses propres «départements» d'experts spécialisés en économie, en bioéthique, en communication... Pour l'Eglise, les gens en Europe occidentale commencent à se rendre compte que l'on ne peut pas vivre sans credo, sans dimension spirituelle. En un sens l'Eglise se place au-delà de la sécularisation. Déjà à l'époque et dans le cadre de la conférence intergouvernementale (1997) qui a eu pour objet de réviser le traité de Rome, l'Etat du Saint-Siège avait saisi les ambassadeurs accrédités pour transmission à leurs gouvernements, afin que ceux-ci la soutiennent, une demande d'insertion de mention spécifique relative à la place des églises dans l'héritage culturel européen et leur statut juridique propre. La nouvelle version (proposée par le Vatican) de l'article 236 du traité : «...compte tenu du développement de l'entreprise européenne, le moment est venu de procéder à la reconnaissance du fait religieux et ecclésial au niveau européen. Si ce fait est bien reconnu au niveau des pays membres, il existe au niveau communautaire une tendance à l'ignorer et à le reléguer dans le domaine privé de la conscience.» «L'idée était de créer autour des responsables de la Commission un genre de Conseil informel d'hommes et de femmes de spiritualité et agissant comme une conscience éthique et spirituelle européenne.» : «La vocation du christianisme disait le pape est d'être présent dans tous les domaines de l'existence. Mon devoir est donc d'insister sur la chose suivante : si l'on venait un jour à remettre en cause les fondements religieux et chrétiens de ce continent, si l'on supprime du même coup toute référence à l'éthique, alors on ferait bien plus que rejeter l'héritage européen.» Nous ou l'apocalypse ! dirait le pape. Le christianisme doit être le lien unificateur et structurant de la politique et de l'opinion publique en Europe. (Le pape JPII s'adressant aux députés européens 11 octobre 1988). En Juin 2003, le même scénario s'est renouvelé, le président de la conférence épiscopale n'a pas manqué de saisir le président Giscard d'Estaing pour lui demander expressément d'inclure la dimension chrétienne dans la future Constitution de l'Europe. Cette initiative est appuyée par Romano Prodi, l'Espagne et la Pologne. Nous verrons si un an après en juin 2004, cette requête finira par faire son chemin...dans la promulgation de la nouvelle Constitution. Ce que devrait être le Maghreb de l'intelligence Devant cette Europe plus conquérante que jamais et quoi qu'on dise, fière de son héritage spirituel, nous essayons à des degrés divers de «coller à une Europe qui ne veut pas de nous, qui nous renvoie nos Algériens sans diplômes, et qui garde nos diplômés» - la Turquie le fait depuis quarante ans sans aucune chance de se voir admise - Que faut-il faire, continuer à tendre la main, à rechercher les bonnes grâces des Européens, ou commencer sérieusement à s'interroger en tant que Maghrébins? Après avoir essayé toutes les méthodes classiques de la diplomatie, force est de constater que l'utopie de tous les Maghrébins, à savoir un Maghreb fédéral et uni ne s'est pas réalisée. Pourquoi des peuples que tout unit, les langues, l'histoire et la religion, n'arrivent pas à dépasser et à se dépasser pour donner une chance à la jeunesse maghrébine? Voilà une force qui fait 75 millions d'âmes qui dispose de tous les climats, de l'étendue des ressources énergétiques et surtout d'une jeunesse qui fait plus de 70% En fait quand les Européens avaient décidé l'installation de gazoducs avec la Tunisie dans les années 80 et avec le Maroc au plus fort de la décennie rouge, malgré les relations tendues entre le Maroc et l'Algérie, malgré le terrorisme, l'installation du gazoduc Algérie - Maroc - Espagne s'est terminée avant les délais requis. Pourquoi ? Parce qu'il y avait une volonté extérieure qui a amené les deux pays à se mettre d'accord pour ravitailler l'Europe en gaz. En tant qu'espace maghrébin, nos chances sont meilleures dans les négociations avec l'Europe, les Etats-Unis et notre insertion dans la mondialisation serait moins douloureuse. Ne peut-on pas mettre les contentieux de côté et laisser les spécialistes préparer le Maghreb des générations futures. Il est fort à parier que dans 20 ans, la génération d'alors ne comprendra pas pourquoi il y a eu conflit. Par contre, nous serons redevables envers les générations futures du retard à Dieu ne plaise qui pourrait être irréversible. Nous serions alors catalogués dans les zones grises que les intellectuels britanniques atribuent aux pays ayant définitivement échoué. L'Algérie pourrait prendre une initiative de l'intelligence en commençant par l'unification des systèmes éducatifs, en lançant une recherche commune sur des dossiers d'importance maghrébine et qui sont duplicatés dans chacun de nos pays. A titre d'exemple, l'agriculture, la lutte contre la désertification, l'eau et l'énergie peuvent constituer les premiers jalons. Qui nous empêche en tant que Maghrébins d'élaborer une université virtuelle délocalisée, délivrant des diplômes maghrébins et utilisant les trésors des NTIC et de l'internet et dont nous ne profitons pas. Voilà la réponse que l'on pourrait donner à cette Europe qui, à des degrés divers, malgré les recommandations molles et sans lendemain du processus de Barcelone est, on l'aura compris, intéressée par un Maghreb atomisé, plus facilement réductible. En clair, le saut qualitatif ne peut venir que des Maghrébins eux-mêmes.